TRIBUNE LIBRE. D’entrée de jeu, il faut reconnaître qu’aucun groupe humain n’échappe à cette propension à diviser le monde en nous et en eux. Les Blancs n’en ont pas l’apanage. Même chez les Noirs qui ont fait historiquement les frais d’un racisme odieux, on reconnaît l’existence d’une discrimination qui favorise les moins foncés parmi eux. Les immigrants en admettent volontiers l’existence entre eux. De nombreuses minorités dans le monde en souffrent. Mais pas seulement. Les femmes, prises dans leur ensemble, représentent sans doute le groupe discriminé le plus important. À partir du moment où un groupe est affligé de préjugés tenaces, il est à risque.
Le racisme pur et dur mène aux extrêmes de la discrimination. Fondé sur des différences, qu’elles soient de nature physique, ethnique, religieuse, idéologique, sexuelle ou autres, il ouvre la porte aux pires sévices, meurtres arbitraires, nettoyages ethniques et génocides. Les exemples pullulent dans l’histoire. Il suffit d’exacerber ces différences, d’insuffler des émotions puissantes tel le dégoût, et de brandir le danger d’un envahissement ou d’une contamination pour justifier la nécessité d’une ségrégation. Pas dans notre quartier, nos écoles, nos lieux de travail, ni même dans nos salles de toilette. Ces mesures de mise à distance se sont parfois appuyées sur des lois strictes, comme l’interdiction des mariages mixtes.
Une autre facette du racisme concerne l’assimilation forcée. Le Canada, à l’instar des autres pays anglo-saxons, a tenté d’éradiquer l’«indien» chez les enfants des Premières Nations. Le déracinement de leur famille et le régime des pensionnats ont fait des ravages sur plusieurs générations. Le régime chinois, pour sa part, a tout mis en place en vue de gommer la culture des Tibétains et des Ouïghours. Leurs procédés : l’emploi intensif de surveillance par caméra, des visites au domicile, des enlèvements, des camps de rééducation et la dissolution dans le groupe majoritaire.
Pour les groupes ciblés négativement, la discrimination entraîne naturellement des sentiments de rejet, de peur, d’insécurité, de dévalorisation et d’injustice. Elle expose ses membres à l’exploitation. Pour les dominants, les avantages sont nombreux. Sur le plan social, elle offre la possibilité d’une déresponsabilisation lorsque surgissent de graves problèmes économiques ou politiques. Les dictateurs excellent dans l’art de canaliser la colère de la population sur ces boucs émissaires. Sur le plan psychologique, elle permet de se donner un faux sentiment de supériorité, et de laisser libre cours à la haine.
Dans la vie quotidienne, la discrimination se présente toutefois sous des formes généralement plus subtiles. Comme ne pas s’asseoir à côté d’un étranger dans une salle d’attente, éviter le regard, soupçonner un individu au volant d’une voiture de luxe, ressentir la crainte d’être pris en charge par un soignant issu de l’immigration, refuser de parcourir le CV d’un candidat au nom étranger, prétendre que le logement est déjà loué, proférer des insinuations et des généralisations, émettre des commentaires déplacés ou des blagues tendancieuses et répétitives.
Les moyens d’enrayer ou d’atténuer ce fléau pourraient faire l’objet d’une longue liste. Outre la familiarité découlant d’une plus grande représentation positive de la diversité dans la sphère publique (école, travail, médias, politique, productions artistiques), retenons l’empathie.
Autrement dit, parvenir à faire ressentir les séquelles de telles attitudes négatives sur le plan individuel et social. Les jeunes, par exemple, souhaitent être comme tout le monde et se fondre dans la masse. Mais si on leur fait constamment miroiter leurs différences, sous un angle négatif, ils courent le risque de développer une hyper conscience d’eux-mêmes, des complexes, ou au contraire des attitudes de défis et de rébellion. Certains en arrivent à vivre un stress de performance difficile à supporter afin de prouver leur valeur et celle de leurs semblables. Sur le plan du travail, les refus, la non-reconnaissance des compétences et les sous-emplois affectent le moral.
Quant au développement de l’esprit critique, des formations spécifiques sur le sujet font plus œuvre utile que le degré d’instruction à lui seul. Un autre défi de taille consiste à dépasser l’identification à son seul groupe d’appartenance. C’est-à-dire rechercher ce qui nous ressemble, ce qui nous unit et nous rassemble. Fondamentalement, tous les êtres humains nourrissent les mêmes aspirations. Ils bifurquent lorsque toutes les portes de sortie leur sont bloquées. Enfin, un questionnement sur les bénéfices tirés de l’existence des préjugés peut s’avérer bénéfique.
Du côté des minorités visées, les défis à relever sont nombreux. Mentionnons l’importance du discernement pour bien circonscrire ce qui est raciste ou non, ne pas se servir du racisme comme prétexte pour excuser ses comportements, ne pas rester passif face à des comportements discriminatoires, se faire connaître et reconnaître, accepter que de faire partie d’une minorité visible suscitera toujours des réactions et des questions (pas forcément blessantes), s’habituer à porter plusieurs identités et à les valoriser. Une bonne estime de soi sert aussi de rempart pour s’immuniser contre l’adversité. Enfin, au Québec, l’humour demeure une arme de choix pour désamorcer les provocations.
Pierre Langis (Immigration.Disrimination@outlook.com)
_
Le www.journalexpress.ca publie avec plaisir les opinions de ses lecteurs. Les lettres doivent être courtes, envoyées par courriel et signées avec l’adresse et le numéro de téléphone de l’auteur. Seuls le nom et la localité seront mentionnés. Nous nous réservons le droit de les publier et, au besoin, de les abréger. Les sujets d’intérêt local et régional sont traités prioritairement.
Les opinions émises ne sont pas nécessairement partagées par la direction et ne doivent pas porter atteinte à la réputation de quiconque. Pour faire connaître votre opinion, il suffit de faire parvenir votre lettre à l’adresse suivante : redaction@journalexpress.ca.