Passeuse de traditions, passeuse de passion

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Par Claude-Hélène Desrosiers
Passeuse de traditions, passeuse de passion
Caroline St-Martin.(Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Caroline St-Martin a la danse dans la peau. Quiconque ayant fréquenté Mackinaw, de près ou de loin, la connait, ou du moins, la reconnait. Danseuse, chorégraphe, directrice artistique, enseignante, elle a occupé plusieurs fonctions centrales. Pilier discret, leader tranquille, Caroline St-Martin a été forgée par Mackinaw.

Fondée en 1984, la compagnie de danse Mackinaw célébrera donc bientôt son 50e anniversaire. L’histoire de Caroline St-Martin y est intimement liée. Tout a commencé avec sa sœur Julie qui, après avoir participé à un atelier à son école, voulait passer l’audition pour faire partie de Mackinaw. Comme elle n’avait que 10 ans, sa mère lui a demandé d’y accompagner sa sœur.

«Déjà à cette époque ma mère trippait sur le Festival mondial de folklore (NDLR : festival qui s’appellera par la suite le Mondial des cultures). On y allait tous les étés. On arrivait avec notre gros cooler avec le dîner et le souper et on y restait toute la journée. Les 10 jours, on les passait là», se remémore Caroline St-Martin.

En septembre 1984, alors âgée de 17 ans, elle décide d’auditionner à son tour. Elle est acceptée dans la relève, tandis que sa sœur fait partie de l’équipe de jeunes. C’était le début d’une longue histoire d’amour. Après un an dans la relève, elle intègre l’équipe de spectacles. Parallèlement, elle commence comme professeur à l’école de danse.

«En 1989, je finissais mon cégep en soins infirmiers et je me suis dit qu’avant de travailler comme infirmière, j’avais vraiment le goût de vivre un trip de danse. Avec les contacts qu’on avait au Festival de folklore, j’avais le choix d’aller en Slovaquie ou en Hongrie. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de courriels. Ça se passait par téléphone, par lettre… Finalement, c’est la Hongrie qui m’a répondu le plus tôt». La jeune Caroline connaissait déjà la troupe, qui était venue au Festival de folklore en 1986. Elle part donc s’installer en Hongrie de septembre à décembre, dansant tous les jours. Le directeur du groupe la renseignait aussi sur le pays, sur sa géographie. «On parlait en anglais ensemble, avec un peu de hongrois. J’utilisais le dictionnaire… C’était vraiment l’immersion totale», s’exclame-t-elle.

À son retour, celle qui pensait commencer son travail comme infirmière se fait plutôt offrir un poste à l’école de danse à temps plein, en plus de faire partie de l’équipe de spectacles. Elle n’aura jamais exercé la profession, finalement. «En 1996, je dansais avec l’équipe professionnelle, tout en enseignant et en travaillant au bureau».

Mackinaw a subi maintes transformations au fil des années. Dans les dernières années, elle a fait du mentorat avec Eve Tessier, chargée de projets, histoire de passer le flambeau. Durant la pandémie, elle commence à travailler dans une école primaire, ce qu’elle fait encore. Elle s’est gardé un seul groupe à l’école de danse. «J’aime beaucoup transmettre aux jeunes. De les voir quand ils font des spectacles, de constater ce qu’ils ressentent, la fierté qu’ils ont… ça m’a toujours beaucoup apporté», explique-t-elle. C’est ce qui l’a aidée à mieux gérer le moment où elle a dû arrêter de danser professionnellement. «J’aimais tellement danser! Finalement, le fait de voir le produit sur scène, c’est devenu une autre sorte d’appréciation».

Une histoire de famille

Dans l’immense costumier de Mackinaw. (Photo : Ghyslain Bergeron)

En dansant, Caroline St-Martin a aussi trouvé… l’amour. En 1986, parmi une troupe hongroise participant au Festival de folklore, il y avait un jeune danseur hongrois qui lui est tombé dans l’œil. Après son départ, ils se sont écrit des lettres, mais la communication n’était pas facile! «Quand je suis allée en 1989 faire mon stage en Hongrie, il travaillait à la Maison de la culture. On se voyait plus souvent». C’est ainsi que le couple convole en 1994 et fonde une famille formée de quatre garçons.

L’avantage d’avoir un mari danseur, c’est qu’il comprenait bien les exigences de la vie de tournée. La vie de famille pouvait donc se vivre en plus de la carrière. «Au début, j’étais responsable de l’équipe de spectacles le dimanche, dans le temps où j’allaitais. Dans le temps, on n’avait pas de congé de maternité! Il y avait des jeunes de la relève qui s’occupaient de mon bébé, et elles venaient me voir quand c’était le temps que je l’allaite… C’était un peu fou, j’ai toujours été très intense dans la vie. Tant qu’à le faire, on ne le fait pas à moitié», s’exclame-t-elle.

Au Mondial des cultures, les garçons étaient là aussi. «Ils faisaient partie de la gang. Je ne m’inquiétais pas. C’était tellement une grande famille naturelle. Ils aidaient, ils jouaient… ce n’était pas très compliqué». Mme St-Martin se souvient également d’un voyage à Toronto avec 47 jeunes de la relève, alors qu’elle avait un bébé de 3 mois. «Les enfants ont toujours suivi».

Plus vieux, ses garçons ont tous dansé.

