DRUMMONDVILLE. Femme d’affaires et immigrante bien intégrée au Québec, Mariam Simbré a importé un conteneur de beurre de karité pour son magasin. Une facture de 100 000 $. Loin d’en profiter, elle a plutôt perdu une grande partie de ce qu’elle avait, à la suite d’une série d’imbroglios avec les douanes canadiennes.
Dans son commerce Super Marché Tropical Africa, on retrouve des cosmétiques, des bijoux, des vêtements et des produits alimentaires africains. Elle y vend surtout sa marque de beurre de karité, Sanema. En plein cœur des travaux sur la rue Lindsay, on a du mal à accéder à la boutique, même à pied. Les travaux incessants depuis le mois de mai n’ont rien pour aider la commerçante.
Mariam Simbré est partie de son Burkina Faso natal il y a 21 ans. Elle a vécu à Montréal, d’abord, puis s’est installée en 2018 à Drummondville. Elle a décidé d’acheter en gros le beurre de karité qu’elle vend, soit un conteneur entier. Pour ce faire, elle a contracté en janvier 2022 un prêt de 100 000 $ auprès de la Banque de développement du Canada (BDC) et est déménagée au 607 rue Lindsay en juillet pour agrandir la boutique, en prévision de l’arrivage.
Durant ce temps, elle a fait le deuil de sa mère, décédée le 11 décembre, quelques semaines avant d’obtenir le prêt de la BDC. «J’étais dégoûtée de la vie, mais je me suis dit que j’allais me concentrer sur mon commerce», dit-elle.
À l’intérieur du conteneur, une boîte est placée avec de la paille d’avoine et quelques pots en terre cuite servant pour le beurre de karité. «Au Burkina Faso, on utilise la paille d’avoine qu’on mélange avec du beurre de vache. On fait bouillir le tout et on l’emploie en onguent pour prévenir les AVC. J’ai un problème de genoux, les examens médicaux n’ont rien trouvé. J’ai voulu me servir de cet onguent pour me masser. J’avais aussi des poteries pour mettre le beurre de karité dedans. Ils ont mis la paille dans la boîte pour protéger les pots. Je ne savais pas que c’était interdit», expose la quinquagénaire.
Le conteneur arrive le 31 juillet au Canada. On avise Mme Simbré qu’il est saisi pour inspection dans la semaine du 8 août. Le 10 août, une décision de renvoi est prise. Le 16 août, elle reçoit une facture pour les frais d’inspection. «J’ai payé et je me suis rendue aux douanes et c’est là qu’on m’a dit que je ne pouvais pas avoir le conteneur. On m’a dit de louer un entrepôt sous douane pour inspecter le conteneur». Elle leur a demandé une liste d’entrepôts sous douane, ce qui lui est fourni. Elle contacte une entreprise qui accepte d’entreposer son conteneur. Quand les responsables de l’entrepôt se sont présentés pour le récupérer, on leur a annoncé que le contenu devait être fumigé.
Mariam Simbré a ensuite demandé la liste des compagnies autorisées pour la fumigation. Elle en embauche une. Le processus lui coûte 10 800 $. «J’ai rempli toutes mes cartes de crédit. Finalement, j’ai vu qu’il y avait encore une note de renvoi, et ce, même si le conteneur a été fumigé. J’ai demandé à voir le conteneur et ils ont refusé. Le monsieur de la fumigation, ça fait 17 ans qu’il fait ce travail et il n’a jamais vu de conteneur fumigé renvoyé», raconte la dame.
Dès qu’elle a su que la paille d’avoine posait problème, elle a demandé aux agents de tout détruire, paille et pots, et de lui remettre le beurre de karité. Ils n’ont pas répondu. Tentant de se garder la tête hors de l’eau, elle a contacté la BDC pour expliquer sa situation, mais elle a reçu une mise en demeure pour défaut de paiement.
