CORONAVIRUS. Pierrette Desruisseaux sortait de chez elle tous les jours. Elle était si occupée, que le soir, elle ne se couchait pas tard parce qu’elle avait sa journée dans le corps, vous dirait-elle. Mais ça, c’était avant le confinement.
Chaque année, lorsque les bourgeons veulent se pointer le bout du nez, signe que le beau temps est à nos portes, le Centre communautaire récréatif Saint-Jean-Baptiste (CCRSJB) fourmille d’activités. Pickleball, shuffleboard, jeu de poches, badminton, entraînements, cuisine.
La liste est bien garnie et les utilisateurs sont nombreux. Environ 450 chez les aînés de 70 ans et plus, pour être plus précis. Mais ce printemps, les locaux et les terrains sont vides. Autant ceux sur la 18e Avenue que sur la 11e Avenue. Les activités sont sur pause depuis le 13 mars.
Ce jour-là, Pierrette Desruisseaux a reçu un appel pour l’informer qu’elle ne pourrait s’y rendre pour jouer au Pickleball. Ni dans les journées à venir, qui se sont transformées – aussi rapidement que le virus s’est propagé – en semaines. Puis, un premier mois est passé.
Mais même en restant chez soi, la femme de 76 ans se garde bien occupée. «Je vais marcher le matin et l’après-midi. Je regarde les conférences de presse des gouvernements à 11h et 13h. J’ai commencé le grand ménage et bientôt, je vais sortir mon vélo.»
Malgré tout, le CCRSJB lui manque. «Je m’ennuie du groupe social. Moi, j’aime bien le monde. Je m’ennuie de parler avec du monde. Quand je vais marcher, je salue les gens. On se parle à distance», précise-t-elle.
Heureusement, même si elle n’a ni tablette ni ordinateur, le bon vieux téléphone demeure. Et chez la sympathique septuagénaire, il sonne souvent. Ce sont ses amis avec qui elle discute. «Je leur dis qu’il ne faut pas lâcher. Moi, j’ai le moral et je le donne aux autres quand je leur parle», dit-elle. Une fois, lorsqu’elle a répondu, c’était la voix de la comédienne Dominique Michel. «Elle m’a dit : Ben oui, c’est moi, Dodo!», lance Pierrette Desruisseaux.
Même si les activités sont suspendues temporairement au CCRSJB, elle a aussi reçu des appels de la coordonnatrice aux activités Or et Argent, Annie Bisaillon. «Elle voulait savoir si j’avais besoin de quelque chose. Elle m’a dit que ça va bien aller et de ne pas lâcher!»
Peu de temps après les mesures mises en place par le gouvernement, le CCRSJB a décidé d’appeler ses membres âgés de 70 ans et plus.
«Les aînés font partie de notre quotidien. On s’est demandé comment on pouvait prendre soin d’eux. Ça semblait logique de les appeler pour les soutenir, pour savoir comment ils vont et s’ils ont besoin. Ça nous permet de les référer à des personnes-ressources si certains d’entre eux vivent des choses difficiles», explique Mme Bisaillon.
Avec deux autres collègues, elle effectue une vingtaine d’appels par jour. «Je leur dis d’aller marcher, de sortir, de prendre l’air un peu. Le discours n’est plus le même que les premières semaines et les appels durent plus longtemps. Je crois que ça leur fait du bien, et je dois dire qu’à moi aussi», avoue-t-elle.
Optimiste
François Gareau est aussi un habitué du Centre communautaire récréatif Saint-Jean-Baptiste. «Je suis l’un de ces fous du badminton. J’y vais trois fois par semaine», fait savoir l’homme de 79 ans.
Le CCRSJB, il le fréquente depuis presque 30 ans.
«C’est un centre qui sert beaucoup plus de centre social que de centre récréatif. Pour plusieurs, ça leur évite d’être seuls dans la vie. Les personnes s’y retrouvent. On se fait un paquet de copains. Il y a toutes sortes de gens, avec toutes sortes de talents et de goûts différents, qui permettent de garder contact avec la réalité de la société», mentionne-t-il.