L’amour du monde

Elle a l’amour de transmettre ses connaissances. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Jeune, c’est la musique du monde que Caroline St-Martin adore. Le rythme, la vibration de la basse, ça lui plaisait. Son père lui avait ramené d’un voyage d’affaires un 33 tours de musique roumaine. Déjà, ces rythmes rapides l’attiraient.

Le goût de la danse traditionnelle québécoise lui est venu après. «J’ai appris à aimer la gigue et la musique québécoise en dansant. J’ai fait des perfectionnements avec Normand Legault, Pierre Chartrand… Tranquillement pas vite, les chorégraphies ont changé un peu, c’était plus vivant. Maintenant, j’apprécie autant la musique québécoise que la musique du monde», note-t-elle.

Au-delà de la danse, Mme St-Martin est passionnée par les différentes cultures du monde. Elle affirme aimer apprendre sur les pays, les raisons qui font qu’on fait telle chose dans une danse…

Si au départ, c’est la musique qui l’a intéressée, dès qu’elle est entrée dans la troupe de danse, c’est le sentiment d’appartenance qui l’a accrochée. «C’est assez incroyable. Je me suis fait des amis qui sont encore mes meilleurs amis. Quand on se revoit, c’est comme si on s’était vus hier. On a partagé tellement de choses intenses! C’est la même chose pour mes gars, leurs meilleurs chums, c’est du monde avec qui ils ont dansé et avec qui ils ont vécu des trips… Le festival, là, ce n’est pas rien! On vivait 24 heures sur 24 ensemble. Et tu vis des choses tellement fortes… Quand tu danses devant 5000 personnes, c’est quelque chose. Tu essaies d’être le plus vrai, le plus hot possible pour que ces gens-là aiment ce que tu es en train de présenter. C’est vraiment puissant, ce qu’on peut vivre», confie-t-elle.

La fin du Mondial des cultures

La fin du Mondial des cultures, dont la dernière édition s’est déroulée en 2017, a eu un gros impact sur Mackinaw. Caroline St-Martin était bien peinée sur le plan personnel, puisque sa vie s’est en quelque sorte construite autour de l’événement.

Pour Mackinaw, ça a été la perte d’une vitrine immense. Des gens les y voyaient et la troupe était en demande ailleurs par la suite. Il y avait également les liens qu’ils tissaient avec les troupes invitées et avec qui ils pouvaient faire des échanges. 6 ans plus tard, Mme St-Martin voit mieux les répercussions. Pour Mackinaw, «la troupe-hôte du Mondial», il ne suffit plus que de se nommer pour se faire reconnaitre. «Les enfants du primaire n’ont plus aucune idée de qui est Mackinaw. C’est une grosse perte. Aujourd’hui, ce n’est plus 5000-10 000 personnes qu’on arrive à toucher».

À ne pas négliger non plus, l’impact de ce bain culturel pour les danseurs. Ils avaient l’habitude de passer 10 jours à aller voir les autres troupes, ce qui était formateur pour eux. «Avant je leur disais qu’on allait faire “du gitan” et ils savaient c’était quoi. Plus aujourd’hui. Je me souviens, on finissait le Mondial et ils voulaient tout de suite savoir ce qu’on ferait en septembre comme danse, parce qu’ils avaient vu plein de choses inspirantes».

La relève

Aujourd’hui, Árpád-Xavier Bócz, l’un de ses fils, est codirecteur général et artistique de Mackinaw. Lorsque L’Express Magazine lui demande ce que ça lui fait de voir son fils à ce poste, elle devient émue. Ça la rend heureuse.

Elle constate qu’elle a transmis sa passion, mais pas seulement. Elle voit qu’elle a légué à ses enfants l’ouverture sur le monde. Et puis pour tous les danseurs qui sont passés, elle trouve que de danser chez Mackinaw, ça amène de belles valeurs. Au lieu de percevoir un étranger comme quelqu’un dont on doit avoir peur parce qu’on ne le connait pas, ils voient l’étranger comme quelqu’un qui peut leur apprendre de sa culture. «Quand tu t’ouvres sur le monde, tu t’ouvres sur tout. Tous les gens devraient danser dans la vie», fait-elle valoir.

Elle termine : «Mackinaw a été fondé en 1974 et je suis arrivée en 1984. J’ai manqué les 10 premières années. Ça fera bientôt 40 ans. Je suis passeuse de traditions, passeuse de passion. J’ai donné beaucoup, mais j’ai reçu beaucoup aussi. Si je suis devenue la personne que je suis aujourd’hui, c’est beaucoup parce que Mackinaw m’a forgée.»


Un bon souvenir de danseuse

Quand on a dansé pour la reine mère! En 1989, elle est venue à Ottawa et on a dansé pour elle. Elle est passée devant moi et Erick Tarte, je m’en souviendrai toujours. Elle nous avait dit : «Oh, vous avez de beaux chapeaux!» Ça m’a marquée pour la vie. (NDLR : Il s’agissait de la dernière visite de la reine mère au Canada, elle qui est décédée en 2002)

Un bon souvenir comme chorégraphe 

Les moments au Mondial des cultures. Quand il y avait quatre pays et qu’il fallait monter un numéro… On ne le réalisait pas à l’époque, mais c’était quatre troupes qui parlaient quatre langues, ils se ramassaient 100 danseurs sur la scène et ils faisaient un numéro commun… Ça, j’avais des frissons.

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