(Note de la rédaction) L’hôpital Sainte-Croix de Drummondville étouffe. De l’intérieur comme de l’extérieur. Dans une démarche inédite, L’Express a visité le 31 mai dernier plusieurs unités de service et rencontré les gens qui travaillent dans cette cour à miracles. Personne n’avait reçu la consigne de faire le ménage avant la visite du journal. Votre hôpital, construit en 1948, est présenté tel que vu. Pour les besoins de la cause, un secteur bien précis sera présenté chaque semaine, jusqu’au 1er juillet.
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10 juin : visite du 7e étage
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17 juin : visite de l’urgence
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24 juin : visite du bloc opératoire et de l’imagerie médicale
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1er juillet : visite de la pharmacie, du magasin et de la buanderie
SANTÉ. Porte d’entrée de tous les maux, l’urgence de l’hôpital Sainte-Croix souffre. Non pas parce que le personnel en a marre de soigner jambes fracturées ou douleurs invalidantes, mais bien parce que les lieux sont désuets et mal adaptés pour une population en croissance. Et vieillissante.
Hormis toutes ces civières alignées le long des murs et qui obtiennent la note de zéro sur dix sur l’échelle de l’intimité (notre création), l’étroitesse des couloirs et le manque de lumière naturelle sont probablement ce qui étonne au premier regard en circulant dans cette unité qui ne dort jamais.
Dans un couloir situé à quelques pas de la tour de contrôle médicale se trouve une dizaine de civières placées tête-bêche. Entre la tête de l’un et les pieds de l’autre, un rideau de couleur institutionnelle fait office de mur.
«Ici, on avait l’habitude de mettre des patients un peu plus jeunes, mais avec le vieillissement de la population, on n’a pas le choix d’y placer la clientèle gériatrique. Ça pose un problème, car ces patients ne doivent pas rester coucher. Ça les déconditionne. Ils font ce qu’on appelle des syndromes d’immobilisation. Idéalement, il faut les asseoir dans des fauteuils gériatriques, mais ici, c’est un couloir de passage!», déplore Caroline Moreau, chef médicale adjointe. Elle a sillonné tous les racoins du département avec le journal.
Autre constat : dans une aire dédiée aux patients (toujours dans un couloir), il y a très peu d’espace pour l’aidant naturel et… pour cette toilette portative qui nécessite que nous tirions le rideau au maximum en contournant celle-ci. L’échelle de l’intimité? Oubliez tout ça.
«Évidemment, ça fait une bosse dans le rideau et tout le monde sait quand quelqu’un est sur la chaise d’aisance. On dit souvent à la blague qu’ici, on est équipé pour régler rapidement les problèmes de diarrhée», lance la Dre Moreau, qui n’a aucunement ri de sa plaisanterie.
Au-delà de la gêne de devoir se soulager si près de son voisin, cette situation classique de l’hôpital Sainte-Croix crée un sérieux problème de logistique : il est impossible de déplacer rapidement les civières. La présence de chaises bloque tout.
«Si on a une urgence et qu’il faut déplacer un patient rapidement, ça ne passera pas. C’est vraiment un problème. Idéalement, ça prendrait des cubicules fermés avec une chaise gériatrique et une chaise pour le proche aidant», précise le médecin.
Dans la foulée, la professionnelle déplore aussi que la seule source de lumière disponible soit les fluorescents au plafond.
«La nuit, on n’a pas le choix d’utiliser des lampes de poche pour faire des intraveineux ou prendre les signes vitaux. Si on n’y arrive pas, on n’a pas le choix d’ouvrir les lumières. On dérange alors tous les patients», souligne-t-elle.
Inquiétude
Veillant à la logistique de l’urgence depuis 2020, Michel Béland s’inquiète particulièrement pour la clientèle âgée.
«Les besoins sont de plus en plus complexes, exprime ce chef de service. La clientèle est très vieillissante et on n’est pas adapté pour l’accueillir. En théorie, l’usager n’est pas censé rester à l’urgence longtemps, mais la réalité est toute autre. Tant que tous les lits sur les unités de soins sont occupés, on doit les garder. J’ai eu des personnes âgées qui sont restées jusqu’à 40 heures à l’urgence. En contrepartie, on a mis en place une nouvelle ressource, soit une infirmière de liaison en gériatrie qui travaille pour améliorer tout ça.»
