TÉMOIGNAGE. Adoption d’un régime alimentaire. Entraînement excessif. Obsession du poids. Après avoir perdu 100 livres en six mois, Antoine Gervais a fait face à un mur. Il a réalisé qu’il souffrait d’anorexie mentale.
À l’adolescence, Antoine avait un rapport sain avec l’activité physique. L’hiver, il jouait au hockey; l’été, il avait un plaisir fou à courir sur les terrains de soccer. Les sports collectifs l’ont toujours passionné. Il tirait avantage de sa carrure robuste pour défendre ses coéquipiers. Du côté de l’alimentation, il mangeait tout ce qu’il voulait, sans penser à son poids.
Habité par un intérêt pour le monde sportif, le jeune homme a poursuivi son parcours académique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) en s’inscrivant au baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé. Pour ce faire, il a quitté le nid familial en logeant dans un appartement à proximité de l’institution scolaire.
Dès la rentrée, l’étudiant a réalisé que sa condition physique contrastait avec celle de ses camarades. «Je n’étais pas en forme quand je suis arrivé à l’université, mais ce n’était pas une préoccupation pour moi. La première session a très bien été. J’étais sur le party et je m’entendais bien avec tout le monde», raconte-t-il, en précisant qu’à l’époque, il pesait 240 livres.
À la fin de la session, un déclic s’est produit chez Antoine. Lors d’un cours, les étudiants étaient invités à calculer leur indice de masse corporelle. Le jeune homme a été classé dans la catégorie «obèse morbide». Il a éprouvé un vertige.
«Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Quand le mois de janvier est arrivé, je me suis donné comme résolution de me remettre en forme.»
Un changement extrême
Antoine a embarqué à fond dans son défi personnel. Il était habité par une motivation à toute épreuve. Pour lui, la solution logique était de changer son alimentation en éliminant les «mauvais aliments». Le tableau des valeurs nutritives n’avait plus de secret pour le jeune homme. Son assiette était composée de légumes, de viande ou de riz. Rien d’autre.
«Ça a marché. J’ai commencé à perdre du poids. Éventuellement, j’ai enlevé le riz. Je mangeais juste des légumes et de la viande. Ensuite, j’ai pris l’initiative d’éliminer la viande de temps en temps. Je me nourrissais majoritairement de légumes», soutient-il.
Dès qu’il publiait une photo sur les réseaux sociaux, une tonne de personnes applaudissaient sa perte de poids. Question d’améliorer ses résultats, Antoine a ajouté la course à pied à sa routine. «Je haïssais ça. J’étais habitué de courir après un ballon ou une rondelle. Au début, ce n’était pas évident de se motiver.»
En habitant tout seul, il était libre de faire son jogging quand il voulait, de jour comme de soir. Lorsqu’il revenait à la maison familiale, la fin de semaine, il devait composer avec le regard de ses proches.
Sa mère, Julie Gosselin, a vécu cette période difficilement. «Les premières semaines, on l’encourageait. Un moment donné, ça prenait de plus en plus de place. Son poids descendait à vue d’œil. Je commençais à m’inquiéter. Quand je lui posais des questions, il me répondait toujours la même chose. Il me disait qu’il allait bien et qu’il se sentait en forme», se remémore-t-elle.
Cette dernière ne croyait pas aux belles paroles d’Antoine. Elle savait qu’il n’était pas bien dans sa peau. «Il n’admettait pas qu’il avait un problème. Tant qu’il ne prenait pas conscience de la situation, je ne pouvais rien faire pour lui. Quand ton enfant a cinq ans et que tu lui demandes de manger son assiette, il va la manger. Quand il est dans la vingtaine, c’est différent», amène-t-elle.
Malgré tout, Julie restait proche de son fils, en montrant tout son support.
La prise de conscience
La vision d’Antoine a changé en juin 2017, alors qu’il a fait une prise de conscience importante. Comme tous les matins, il est monté sur le pèse-personne. En regardant le chiffre sur la balance, il a eu le souffle coupé. En six mois, le jeune homme avait perdu 100 livres. Il a réalisé que quelque chose clochait.
Pour sa part, Julie se rappelle très bien cette journée. «Il était 5h30. Ma porte de chambre était fermée et Antoine a cogné. Je me suis réveillée. Il était debout devant mon lit et il s’est mis à pleurer. Il m’a dit : ‘’Maman, j’ai besoin d’aide’’.»
Ce cri du cœur a été une délivrance pour le jeune homme. À partir de ce moment, la mère et le fils ont travaillé en équipe.
Dès qu’une place s’est libérée dans le programme Loricorps, Antoine a saisi sa chance. Il s’agit d’un groupe de recherche de l’UQTR qui se spécialise dans les troubles du comportement alimentaire. Le jeune homme a eu accès à plusieurs professionnels, en psychologie, en nutrition et en médecine, afin qu’il puisse vaincre l’anorexie mentale.
Ce dernier a réalisé plusieurs rencontres individuelles et en groupe. Il a même participé à des ateliers. «Ma thérapie a environ duré trois ans. Je n’ai croisé aucun garçon lors de mon passage chez Loricorps. Il n’y avait que des filles», commente-t-il.
Antoine et Julie ont aussi assisté à des conférences données par l’organisme ANEB Québec. «Il y a une mère et sa fille qui parlaient de leur expérience avec les troubles alimentaires. La jeune fille était en train de s’en sortir. Ce message d’espoir nous a fait beaucoup de bien. On a compris qu’Antoine pouvait s’en sortir», se souvient-elle.
Reprendre sa vie en main
Cinq ans plus tard, Antoine regarde le chemin parcouru avec émotion. Quelques rechutes ont ponctué sa réhabilitation, mais il a réussi à garder la tête haute et regarder vers l’avant. Il ne se pèse plus. Il mange ce qu’il veut. Il a repris le contrôle de sa vie. Il est maintenant enseignant titulaire d’une classe en sixième année.
«Je vais mieux, mais je demeure fragile. Les pensées reliées au trouble alimentaire restent là, mais elles sont amoindries. À partir du moment où elles ne me font plus souffrir, je considère que je suis guéri», affirme-t-il, du haut de ses 26 ans.
Parmi les éléments qui l’ont aidé à s’en sortir, il y a l’écriture, qui compte beaucoup. L’auteur a plusieurs romans à son actif et il ne veut pas s’arrêter là. Il planche sur un projet d’autofiction qui recense une partie de son histoire avec les troubles du comportement alimentaire. Il veut s’adresser aux jeunes adultes.
«Pour moi, c’est important de raconter mon histoire, car il n’y a pas beaucoup de garçons qui prennent la parole. On associe l’anorexie aux femmes, mais ça touche aussi les hommes. Il faut sensibiliser les gens sur le sujet», conclut-il.
À lire: Troubles du comportement alimentaire: une réalité masculine