Entre les appels quotidiens avec ses enfants et les coups de fil du CCRSJB, François Gareau s’occupe à sa résidence de Saint-Germain-de-Grantham, avec son épouse et leurs deux chats. «On va marcher, on prend l’air, on s’occupe de la maison. On est restreint un peu, mais c’est beaucoup moins que ceux qui sont restreints à leur lit pour le reste de leur vie», indique-t-il.
«Ce n’est pas la première pandémie ni la dernière. Or, la meilleure façon de se défendre actuellement, c’est de rester chez soi et attendre que ça passe. Il y a toujours la lumière au bout du tunnel. Il faut être optimiste. Le soleil se lève, le soleil se couche», philosophe-t-il.
S’occuper autrement
Pour Jacqueline Lantagne, le premier mois a été plus difficile. «Les activités, ça n’existait plus. Pas de projet la semaine, pas de projet la fin de semaine. Ça devient lourd. La semaine dernière, j’ai décidé de m’occuper autrement et de commencer le grand ménage, lance-t-elle en riant. Les heures s’écoulent plus facilement. Par chance, je fais du scrabble et des mots croisés en ligne. J’aime beaucoup lire aussi. Je vais marcher et bientôt je vais sortir mon vélo électrique.»
«Même si ma vie sociale était limitée parce que je n’étais pas la fille pour aller danser, reste que j’avais au moins deux activités régulières par semaine. Alors je voyais des gens. Même si je ne les connais pas de façon intime, on se côtoie, on se dit bonjour. C’est un peu de social qu’il nous manque et c’est ce qui fait qu’on a l’impression de s’arrêter, quasiment même de fonctionner», poursuit la femme de 72 ans.
À travers les hauts et les bas, les coups de fil d’Annie Bisaillon, du Centre communautaire récréatif Saint-Jean-Baptiste, lui ont mis un peu de baume au cœur. «Une des journées où elle m’a téléphoné, j’étais un peu down. Je lui ai dit qu’elle m’appelait au bon moment. On a échangé quelques blagues. Ça m’a fait du bien. C’est toujours agréable de savoir que quelqu’un pense à nous. On se sent moins abandonné. Juste le fait de nous demander comment ça va. On échange quelques paroles et après, ça va bien», souligne-t-elle.
Et quelle sera la première chose que fera cette mère de trois enfants et grand-mère de dix petits-enfants une fois le confinement terminé? «Je vais réunir ma famille pour partager un repas ensemble. [Silence] Après, je vais aller faire l’épicerie!», ricane-t-elle.
En attendant, c’est sa fille, qui réside à Victoriaville, qui s’en charge. «Je lui écris ma liste sur ma tablette, elle va faire les achats et me les laisse à ma porte. On s’entrevoit.»
L’autre jour, sa fille, accompagnée de son conjoint et ses enfants, lui ont fait une surprise. «Ils m’ont téléphoné et m’ont dit de sortir sur mon balcon. De la voiture, ils m’ont envoyé la main, puis sont sortis. Sur mon perron, ils ont laissé du chocolat, un morceau de gâteau et une crêpe parce qu’ils savent que j’adore ça», raconte-t-elle, la voix enjouée.
«J’ai trouvé ça super gentil qu’ils partent de Victoriaville pour venir me voir, même s’ils savaient qu’ils ne rentreraient pas. J’aurais eu un cadeau de 200 dollars, que ça n’aurait pas été plus agréable que ça. Souvent, les cadeaux, on pense que c’est une question de prix. Peut-être avant, mais après le confinement, il y a bien des choses qui vont être différentes», souffle-t-elle.
On ignore combien de temps les aînés, qui sont plus à risque de mourir de la COVID-19, seront confinés. Chose certaine, un jour, les arbres auront fleuri. Les locaux et les terrains du Centre communautaire récréatif Saint-Jean-Baptiste reprendront vie. D’ici là, à l’instar d’autres organismes et de municipalités de la MRC de Drummond, le CCRSJB multipliera les appels auprès des aînés pour leur dire que «ça va bien aller».
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