SANTÉ. Des infirmières ont trouvé une énième façon de se faire entendre. À l’initiative du Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec, elles distribuent à travers la population et parmi les gens d’influence un petit carnet noir réunissant une vingtaine de témoignages. Ceux-ci mettent en lumière les enjeux de la profession et les conséquences réelles et potentielles des décisions prises par le CIUSSS MCQ découlant de son plan de réorganisation mis en place en février dernier.
«Le CIUSSS désire rendre les professionnelles en soins interchangeables, tels des numéros, en décloisonnant les centres d’activité afin qu’elles puissent combler les « trous » créés par la piètre planification de la main-d’œuvre et les conditions difficiles, le tout en ne tenant pas compte de leurs expériences, expertises et intérêts.
Il était de notre devoir collectif de conscientiser la population sur les impacts dévastateurs des réformes locales dans les milieux de soins», est-il écrit en guise d’amorce du livret contenant 42 pages.
À travers les témoignages, 26 infirmières partagent leur cheminement de carrière, les sacrifices qu’elles ont faits, leurs réussites, mais surtout, leurs craintes par rapport au chamboulement qu’elles vivent. Plusieurs affirment subir de l’anxiété depuis des mois alors qu’elles n’ont jamais présenté de troubles anxieux dans le passé. La majorité songe sérieusement à démissionner si le CIUSSS ne réévalue sa décision et n’apporte pas de changements.
À Drummondville, là où le plan s’est d’abord déployé, l’infirmier Jean-François Gagné, membre du comité mobilité au sein du syndicat, se promène un peu partout cette semaine à travers la ville pour distribuer les livrets.
«Je vais aller en remettre à la mairesse, aux députés, à certains entrepreneurs, etc. Il faut que la population soit consciente de tous ces impacts», indique-t-il.
Rappelons que le CIUSSS en est à la troisième étape de son plan, soit les fusions de centres d’activité de Drummondville obligeant les infirmières à travailler dans d’autres secteurs que leurs spécialités. Cette même action devrait se déployer à l’automne dans les autres villes du territoire.
Quelques bribes des témoignages
«Je fais de la garde les week-ends et les fériés. Je dépasse souvent mes heures jusqu’en soirée. Mes collègues et médecins m’appellent même si je suis en congé et ça me fait plaisir de répondre. Quand vous me dites qu’il faut que je mette la main à la pâte vous me crevez le cœur! Je suis sensible à la détresse des gens qui font beaucoup de TSO, mais honnêtement, je ne vois pas comment je peux les aider si ça fait 18 ans que je n’ai pas travaillé en médecine physique.»
«Je travaille avec la peur au ventre de mettre mes usagers en danger. Vous ne laisseriez pas un psychiatre opérer votre mère à cœur ouvert si elle avait besoin d’une chirurgie cardiaque. Laissons les professionnels exercés selon leur expertise.»
«Depuis le 6 février 2023, j’ai peur. Peur pour mes patients. Peur pour la population. Peur pour ma profession. Peur pour la future relève. Peur pour mon droit de pratique. Peur pour ma famille. Peur pour moi-même. Une bombe est tombée sans prévenir, sans avertir et sans discussion préalable. Depuis cette date, je me sens bâillonnée par mon employeur, sans avoir la chance de pouvoir me faire entendre, m’exprimer, ni être écoutée.»
«Mes patients seront privés de mon expertise et de mes soins quotidiens. Ce sont près de 12 patients par mois que je ne pourrai plus prendre en charge. Ces derniers, en détresse, devront se tourner vers l’urgence pour un ajustement de leur traitement, sinon, ils subiront un sevrage. Pire encore, ils retourneront dans leur milieu vulnérable.»
«Je réalise que de travailler dans un système de santé malade est en train de me rendre malade. Je peux vous assurer que si vous allez de l’avant avec votre gestion de dictature, vous allez créer une véritable hémorragie. Je fais partie de celles qui pensent sérieusement à quitter le navire depuis l’annonce de vos nouvelles mesures structurantes.»
«Pour moi, il est inconcevable d’être déplacé de mon poste actuel. Je considère que j’effectue un travail important et irréprochable et que mes patients ont besoin de ma présence à temps complet. Sinon, qui va assurer mes suivis en mon absence? Ils se cumuleront bien entendu, donc la tâche qui est déjà lourde sera encore augmentée.» «L’OIIQ prône l’expertise des infirmières; le CIUSSS la communication et l’humanisme. Rien n’est respecté dans tout cela. On demande aux infirmières de se taire, d’adhérer et de participer à l’effort collectif. Ça suffit!»