EXCLUSIF: Drogue au volant: la police est désormais mieux équipée pour la détecter

Si la peur de se faire prendre est la raison évidente de la baisse des cas répertoriés de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, cette même crainte peut dorénavant s’appliquer aux automobilistes qui ont consommé des drogues et des médicaments.

Car les agents de la paix sont maintenant en mesure de détecter la prise de drogues et de médicaments chez les conducteurs qu’ils arrêtent, soit lors d’un barrage policier ou lorsqu’ils perçoivent un comportement erratique sur la route ou encore quand un véhicule n’est pas règlementaire.

On trouve actuellement au Québec environ 50 agents évaluateurs spécialement formés en vertu du programme ERD (Expert en reconnaissance de drogues), calqué sur le modèle américain et accrédité par l’Association internationale des chefs de police (IACP). Ce nombre est appelé à augmenter sensiblement au cours des prochaines années afin de répondre adéquatement aux besoins des forces policières. Au Québec, c’est l’École nationale de police de Nicolet (ENPQ) qui gère ce programme, lequel est maintenant mieux appliqué depuis qu’il a été traduit en français en 2010.

Dans le cadre d’un séminaire de formation en pathologie judiciaire destiné aux coroners du Québec et organisé par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML), le coroner drummondvillois Yvon Garneau a pris connaissance de statistiques impressionnantes concernant les facultés affaiblies par des drogues et des médicaments. «C’est renversant; on se rend compte qu’il y a beaucoup plus de drogues qu’on le croit en général chez les automobilistes. D’où l’importance pour la police d’être bien outillée pour réagir», a-t-il indiqué.

La façon de procéder est la suivante : si le policier de première ligne soupçonne qu’un automobiliste a les capacités affaiblies par la drogue et un médicament, il demande l’intervention d’un agent évaluateur qui rencontre le suspect amené au poste de police où une série d’examens standardisés est alors effectuée en 12 étapes (alcotest, dilatation de la pupille, l’équilibre, les réflexes musculaires, jambe levée, le doigt sur le nez, l’attention psychophysique, le rythme cardiaque, pression sanguine, etc).

L’agent évaluateur termine l’examen par un prélèvement biologique (urine, sang ou salive). Selon un document exclusif obtenu par L’Express, il doit déterminer que le suspect a les capacités affaiblies par l’un des produits identifiés dans l’une des sept catégories de drogues et de médicaments : les dépresseurs (barbituriques, tranquillisants, anti-anxiété) qui ralentissent les opérations du cerveau; les stimulants (cocaïne, crack, méthamphétamine) qui accélèrent le rythme cardiaque et élèvent la pression sanguine; les hallucinogènes (LSD, ecstasy) qui modifient la perception de la réalité; les anesthésiques dissociatifs (PCP) qui inhibent les systèmes neuronaux; les narcotiques analgésiques (opium, codéine, morphine) qui provoquent une certaine euphorie tout en soulageant la douleur; les inhalants (essence, peinture), qui altèrent le fonctionnement de la pensée; et le cannabis.

Lorsque l’agent évaluateur est arrivé à la conclusion que le suspect est affecté par l’une des sept familles, il ordonne un prélèvement biologique qui est immédiatement acheminé au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, à Montréal, qui effectue un dépistage toxicologique permettant de confirmer la conclusion de l’agent évaluateur. Si c’est le cas, le procureur aux poursuites criminelles et pénales peut déposer des accusations de facultés affaiblies contre l’individu arrêté.

Pascal Mireault, directeur de la toxicologie et médecine légale au LSJML, indique que le nombre d’analyses effectuées dans son laboratoire est allé en augmentant, passant de 23 en 2009, à 54 en 2010, à 109 en 2011 et à près de 225 en 2012. «Il faut savoir que le Code criminel permet depuis le 2 juillet 2008 d’exiger le prélèvement de certaines matrices biologiques aux conducteurs avec les capacités affaiblies. Et le Québec est en train de rattraper à grande vitesse le retard en cette matière comparativement aux autres provinces canadiennes. Il faut dire que les services de la police doivent faire des efforts organisationnels considérables pour former un policier agent évaluateur, une formation qui exige deux semaines de théorie et une semaine de pratique dans une prison en Arizona. Nous, au LSJML, on peut répondre à la demande en-deçà de cinq mois, souvent en moins de trois mois à cause des nouvelles ressources embauchées pour faire face à ce nouveau mandat».

Dans les statistiques que l’équipe de Pascal Mireault a pu compiler, ce qui n’a jamais été fait ailleurs, certaines sont stupéfiantes. «J’ai été surpris par ce que nos analyses ont révélé. Dans un même échantillon, il est commun de détecter plusieurs drogues et médicaments… Vraiment un cocktail impressionnant et dangereux. De plus, le GHB (considéré à tort comme drogue du viol) arrive au troisième rang dans le tableau de la prévalence, après le cannabis et la méthamphétamine. Le GHB ne coûte pas cher, mais ses effets similaires à l’alcool sont extrêmement dangereux», rappelle-t-il.

Pascal Mireault souligne qu’il est rare que le LSJML accorde des entrevues aux médias, mais «il important de faire savoir que la drogue et les médicaments au volant sont maintenant détectables, le but dans tout ça étant de sauver des vies».

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