L’ex-maire se méfiait de Bernard Beaudet

L’ex-maire se méfiait de Bernard Beaudet
L'ex-maire Claude Desrochers accompagné d'une policière à la suite de son témoignage.

RÉGIONAL| L’ex-maire de Warwick Claude Desrochers n’a jamais eu confiance en son directeur de Service de la sécurité incendie. Il a d’ailleurs, plusieurs fois, tenté de trouver la faille qui lui permettrait de le congédier. C’est ce qui est ressorti de son témoignage, hier, lors de la première journée du procès de Bernard Beaudet, accusé de fraude, de vol, d’abus de confiance et d’avoir fait usage de faux documents entre mars 2010 et mars 2014.

M. Desrochers a été le deuxième témoin entendu après son successeur, Diego Scalzo, en poste depuis 2013. L’ancien maire a rappelé qu’il connaissait Bernard Beaudet depuis 1993. «À l’époque, j’étais maire du Canton de Warwick. C’était avant la fusion. Nous étions desservis par le Service de sécurité incendie de Warwick. Un concours devait s’ouvrir pour dénicher un nouveau directeur. Le Canton devait participer au processus de sélection, mais, au final, on a appris que Bernard Beaudet avait été engagé…», a-t-il expliqué.

Est arrivé, par la suite, le regroupement des deux municipalités en 2000. Le maire n’a pas tardé à rencontrer des ennuis avec son directeur. «En 2000, la directrice générale m’a informé que Bernard Beaudet ne payait pas ses taxes municipales», a-t-il noté. L’accusé éprouvait, à l’époque, des ennuis financiers. Ceux-ci l’ont mené à la faillite quelques années plus tard.

Si le maire Desrochers laissait la directrice générale Lise Lemieux faire le pont avec les directeurs des différents services à Warwick, il est arrivé à plusieurs reprises, a-t-il raconté, qu’il ait dû intervenir. «J’avais des rencontres (avec Bernard Beaudet et Lise Lemieux) aux deux ou trois mois. C’était pour corriger des problèmes, faire des mises au point ou m’expliquer pourquoi certaines personnes n’étaient pas contentes de notre service. Nos rencontres se déroulaient toujours dans le contexte d’une problématique», a-t-il dit.

M. Desrochers estime que malgré ses interventions, il n’a jamais été témoin de progrès chez l’accusé dans la gestion quotidienne de son service. «Il (Bernard Beaudet) nous promettait des corrections et des changements. Il n’y en avait jamais, a-t-il partagé à la Cour. Comme gestionnaire, je n’ai jamais eu confiance en Bernard. Pour gérer du personnel ou pour gérer des budgets, je n’en avais pas confiance.»

Comme officier sur les lieux d’intervention, Bernard Beaudet a également suscité de l’insatisfaction auprès de son employeur. «Il est arrivé quelques fois qu’on ait dû intervenir pour lui dire de se calmer. Bernard était un gars nerveux, qui avait des montées d’adrénaline. Il s’inquiète beaucoup des gens durant les opérations», a-t-il ajouté.

Les nombreuses démissions de pompiers volontaires ont également irrité l’ex-maire à l’époque. «C’était désagréable et ça devenait onéreux pour la Ville», a-t-il souligné. Chaque fois qu’il a demandé l’avis de l’avocate de la Ville pour savoir s’il avait suffisamment d’arguments pour congédier son directeur, M. Desrochers dit s’être fait conseiller de ne pas aller de l’avant. «L’avocate disait qu’on ne pouvait rien faire avec cela et qu’on devait faire confiance à Bernard jusqu’à preuve du contraire», a-t-il expliqué. Il se souvient néanmoins avoir usé de mesures punitives pour lui signifier le mécontentement quant à son travail. «Pendant deux, trois ou quatre ans, on l’a privé de graduer dans l’échelon salarial. On jugeait qu’il ne le méritait pas à cause de l’accumulation de plaintes et sa façon de gérer le Service. On trouvait qu’il ne faisait pas un bon travail», a-t-il relaté.

L’ex-maire savait que la Municipalité était vulnérable à certains écarts de conduite. Outre sa rémunération fixe de directeur, Bernard Beaudet touchait également un salaire horaire à titre d’officier lors des interventions. «Le temps qu’il chargeait était difficilement vérifiable, puisque la directrice générale et son adjoint n’étaient pas sur les lieux de l’incendie. On n’avait pas le choix de lui faire confiance», a-t-il souligné.