La saga se poursuit. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) lui demande un certificat vétérinaire. «J’ai appelé au Burkina Faso. On m’a dit qu’il n’y avait pas de viande dans le conteneur ni produit animalier; donc que ça ne s’appliquait pas. Chaque année, on a des milliers de conteneurs qui arrivent au Québec avec du beurre de karité fait d’huile de sésame, et l’avoine est cultivée dans le même champ. Normalement, quand ils veulent saisir un conteneur, ils nous avisent. Ils nous expliquent la problématique et s’il manque des documents, on les fournit. Mais on ne m’a pas contactée. Je les ai contactés pour leur demander s’il y avait de la drogue dans le conteneur. Ils m’ont dit non, que c’est la paille d’avoine. J’ai fait des recherches et j’ai trouvé que la paille d’avoine est reconnue dans la médecine traditionnelle au Québec», ajoute-t-elle.
Au Burkina Faso, il n’y a pas de port. On transite par le Togo, le Ghana, le Bénin… C’est au Togo qu’ils ont renvoyé le conteneur.
«Du Togo au Burkina Faso, il me faut au moins 6 000 $ à 7 000 $ pour le récupérer. Je n’ai pas cet argent. Le transporteur me facture aussi 2 300 euros pour l’entreposage de décembre à janvier», raconte la Drummondvilloise.
Elle tente maintenant de récupérer le conteneur pour liquider sur place son contenu. «Le beurre de karité a toujours été dédouané sans soucis. Moi ça fait 13 ans que j’ai ce commerce et je n’ai jamais eu de difficultés. Je suis prête à aller là-bas pour diminuer les pertes. Mais les 2300 euros qu’on me demande, je ne les ai pas. On me réclame les frais de réexportation. Je n’ai pas cet argent», se désole-t-elle.
Facture par-dessus facture
Le temps passe et les factures s’empilent. Le loyer de juillet n’est pas encore payé. Mme Simbré dit qu’elle s’est toujours arrangée pour trouver l’argent jusqu’à maintenant, quitte à se priver de manger. Ses cartes de crédit sont suspendues et elle a une entente de paiement. La BDC lui a donné jusqu’en septembre pour rembourser son prêt. Mariam Simbré est désespérée.
«Je cherche une solution, ajoute-t-elle. Ce matin, la compagnie de transport m’a demandé 3 682 $ US pour qu’on me donne les documents de renvoi. On ne me les a pas donnés. Même si j’ai trouvé des transitaires qui pourraient aller chercher le conteneur, sans ces papiers, personne ne peut le sortir».
L’entreposage au Togo lui est chargé à 250 euros par jour. De décembre à juillet, on lui demande donc 15 000 euros en frais. «Y a-t-il du diamant dans ce conteneur?, questionne-t-elle. J’ai payé 12 000 $ juste pour le transport du Burkina Faso jusqu’au Canada. Une fois qu’il est arrivé ici, j’ai payé 11 000 $. Sans compter qu’ils l’ont réexporté, ça aussi ce sont des frais, sans compter le contenu même qui m’a coûté plus de 100 000 $.»
Autre souci : le beurre de karité du conteneur est exposé au soleil d’Afrique depuis décembre. Il n’est pas impossible d’envisager qu’il puisse rancir et fondre.
Un exemple d’intégration
Amère et découragée, Mme Simbré se demande si ses efforts pour contribuer au développement du Québec sont valables. Elle a fondé une entreprise, a élevé trois enfants seule et a fait des levées de fonds pour l’Hôpital Sainte-Justine.
Sa descente aux enfers lié au conteneur a commencé en décembre 2021. Plongée dans le deuil, elle a décidé de se consacrer à son commerce et à ses projets. Entre autres, elle a le désir de s’acheter une maison à Drummondville, et prévoit engager du personnel.
À l’été 2022, tout se met à s’écrouler. «Ils ont chamboulé mes rêves. J’ai tout fait pour m’intégrer. Ça a mis fin à tous mes projets», conclut-elle.
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