DRUMMONDVILLE–La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, et cela est sans doute parfaitement vérifiable dans le cas de Jean Béliveau, ce grand bonhomme qui vient de nous quitter en laissant derrière lui plein de témoignages touchants nous rappelant sa simplicité, sa générosité et son altruisme.
Même s’il existait une différence appréciable de 17 ans et demi d’âge entre Jean, l’aîné, et André, le cadet des Béliveau, ce dernier est en mesure d’affirmer aujourd’hui que son célèbre frère a mis en pratique durant toute sa vie les valeurs transmises par les parents, Arthur et Laurette, à leurs huit enfants.
Rencontré au lendemain du décès du célèbre hockeyeur, André, un Drummondvillois d’adoption depuis plusieurs années maintenant, a accepté de nous partager quelques souvenirs de Jean Béliveau sous l’angle familial.
Au dire d’André, qui n’était pas encore né lorsque son grand frère a quitté le nid familial de Victoriaville pour se joindre aux Citadelles de Québec, les parents Béliveau ont véhiculé à chacun des cinq garçons et des trois filles le même message qui pourrait se résumer ainsi: «Si tu veux être respecté, apprends à respecter les autres. Si tu veux être considéré, apprends à considérer les autres. Si tu veux que les autres reconnaissent tes valeurs, apprends à reconnaître celles des autres. Et si tu veux réussir, apprends à travailler.»
S’il y a quelqu’un qui a bien retenu la leçon, c’est bien l’illustre numéro 4 du Canadien de Montréal qui, au dire du frangin, a su mettre en pratique toutes ses valeurs et même en faire souvent davantage.
Il n’hésite pas à dire que celui qui vient de nous quitter à l’âge de 83 ans a été un bourreau de travail toute sa vie, à l’exception peut-être de ces dernières années alors que la maladie l’avait forcé à ralentir la cadence bien malgré lui, et encore, tout étant relatif!
«Jean disait: "C’est bien d’avoir du talent, mais c’est nécessaire de travailler pour l’améliorer." Je suis en mesure de témoigner aujourd’hui que Jean a été fidèle à ce dicton, et ce, autant sur la glace qu’en dehors», raconte celui qui a hérité de plusieurs traits de son grand frère, sauf les aptitudes pour le hockey.
«Disons qu’à ce chapitre, le talent a été très mal réparti dans la famille Béliveau», confie en ricanant le jeune frère.
Pour illustrer jusqu’à quel point, Jean Béliveau pouvait être un homme dédié à son travail et à ses fans, André se souvient d’une fois, alors qu’il était devenu vice-président principal aux affaires sociales, les deux frères avaient fait un arrêt au forum pour prendre possession du courrier destiné au Grand Jean.
«Il y avait deux grands sacs remplis à pleine capacité de lettres provenant non seulement de tous les coins du pays et même de l’extérieur. J’ai demandé à Jean ce qu’il allait faire de tout ça, il m’a dit tout simplement qu’il allait prendre le temps qu’il faut pour répondre à chacune des demandes parce qu’elles étaient importantes à ses yeux. Je n’en croyais pas mes oreilles, mais c’était cela Jean», nous a raconté avec émotion le plus jeune des Béliveau, en affirmant que cet homme au grand cœur a mis la même ardeur et la même discipline dans les nombreuses fondations auxquelles il a accepté de s’engager, y compris celle portant son nom.
Un électricien
André Béliveau est le premier à admettre comme tout le monde que Jean, en plus d’être un perfectionniste, a hérité d’un talent exceptionnel dans les sports, et ce, autant au baseball, où il aurait pu faire carrière, qu’au hockey.
Toutefois, peu ne s’en est fallu que ce géant de Victoriaville doive renoncer à ses ambitions dans les sports, du moins à les retarder, car maman Laurette n’était pas tellement d’accord à le laisser partir pour la grande ville de Québec en 1951, là où, craignait-elle, il y avait risque de perdition pour une aussi jeune et beau grand garçon.
Heureusement pour nous, Arthur a trouvé les bons mots pour convaincre sa Laurette, sans quoi Victoriaville aurait probablement hérité d’un électricien, un excellent électricien à n’en pas douter. En dépit d’une 10e année, Jean avait entrepris des cours dans cette discipline, ce qui lui aurait probablement permis d’aller rejoindre son père au sein de la Shawinigan Water & Power, comme cela se faisait souvent à l’époque.
Il faut dire toutefois, qu’Arthur n’a jamais renoncé à ses obligations car après avoir soutiré l’accord de son épouse, il a su bien conseiller Jean «en bon père de famille» dans son cheminement d’hockeyeur et d’individu.
Les dirigeants du Canadien de Montréal de l’époque ont d’ailleurs appris de quel bois pouvait se chauffer ce brave père de famille de Victoriaville lorsqu’ils ont eu à négocier pour sortir Jean de Québec.
Pour obtenir l’enrôlement de celui qui était devenu une super vedette avec les As, une équipe évoluant dans une ligue dite semi-professionnelle, le CH avait manigancé l’achat du circuit pour en faire une ligue professionnelle, alors qu’elle détenait les droits «professionnelles» de Jean Béliveau, si vous voyez.
Si c’est cette façon que l’équipe montréalaise, à grands prix, avait trouvé pour chasser le prometteur hockeyeur de Québec, Arthur Béliveau, par l’entremise de l’interprète d’occasion, Émile "Butch" Bouchard, a fait part à Frank Selke que son fils devait bien valoir le même montant (on parle de 100 000 $) pour porter l’uniforme des Glorieux.
C’est ainsi que Jean Béliveau est devenu, selon André, le joueur le mieux payé du Tricolore.
De son séjour à Québec, Jean Béliveau n’a pas que récolté la gloire, mais il y a surtout trouvé la perle rare de sa vie.
Cette perle, c’est évidemment Élise Couture, qui lui a donné sa fille Hélène, et plus tard, ses petites-filles, Mylène et Magalie, qui ont été toutes les quatre sa plus grande raison de vivre.
M. Béliveau, c’est connu de tous, a même refusé le poste de Gouverneur général du Canada pour demeurer près des quatre femmes de sa vie à un moment où un drame avait secoué la famille.
Jean Béliveau, l’homme de famille, il l’aura été également pour ses frères et sœurs, même si André avoue que son frère, à partir du moment où il a quitté Victo, est devenu un travailleur à plein temps.
«À Québec, Jean passait ses étés à l’emploi de la Laiterie Laval, puis par la suite, à Montréal, auprès de la famille Molson. À la retraite, contrairement à ce qu’on aurait pu espérer, son agenda est demeuré tout aussi rempli, sinon plus, de sorte que nos rencontres n’étaient aussi nombreuses qu’on l’aurait souhaité, mais toujours intenses et agréables», a résumé André.
À juste titre, le plus jeune membre de la famille Béliveau reconnaît que leur aîné a toujours fait leur fierté, que c’est un homme qui a eu une carrière exceptionnelle et à une après-carrière tout aussi marquante en faisant siennes les valeurs transmises par les parents.
«On peut dire en résumé que Jean a réussi sa vie et a réussi dans la vie», conclut André Béliveau qui confesse qu’il va beaucoup s’ennuyer de son grand frère et de son rire qu’il poussait lorsqu’il racontait avec ses frères et sœurs les quelques rares coups pendables (Eh oui!) qu’il a faits avant de quitter Victoriaville.
Cela tue donc le mythe que Jean Béliveau a été un homme de perfection durant toute sa vie, mais reconnaissons néanmoins qu’il l’a drôlement frôlée.