M. Desrochers a rappelé devant la Cour que Bernard Beaudet, même s’il était incapable de le congédier, a néanmoins reçu quelques avis disciplinaires au fil des ans. Les autorités municipales ont notamment privé leur directeur de promotion salariale, comme le permet la convention de la municipalité. L’ex-directeur a également été suspendu durant un mois, sans solde. «Lors d’une intervention à Saint-Albert (municipalité desservie par le Service de sécurité incendie de Warwick) vers 2010-2011, j’ai reçu une plainte du maire, appuyé par de nombreux badauds qui assistaient à l’incendie. Ils se sont dits très déçus de son intervention. Il a perdu la maîtrise de lui-même. On nous a aussi dit qu’il avait mis en danger la vie des gens en ne vérifiant pas l’immeuble avant de commencer à éteindre. Rencontré à ce sujet par la suite, Bernard Beaudet avait une version bien différente. Il a dit que le dossier s’était bien déroulé. À ce moment, on a vérifié auprès de notre avocate, puisqu’il s’agissait d’un incident quand même important. On a convenu qu’il ne s’agissait pas d’un cas de congédiement, mais de suspension», a-t-il relaté. La Ville de Warwick a été poursuivie par le propriétaire de l’immeuble incendié de Saint-Albert. «Et je crois que c’est un dossier qui n’est pas encore réglé», a-t-il dit.

M. Desrochers se méfiait de son directeur, au point qu’on a réduit le montant que Bernard Beaudet pouvait dépenser dans le cadre de ses fonctions sans autorisation préalable. Initialement de 2000 $, il a été réduit à 500 $. Le directeur du Service des travaux publics et celui de la directrice générale se situait pourtant à 10 000 $.

«Quand je suis arrivé à la Ville, Bernard avait un pouvoir de dépenses de 2000 $. Quand l’histoire des taxes impayées est arrivée, c’était la première fois que je constatais qu’un de nos cadres avait des problèmes financiers personnels. On voulait donc l’encadrer un peu mieux. On avait réduit ce montant à 500 $. C’était en réaction au compte de taxes et également une autre dépense qu’il avait faite. Il avait meublé son bureau en se servant de ce pouvoir», a-t-il explicité.

La méfiance du maire Claude Desrochers était constante. Lorsque les élus ont décidé d’acheter un nouveau véhicule pour son Service de sécurité incendie, il a craint que son directeur ne l’utilise pas à bon escient. Ses craintes se sont matérialisées peu de temps après l’achat.

«On se méfiait bien gros. On ne voulait pas que ce véhicule serve pour ses usages personnels. Un matin je l’ai vu avec ce véhicule en compagnie de sa conjointe pour aller au restaurant. Je lui ai dit. On a fait une mise au point là-dessus. Le véhicule de la ville ne servait pas à cela», a-t-il raconté.

M. Desrochers a largement été interrogé sur le système de cartes de crédit servant à payer l’essence des véhicules du Service de sécurité incendie. Une carte, a-t-il expliqué, était en permanence à la station-service. Le commis s’en servait au besoin. L’autre carte pouvait être utilisée en cas d’intervention en dehors de Warwick. On l’a aussi longuement questionné sur le système de paiement par chèque de la Ville. Comme la procureure l’a fait en matinée avec l’actuel maire Diego Scalzo, on a expliqué que le maire devait signer chacun des chèques préparés par une employée, ainsi que le système de remboursement des déplacements des employés de la Ville.

Le dossier de la construction de la caserne a également été effleuré. L’ex-maire s’est dit satisfait du travail de son directeur à cet égard. «Bernard représentait la ville auprès des entrepreneurs durant les travaux. Il n’avait cependant pas son mot à dire au niveau des décisions ou financièrement. Il participait aux réunions de chantier. Pour le dossier de la caserne, pour une fois, j’étais satisfait de son travail je dois dire», a-t-il indiqué.

En contre-interrogatoire, l’avocat de Bernard Beaudet a posé plusieurs questions sur le véhicule personnel de son client à l’ex-maire Desrochers. Celui-ci a confirmé qu’il était doté de gyrophares, mais n’a pas été en mesure de dire si la Ville l’avait autorisé à enregistrer sa voiture à la Société de l’assurance automobile du Québec comme un véhicule d’urgence. «Il avait ce véhicule avant que je ne devienne maire. Il s’en servait effectivement comme véhicule d’urgence pour se rendre sur les lieux des événements», a-t-il dit.

Bernard Beaudet, tout au long de la journée, est demeuré attentif aux témoignages de Diego Scalzo et Claude Desrochers, prenant également des notes.

Son procès, d’une durée estimée à quatre jours, se poursuivra aujourd’hui. La directrice générale Lise Lemieux sera la troisième témoin entendue.

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