JUSTICE. Accompagnées, comprises, considérées et consultées, voilà ce que Québec souhaite pour les victimes de violence conjugale et sexuelle en implantant ses projets pilotes de tribunal spécialisé, dont un au palais de justice de Drummondville.
«Trop longtemps, dans nos palais de justice, on n’a pas considéré la victime comme étant une personne importante dans le cadre du processus judiciaire. Or, elle sera dorénavant au centre du processus. On veut qu’elle soit soutenue du début jusqu’à la fin et que ses besoins particuliers soient répondus», indique d’entrée de jeu Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec.
À partir du moment où une personne déposera une plainte à la police, celle-ci sera dirigée vers le service en question afin d’être prise en charge par les ressources requises, notamment les intervenants du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), avec lesquelles elle suivra son cheminement particulier.
«Elle sera accompagnée par les mêmes personnes tout au long. Un seul procureur de la Couronne en matière de violence conjugale et sexuelle sera aussi attitré. De cette façon, la victime n’aura pas à raconter son histoire à plusieurs reprises à différentes personnes», explique le ministre.
Un programme d’aide au témoignage se mettra également en branle.
«On souhaite que la victime ait un accompagnement adéquat et qu’elle se sente à l’aise. Ça peut être stressant et intimidant d’aller témoigner à la cour, surtout si on a été victime d’agression sexuelle. On va donc leur donner plusieurs outils.»
Cette nouvelle approche nécessitera certains réaménagements des lieux.
«On est en train de faire la cartographie des palais au Québec et voir avec les intervenants des CAVACS quels sont les besoins, par exemple, l’aménagement de salles d’attente pour les victimes. Il faut s’assurer qu’elles croisent le moins possible le présumé agresseur. De plus, on rendra accessible la visioconférence dans tous les palais», détaille M. Jolin-Barrette, sans pouvoir à ce stade-ci préciser le coût de ce vaste projet.
Un autre des objectifs consiste à redonner confiance aux victimes en le système de justice.
«Comme ministre de la Justice, je ne peux pas accepter que quelqu’un n’ait pas confiance en notre système. Il faut tout faire pour qu’il se sente bien, en confiance. Vous savez, seulement 5 % des agressions sexuelles sont dénoncées, donc, ce que nous souhaitons envoyer comme message, c’est que vous pouvez faire confiance au système de justice, vous allez être bien accompagné et n’hésitez pas à dénoncer», soutient M. Jolin-Barrette.
Selon lui, plus les gens feront confiance, plus il y aura de dossiers déposés à la cour, lesquels se traduiront «probablement par un nombre plus élevé de condamnations».
Toutefois, précisons que la mise en place du tribunal spécialisé ne change pas le droit applicable. Les garanties procédurales et les droits des accusés, dont la présomption d’innocence, demeurent.
Le Québec constitue la première juridiction dans le monde à déployer un tel tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Ce projet constitue une recommandation phare du rapport Rebâtir la confiance, déposé en décembre 2020 par le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale.
Les projets pilotes implantés dans cinq districts judiciaires permettront de développer les meilleures pratiques et aussi d’évaluer les retombées du modèle québécois de tribunal spécialisé dans différents contextes.
La MRC de Drummond a été ciblée pour sa taille de district considérée moyenne de même que pour la présence et la proactivité des organismes communautaires œuvrant en matière de violence sexuelle.
Au final, le gouvernement souhaite que le tribunal spécialisé puisse être implanté de façon permanente à travers tout le Québec, et ce, le plus rapidement possible.
Rappelons que l’an passé, le ministre de la Justice a procédé à la réforme du régime de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) et que depuis septembre dernier, les personnes victimes de violence sexuelle ou conjugale ont accès à quatre heures de consultation juridique sans frais, peu importe leur revenu et statut.
«Concernant l’IVAC, on a élargi la notion de victime pour abolir la prescription en matière de violences sexuelle et conjugale. Ça veut dire qu’il n’y a plus de délai pour demander de l’aide financière ou du soutien psychologique. Cela signifie qu’une personne victime qui ne veut pas aller tout de suite dans le système judiciaire peut réclamer l’aide de l’IVAC et lorsqu’elle sera prête, déposera sa plainte à la police», précise le ministre de la Justice.
Un projet pilote bien accueilli dans Drummond
Le projet pilote annoncé par le ministre Jolin-Barrette est accueilli favorablement au sein des organismes communautaires qui œuvrent auprès des femmes victimes de violence sexuelle ou conjugale à Drummondville.
C’est le cas d’Édith Doucet, codirectrice générale de la Rose des Vents, une ressource qui offre notamment un service d’hébergement aux victimes.
«Nous sommes très heureuses que le Québec se dote d’un tribunal spécialisé pour les violences sexuelles et conjugales. De savoir que Drummondville l’a en priorité accroît notre sentiment. Quand des victimes arrivent, on leur présente l’option de porter plainte contre leur agresseur. Ça reste évidemment un choix personnel. Dans leur prise de décision, de savoir qu’il va avoir un tribunal spécialisé, doté d’un environnement plus sécurisant et accueillant, c’est sûr que ça va les influencer. Entre autres, la victime n’aura pas à faire face à son agresseur lorsqu’elle témoignera et les avocats impliqués dans le dossier devront avoir suivi des formations en matière de violence conjugale. C’est une tout autre approche. On parle depuis des années de rebâtir la confiance, on est vraiment dans cette optique-là.»
De son côté, le CALACS La Passerelle, qui lutte depuis des années contre toutes formes de violence sexuelles commises envers les femmes et les adolescentes, espère que le projet pilote aura une incidence sur le taux de dénonciation en matière d’agressions sexuelles.
«Actuellement, en condition pandémique, le taux s’élève à un maigre 5 %. L’une des raisons qui explique ce faible pourcentage est le fait que le processus est long et fastidieux, explique l’intervenante Jocelyne Desjardins. Aussi, la façon de fonctionner actuellement est que les avocats de la défense contestent la crédibilité de la victime, ce qui ajoute à la blessure. Les agressions portent le fait intrinsèque que les victimes sont un peu responsables de ce qui leur est arrivé. Bref, elles pensent qu’elles ne se seront pas crues devant la cour. Ce projet pilote vise à rendre le processus moins lourd et moins difficile. Les femmes vont être soutenues et crues en tout temps. Pour nous, c’est positif, mais il va falloir que le système fasse ses preuves et allège véritablement le processus».
Par ailleurs, l’organisme indique recevoir actuellement l’équivalent d’une demande d’aide par jour ouvrable, à Drummondville.
«C’est plus élevé qu’avant. Depuis le mois de novembre, on a reçu près de 40 nouvelles demandes», précise Mme Desjardins. Huit intervenantes oeuvrent au sein du CALACS La Passerelle de Drummondville.