Les roulottes de la discorde

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Par Marilyne Demers
Les roulottes de la discorde
Des citoyens déplorent la nouvelle règlementation de Saint-Lucien qui interdit la présence de roulottes saisonnières en zone inondable. (Photo : Ghyslain Bergeron )

RÈGLEMENTATION. Les roulottes saisonnières seront bientôt interdites en zone inondable sur le territoire de Saint-Lucien. Des citoyens digèrent mal cette récente décision de la municipalité.

La mise en place d’une zone d’intervention spéciale (ZIS) par le gouvernement Legault en 2019 a amené Saint-Lucien à revoir son règlement de zonage.

Les municipalités inondées lors des crues printanières de 2017 et de 2019 ainsi que celles situées dans la zone inondable selon la cote de récurrence 0-20 ans sont touchées par ce moratoire. Concrètement, la construction ou la reconstruction de maisons dans les secteurs concernés sont interdites.

Comme les dispositions concernant les roulottes saisonnières ne figurent pas dans la réglementation de la ZIS, la municipalité a voulu obtenir une opinion légale, qui a mené à ce verdict. L’avocat consulté s’est notamment référé à un cas qui avait fait jurisprudence… en Alberta.

«Ce décret-là nous a fait nous poser des questions. On ne fait que régulariser le règlement pour être conforme à la loi. Ce n’est pas un choix», indique le directeur général de Saint-Lucien, Alain St-Vincent-Rioux, ajoutant qu’il peut y avoir «différentes interprétations».

La municipalité a dit ne pas savoir le nombre exact de propriétaires de roulottes saisonnières touchés par ces changements. Pourtant, le 13 janvier dernier, des dizaines de personnes ont assisté à une consultation publique, où le second projet de règlement numéro 2020-129 a été adopté.

À la suite de cette séance, plusieurs citoyens sont débarqués dans les locaux du journal pour dénoncer la situation. Sylvain Leblanc et Michel Arseneault, qui détiennent un lopin de terre sur la rue de la Réserve depuis 2018, sont du nombre de propriétaires qui ne pourront plus installer de roulottes saisonnières.

«On a acheté un terrain qui nous a coûté des milliers de dollars et on apprend qu’on ne peut plus rien faire avec. On ne peut pas construire de maisons, ni même y mettre une roulotte. On peut juste apporter notre chaise longue et repartir dormir chez nous après, ironise M. Arseneault. La municipalité ne veut tout simplement pas de roulottes sur son territoire. Elle fait une tout autre interprétation de la ZIS.»

Stéphane Roberge, qui a quant à lui acquis un terrain sur la rue de la Réserve en 2017, s’explique mal la décision prise par la municipalité. «Saint-Lucien nous dit qu’il faut se conformer à la loi, au ZIS. Pourtant, à Drummondville, on retrouve des endroits touchés par le décret où il y a des roulottes. Donc, selon Saint-Lucien, ils sont illégaux?», avance-t-il.

«Si ma roulotte se fait inonder, soit que je quitte, soit que je réclame. Si mes assurances augmentent, c’est mon problème, pas celui de la municipalité», estime M. Roberge, dont le terrain a été inondé par le passé.

Vérification faite, il est permis de stationner une habitation motorisée sur le territoire de Drummondville, mais interdit d’y habiter, que ce soit en zone inondable ou non.

Saga
Ce n’est pas la première fois que les dispositions entourant les roulottes saisonnières soulèvent la grogne à Saint-Lucien. Une lettre de la municipalité envoyée à des propriétaires avait fait réagir en août 2018.

Se référant à un règlement datant de 1992, elle les sommait de retirer leur roulotte dans les 10 jours suivants sous peine d’amende. La situation avait créé la polémique, d’autant plus que certains membres du conseil municipal n’étaient pas au courant de la démarche prise par les services administratifs de la municipalité.

Quelques jours plus tard, au terme d’une assemblée publique houleuse, les élus ont adopté une résolution suspendant la mise en application du règlement municipal en question. Des modifications ont finalement été apportées un an plus tard.

Il a été décidé que l’installation d’une roulotte saisonnière pour une fin de semaine allant jusqu’à quatre jours ou pour moins de 10 jours soit faite par écrit auprès de la municipalité. Pour dix jours et plus, un formulaire doit être acheminé au bureau municipal.

Alors que la mairesse Diane Bourgeois avait rapporté que certains avaient «vu des petits cadeaux flotter sur la rivière», des dispositions supplémentaires ont été ajoutées, dont l’obligation de relier la roulotte à une installation septique conforme. Un permis en ce sens doit accompagner le formulaire.

Comme c’est aussi le cas pour d’autres propriétaires de roulottes, Stéphane Roberge a fait les démarches nécessaires pour se conformer. «J’ai pris rendez-vous avec le directeur général pour confirmer le règlement pour chez moi. J’ai un terrain, mais deux cadastres. Il m’a dit qu’en théorie, je pouvais avoir deux roulottes», fait-il savoir.

«J’ai fait les travaux nécessaires pour avoir une fosse septique conforme, à la lumière de ce qu’il m’a dit. J’ai encouru des dépenses, mais maintenant, la municipalité me dit que je n’ai plus le droit à aucune roulotte», poursuit-il.

En juin 2019, le règlement de zonage de Saint-Lucien a aussi été rendu conforme au schéma d’aménagement de la MRC de Drummond. Celui-ci stipule que les roulottes doivent être occupées sur une base temporaire seulement.

De plus, à l’extérieur des périmètres d’urbanisation, la présence des roulottes saisonnières est autorisée seulement lorsqu’elle est installée sur un terrain de camping et n’est pas habitée en période hivernale.

Elles sont également permises lorsqu’elles sont installées sur un lot ou un terrain de façon temporaire et n’excédant pas 180 jours par année. Une seule roulotte est autorisée par lot ou terrain.

Aucun agrandissement et construction permanente ne doit accompagner la roulotte. En dehors de ces cas, la présence de roulotte n’est autorisée qu’à des fins de remisage.

Documents inexistants
Une plainte émise auprès de la municipalité est à l’origine des modifications apportées aux règlements municipaux touchant l’utilisation de roulottes sur son territoire à l’été 2018.

Le citoyen Stéphane Roberge a voulu obtenir une copie de toutes plaintes reçues par la municipalité, dont la mairesse avait fait mention en assemblée publique. Cependant, la municipalité a refusé de lui donner accès aux documents demandés, indiquant qu’elles sont de nature confidentielle.

M. Roberge s’est tourné vers la Commission d’accès à l’information du Québec. Lors de l’audience tenue le 3 octobre dernier, Diane Bourgeois a indiqué à Me Rady Khuong qu’il n’existe pas de documents visés par la demande du citoyen Stéphane Roberge.

«Comme mairesse, j’ai des obligations de calmer le jeu. Que j’aie eu une plainte écrite ou verbale, j’ai eu des plaintes. Point», a-t-elle commenté visiblement irritée, jointe par téléphone.

La semaine dernière, Stéphane Roberge a fait parvenir une demande officielle à la municipalité pour obtenir une copie de l’avis juridique concernant l’interdiction de roulottes saisonnières en zone inondable produite par leur avocat ainsi qu’une copie de la facture de celui-ci.

S’il n’obtient pas de réponse, il compte s’adresser à nouveau à la Commission d’accès à l’information du Québec.

Le nouveau règlement de zonage doit être adopté lors de la séance du conseil municipal du 10 février. Il doit ensuite entrer en vigueur d’ici avril. Toute personne qui ne respectera pas le règlement sera passible d’une amende allant de 300 à 1 000$.

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