DRUMMONDVILLE. Un véritable tsunami secoue le Musée de la photographie. Victime d’une présumée fraude de 580 000 $ orchestrée par une ex-employée, l’institution de Drummondville tente par tous les moyens d’éviter la fatalité.
Multiples retraits sur des cartes de crédit, utilisation abusive de la marge de crédit, falsification de relevés bancaires, manipulation des états financiers; le conseil d’administration du Musée de la photographie de Drummondville en a plein les bras.
La dégringolade financière aurait débuté durant la pandémie, peu après l’embauche d’une adjointe administrative* en septembre 2020.
Bien que l’institution n’ait jamais roulé sur l’or, elle n’avait aucun passif, assure le président Michel Doyon. Aujourd’hui, un montant de 300 000 $ est inscrit à l’encre rouge.
«On a reçu ça comme un coup de poignard dans le dos, lance-t-il. Comme dirait mon père, on est tous tombés sur le cul. Certains pourraient nous reprocher de ne pas avoir vu venir les choses, mais elles étaient tellement étanches que l’information n’a pas filtrée. Elle ne s’est jamais rendue au conseil d’administration. Tous les suivis budgétaires qu’on nous présentait étaient corrects.»
Selon ce dernier, la rigueur des suivis était une responsabilité qui incombait au directeur général, Jonathan-Hugues Potvin. Ce dernier a remis sa démission au mois de mai alors que plus rien n’allait au sein de l’institution de la rue Heriot. On y reviendra.
«J’ai commencé à avoir des soupçons il y a quelques mois. J’ai commencé à faire des analyses à l’interne pour voir les entrées et les sorties d’argent. Je suis entré un samedi pour voir moi-même les relevés de cartes de crédit. Je n’en revenais pas de ce que j’ai vu. C’était comme si on m’avait donné un coup de massue», raconte M. Doyon, qui a sollicité l’aide du cabinet comptable RDL. «Il a vérifié toutes les transactions de 2020 et 2021 pour arriver au même constat : le musée a été victime d’une grosse fraude.»
Responsabilités
Siégeant au conseil d’administration depuis octobre 2020, l’avocat à la retraite Jean Côté est d’avis que l’ancien directeur général, Jonathan-Hugues Potvin, a «complètement abdiqué à sa responsabilité de surveillance de son seul employé».
«Non seulement a-t-il abdiqué, mais il a remis à cette secrétaire la responsabilité des finances alors que c’était la sienne. Il n’a effectué aucune vérification. Ce n’était pas un gros travail que de faire la petite comptabilité quotidienne! Ça faisait plus d’un an que les lettres importantes étaient cachées. On les a trouvées dans un fond de tiroir», souligne-t-il avec éloquence.
Chaque mois, M. Potvin rencontrait le conseil d’administration et le suivi budgétaire faisait partie de l’ordre du jour.
«Ce n’est pas les questions qui manquaient, assure M. Côté. On a des administrateurs extraordinaires autour de la table, comme Roland Janelle, l’ancien directeur général du Centre culturel. Tout était caché. Quand Michel Doyon a commencé à avoir des soupçons, il a demandé les relevés de cartes de crédit, et ce, à maintes reprises. On lui a même donné un moment donné un relevé falsifié.»
Toujours selon M. Côté, la dame utilisait la marge de crédit pour payer les cartes de crédit et les comptes mensuels.
Au fil des mois, des sommes précieuses se sont envolées : le prêt d’aide PAUPME reçu dans le contexte de la Covid-19, une contribution de Développement économique du Canada de même que des subventions de la Ville de Drummondville et de la MRC de Drummond.
«Madame a dépensé des sommes faramineuses. À la fin, le loyer n’était plus payé. On n’avait plus d’argent. Depuis deux mois, Michel et sa femme travaillent à temps plein bénévolement pour mettre de l’ordre là-dedans, trouver tous les papiers et rencontrer nos fournisseurs et nos bailleurs de fonds. Ils méritent une médaille», soutient M. Côté.
Une perle
Tous s’entendent pour dire que l’adjointe administrative était une perle. Elle était prompte à répondre à la clientèle, se mettait rapidement en mode solution et était de bonne compagnie. «Elle donnait un service exemplaire», exprime Me Jean Côté.
Pourtant, dans le passé, elle avait connu des démêlées avec la justice, ayant été condamnée à plusieurs reprises pour vols à l’étalage et fraude. Selon ce qu’il a été possible d’apprendre, elle aurait déjà suivi une thérapie liée aux jeux compulsifs.
«Avant l’embauche, j’avais bien demandé à Jonathan d’appeler ses anciens employeurs et de vérifier ses antécédents judiciaires. Il m’a répondu que tout était beau, que tout avait été fait. Quand on l’a confronté avec ça, il nous a avoué qu’il n’avait rien fait de ça», indique Michel Doyon, irrité.
Cette adjointe administrative a été suspendue sans solde en mars 2023 puis congédiée deux mois plus tard. Une plainte a officiellement été déposée auprès de l’escouade des crimes économiques de la Sûreté du Québec. Personne ne sait où est rendu l’argent, l’ex-employée ayant fait plusieurs retraits sur les cartes de crédit. Elle les utilisait aussi pour ses dépenses personnelles, pour payer son abonnement Spotify, des épiceries et autres.
«Elle ne pouvait plus aller plus loin. La marge de crédit était pleine. Il n’y avait même plus d’argent pour payer son salaire. Quand elle a vu ça, elle s’est elle-même mise sur le chômage sans nous le dire. Elle avait accès à tout. Je suis capable de reconnaître que des gens peuvent avoir une maladie, mais dans ce cas-ci, les mailles de la passoire étaient tellement grandes. Une simple vérification nous aurait épargné tout ça», laisse tomber M. Côté.
Plan de redressement
Bien que le musée ait un genou à terre, le conseil d’administration de l’unique musée de la photographie du Canada garde espoir et espère éviter coûte que coûte la faillite.
Un plan de redressement est en cours de rédaction et devrait être finalisé au cours du mois de septembre.
«On veut assurer la relance, informe le président Michel Doyon. On a un déficit important de 300 000 $ et on va essayer de payer nos dettes. Toutes les options sont sur la table, incluant des campagnes à la Gofundme. On parle avec nos fournisseurs et nos bailleurs de fond. On veut éviter à tout prix d’être obligé de vendre des collections d’appareils photo, à part les doublons.»
Soulignons que le budget d’exploitation du musée est de 250 000 $ par année. L’institution espère toujours obtenir l’agrément d’institution muséale du ministère de la Culture et des Communications.
*Bien que L’Express connaisse l’identité de cette employée et qu’il serait d’intérêt public de la nommer, nous avons préféré taire son identité étant donné qu’aucune accusation n’a encore été portée à son endroit. Durant un appel téléphonique, elle a refusé de répondre à nos questions.
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