REQUINS. L’attente est enfin terminée pour Jeffrey Gallant. Après trois années loin de l’eau, l’explorateur de renommée internationale part à la rencontre du fameux requin blanc.
Dans le cadre d’une expédition de recherche menée par l’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS), dont il est le directeur scientifique, Jeffrey Gallant tentera d’effectuer le tout premier marquage de requins blancs au Québec. Prévue du 12 au 25 septembre, l’expédition Brion22 se déroulera au large des Îles-de-la-Madeleine, plus précisément près de l’île Brion, une réserve écologique située à 16 kilomètres au nord de Grosse-Île.
«L’île Brion semble être un lieu de congrégation où les requins se rassemblent de la fin août jusqu’au début novembre, a expliqué Jeffrey Gallant, qui agira comme chef d’expédition. C’est logique, puisque Brion accueille environ 10 000 phoques gris, soit la deuxième plus grande colonie au monde. Comme le requin blanc se nourrit principalement de phoques, c’est un garde-manger extraordinaire pour lui en plein centre du golfe du Saint-Laurent. Il y a aussi du thon et d’autres espèces de poissons dont se nourrit le requin. C’est vraiment l’endroit rêvé pour un chercheur.»
Depuis quelques années, Jeffrey Gallant suit les mouvements des requins blancs par l’entremise des émetteurs satellites de l’organisme Ocearsh. Grâce au marquage des spécimens observés à l’île Brion, l’ORS pourra mieux comprendre comment le requin blanc interagit avec son environnement.
«Comment le requin utilise-t-il la colonne d’eau sur une base quotidienne? À quelle profondeur se tient-il? À quelle température? Est-ce qu’il y a une corrélation avec les marées ou la luminosité? Ses mouvements sont-ils coordonnés avec les activités des phoques? Les données qu’on va enregistrer à Brion seront très intéressantes», a lancé le Drummondvillois, en précisant qu’aucun requin ne sera capturé ni retenu d’aucune manière.
Faisant partie du réseau Ocean Tracking Network, un organisme qui marque plusieurs espèces animales à travers le monde, l’ORS partagera ses données avec les autres groupes membres de cette plate-forme.
«On va installer des récepteurs acoustiques sous l’eau. Ce faisant, quand les animaux des autres chercheurs vont venir, on va enregistrer des données pour eux. Puis, quand les requins de Brion vont descendre la côte des États-Unis pour retourner vers leur aire hivernale, ils vont être détectés par les récepteurs d’autres chercheurs qui vont partager informations avec nous. On va donc avoir des informations sur ce qui se passe non seulement à Brion, mais un peu partout ailleurs», a énoncé Jeffrey Gallant.
Pour attirer les requins, les membres de l’expédition utiliseront par ailleurs des appâts alternatifs.
«On a fait faire un mélange spécial d’attractifs, qui est composé de poissons. Ce sont des résidus et des sous-produits de l’industrie de la pêche, qui autrement iraient au compostage ou aux rebuts. Il n’y a donc pas une pêche qui a été faite spécifiquement pour nous, mais c’est suffisant pour attirer les requins et ce n’est pas néfaste pour l’environnement», a exprimé Jeffrey Gallant.
Une saveur drummondvilloise
Le défenseur des requins est fier de souligner la participation record de la communauté drummondvilloise dans le projet Brion22. Quatre des neuf membres de l’équipage du voilier EcoMaris sont d’ailleurs originaires de la région, en plus des collaborateurs qui ne seront pas à bord du navire.
Fabriquée en 2000 au Centre de formation professionnelle Paul-Rousseau, la cage d’observation de requins de l’ORS a récemment été mise à niveau par des étudiants en génie mécanique du Centre national intégré du manufacturier intelligent (CNIMI) de Drummondville. Pendant la mission, le professeur de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) Marc-André Gaudreau sera responsable de l’ingénierie et de la logistique de la cage.
Utilisée pour la première fois lors d’une expédition au large de Halifax afin d’observer des requins bleus, puis dans le Fjord du Saguenay en 2002, cette cage n’a pas servi depuis 20 ans. Lors de ses missions près de Baie-Comeau, où il a mené le premier marquage sur un requin du Groenland en 2012, Jeffrey Gallant n’a pas utilisé cette cage.
«Cette mise au point était nécessaire. On veut protéger à la fois les requins et les êtres humains qui sont dans la cage. Il ne faut pas que la cage devienne un risque pour les requins. On s’assure donc que les soudures faites en 2000 ne sont pas coupantes. Il y a beaucoup de polissage à faire», a expliqué Jeffrey Gallant pendant que les étudiants Marc-André Baril et William Messier s’affairaient autour de lui.
«Le requin blanc, c’est une toute autre bête que le requin bleu, a poursuivi le spécialiste de la plongée sous-marine. À l’époque, on ouvrait la porte de la cage et on a même filmé à l’extérieur de celle-ci. Avec le requin blanc, il faudra rester dans la cage du début à la fin.»
Ainsi, les étudiants du CNIMI ont conçu des volets pour les fenêtres d’observation de la cage. «Ça évitera à des requins plus petits de se coincer dans les ouvertures et de se faire mal. De plus, en haut de la cage, il y a maintenant un garde qui fait tout le tour pour empêcher un assistant ou un plongeur de tomber à l’eau ou encore un requin de grimper par-dessus.»
L’expédition Brion22 aura également une saveur familiale. Le frère de Jeffrey, Davy Hay Gallant, agira comme photographe. Le fils de Davy, Luka Gallant, occupera quant à lui le rôle de vidéaste et de responsable des médias sociaux.
«C’est important de documenter cette expédition, de capter tout ce qui se passe au niveau scientifique et technique, mais aussi les émotions, l’environnement et les interactions entre les participants. Luka sera aussi le représentant de la jeunesse. Il apporte du sang neuf dans notre équipe», a indiqué Jeffrey Gallant, en soulignant également la collaboration du campus drummondvillois de l’UQTR, du Cégep de Drummondville, de la distillerie du 29 octobre, les marchés IGA Clément et de Revo Canada dans ce projet.
Le scientifique bénévole, qui enseigne l’anglais au Cégep, a rappelé que l’ORS est un organisme à but non lucratif ne misant que sur des dons pour se financer afin d’étudier les requins du Canada atlantique et de l’océan Arctique. «Après 20 ans, on atteint enfin notre vitesse de croisière. Notre organisme n’est pas riche, loin de là, mais on est moins stressés. Grâce à la réponse de la communauté, on est plus à l’aise pour réaliser nos projets.»
Débordant d’idées afin de conscientiser la population à l’importance du requin, son rôle et la nécessité de le protéger, Jeffrey Gallant planche notamment sur un livre qui s’intéressera aux sept espèces de requins vivant dans le golfe du Saint-Laurent ainsi que sur un documentaire sur le requin blanc. L’ORS lancera par ailleurs des travaux de recherche dans l’espoir d’attirer les requins avec des attractifs acoustiques plutôt qu’organiques.
«On prépare cette expédition depuis longtemps. Il y a un enthousiasme comme je n’ai jamais vu pour un projet comme ça. On va avoir les mains pleines, mais je pense qu’on va avoir beaucoup de plaisir à travers ça. Après deux ans de pandémie, je vois un peu le projet Brion comme un renouveau. Non seulement on retombe en action, mais on passe à un autre palier», a conclu l’ami des requins.