Vendre le projet d’une vie

Vendre le projet d’une vie

HISTOIRE. Les Jutras de L’Avenir ont ouvert les portes de la grange familiale, samedi, lors d’une journée ensoleillée de printemps, pour se départir de la collection d’objets d’Aline et Florian Jutras, assemblée depuis plus de 50 ans et composée notamment de vieux téléphones, de cloches et d’une trentaine de voitures hippomobiles.

Les cris stridents de pointeurs, accompagnés par les encanteurs de Richmond Stephen et Brian Barrie, étaient audibles sur tout le terrain dès le début de l’encan, vers de 9 h 30. Une centaine d’acheteurs négociaient les biens de la famille Jutras. Les automobiles s’accumulaient d’ailleurs en bordure de la Route 143; le stationnement de la ferme débordant déjà bien avant l’heure du midi. «Une page se tourne aujourd’hui. C’est une journée très émotive, parce qu’à cette période de l’année (le printemps et l’été), la grange se transformait en salon. C’était la place de réception chez nous. Ce n’était pas ouvert au public, mais il y avait tellement de personnes qui savaient ce que contenait la grange de mes parents. C’était leur club de loisirs. C’était leur cachette», se remémore la fille d’Aline Demanche et de Florian Jutras, France Jutras.

Les mises augmentent à une vitesse impressionnante. Sous le rythme imposé par les encanteurs Barrie, les acheteurs se séparent l’héritage de la famille Jutras à coup de 10, 100 ou 1000 dollars. Ils sont six à gérer l’encan, dont les Barrie, les trois pointeurs et la comptable qui collige chaque vente.

Le décès de Florian Jutras, le 28 mai 2015, a précipité la vente des nombreux objets accumulés. Ses enfants, France, Yves et Louise, ont pu conserver plusieurs objets pour eux, mais ceux-ci manquaient d’espace pour accueillir l’imposante collection de leur père, un commerçant de machinerie agricole et agriculteur connu dans la région. «C’est un beau passe-temps qu’on avait. Disons que c’est une belle grande journée, s’émeut Aline Demanche, qui a partagé une passion pour les antiquités avec son mari. Jeunes, on aimait beaucoup les antiquités. On a fait de beaux voyages pour ajouter des objets à notre collection. C’est une belle vie qu’on a passée.»

Pendant que certains acheteurs faisaient des allées et venues dans la grange pour évaluer les vieux jouets, les outils et les équipements de chevaux, d’autres allaient à la cantine mobile, d’où une odeur de friture émergeait. «Nos parents voulaient, lorsque nous étions enfants, nous montrer la beauté des objets, l’ingéniosité du temps et les sons des cloches. On a appris beaucoup sur le patrimoine du Québec par l’entremise de nos parents», se rappelle France Jutras, qui a gardé entre autres deux poêles d’époque.

«Des œuvres d’art»

La qualité de la collection a attiré des investisseurs des États-Unis et de l’Ontario, en plus de ceux du Québec. Les jeans, les casquettes et les bottes de cuir étaient à la mode lors de cette journée pauvre en nuages à L’Avenir. En français comme en anglais, les Barrie ont vendu les centaines d’articles de la grange, des plus petits aux plus grands.

Parmi les voitures hippomobiles vendues en après-midi, la «Victoria» faisait la fierté de la famille. Avec ses formes en bois travaillées et arrondies, sa valeur est estimée à 15 000 $. «C’est la Rolls-Royce de l’époque», s’exclame France Jutras, à quelques pas du chapiteau où les acheteurs se sont massés, assis sur leur chaise portative. Une autre voiture a appartenu à médecin de campagne dans les Cantons de l’Est qui l’utilisait pour visiter les patients. «C’est une richesse pour mes parents qui connaissaient ce docteur. Même sa valise est dans le coffre, affirme France Jutras. Il y a plusieurs modèles fabriqués par des Québécois, avec une peinture et des décorations très typiques des voitures du Québec.»

Des gens de l’industrie du cinéma ont d’ailleurs approché la famille Jutras pour utiliser leurs objets historiques. Difficile d’en douter alors qu’un agent de sécurité de Garda a veillé au bon déroulement de l’encan.

Aline et Florian Jutras étaient de grands curieux. «Mon père, c’était un grand convivial. Il communiquait par les objets. Les gens pouvaient passer des heures dans la grange et tu ne partais pas sans avoir pris ton gin ou bien ton brandy», se souvient France Jutras.

Lorsque les enfants se sont mis à faire le tri dans les objets de la famille, ils se sont rendu compte qu’il y avait beaucoup plus d’objets que prévu. «Les gens sont impressionnés par tout ce qu’il y a dans cette grange.»

L’encan s’est étiré sur toute la journée du 7 mai. Pour Aline et France, impossible de ne pas penser que leur père aurait été content de voir sa collection être ainsi partagée. «Je suis sûr que papa dirait : "autant j’ai ramassé des objets, autant ça va repartir et ça va faire plaisir à d’autres".»

À la fin de la journée, en quelques heures, de nombreux acheteurs auront vidé la grange des Jutras, qui leur aura pris plus de 50 ans à remplir.

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