Lors du passage de L’Express, le taux d’occupation de l’urgence était à 128 %.
«Le moindre espace libre est utilisé. Récemment, on est monté à 43 patients couchés et assis, sans compter ceux de la salle d’attente. Pour avoir un peu plus d’espace, on utilise maintenant les cabines de l’ancienne clinique externe qu’on a convertie en chambres privées. On ne peut toutefois pas y mettre n’importe quel usager, car on n’a pas accès à l’oxygène en permanence. Si demain matin on me dit qu’ils ont besoin de ces espaces pour une autre utilité, ça va compliquer notre vie», ajoute le gestionnaire.
Salles de réanimation
L’hôpital Sainte-Croix compte quatre salles de traumatologie. Trois sont surtout utilisées par les médecins.
«On aime bien cette salle de réanimation, exprime la Dre Moreau en présentant les lieux. On a de l’espace. C’est essentiel, car une dizaine de personnes peuvent entourer un patient s’il est instable. Au niveau de l’équipement, ça va, sauf pour l’appareil de radiologie.»
Fixé au plafond, l’imposant appareil n’est plus fonctionnel. Le remplacer représente un défi de planification.
«Il faudra fermer cette salle durant deux semaines. Le hic, c’est que nous devons obligatoirement avoir une salle à pression négative pour la prévention des infections et… c’est ici», informe Michel Béland.
D’ici à ce que cet équipement à rayons X soit remplacé, les médecins doivent utiliser un appareil portatif, qui est trimbalé d’une pièce à l’autre.
Codes bleu et orange
Autre irritant pour le personnel de l’urgence : l’ascenseur. Un seul est disponible et il dessert aussi le bloc opératoire et les soins intensifs. En fonction depuis 75 ans, les bris sont réguliers.
«Si on a un code bleu à l’étage, c’est nous qui devons faire la réanimation. On monte l’escalier à la course, mais le chariot de réa, on doit le faire monter par l’ascenseur. S’il y a déjà quelqu’un dedans, ça cause des délais», explique l’urgentologue.
Et pour les codes orange (arrivée massive de patients), celle-ci est catégorique : «On n’a pas les lieux adéquats pour y faire face. Mais c’est sûr qu’on va gérer et s’organiser pour soigner les gens.» Par chance, ce type de situation est rarissime.
Accès aux ambulances
Construit en 1948, l’hôpital Sainte-Croix n’a qu’une entrée d’accueil pour les ambulances et elle n’est pas suffisamment profonde.
«Au fil des années, les véhicules sont devenus plus imposants. On a mis des coussins sur le mur du fond pour être certain qu’on n’avance pas trop en entrant dans le garage. Et quand on est deux à arriver en même temps, on doit se placer un en arrière de l’autre. Si le patient est en trauma, le médecin doit monter sur la civière dans le stationnement et le masser pendant qu’on entre dans l’hôpital», communique Stéphane Betti, un paramédic rencontré sur les lieux.
On a également signalé le manque de confidentialité de cette aire de travail étant donné la présence de patients dans les couloirs.
Salle du personnel médical
Nouvel arrêt de notre visite à l’urgence : la salle dédiée au personnel médical. À travers les écrans d’ordinateur et les piles de dossiers, à nouveau le constat est simple comme bonjour. Il manque d’espace pour le nombre de personnes qui y travaillent.
«Il y a des gens qui doivent travailler sur le bout des comptoirs. L’Université de Sherbrooke nous a demandé d’augmenter notre capacité d’accueil, mais on ne peut pas. On n’a pas de place pour la relève ni pour les nouveaux ordinateurs pour les dossiers patients. On aurait besoin du double d’espace de travail», explique la Dre Caroline Moreau. Elle oeuvre à l’hôpital depuis 17 ans.
«C’est sûr que je ne pourrai pas travailler un autre 15 ans dans des conditions comme celles-là. Regardez les courbes démographiques. On n’y arrivera pas!», lance-t-elle.
Selon les prévisions mises de l’avant dans le plan directeur clinique et immobilier de l’hôpital Sainte-Croix, 51 % de la population qu’il desservira en 2026 sera âgée de plus de 75 ans.
(Avec la collaboration de Cynthia Giguère-Martel)
L’urgence en bref
- 4 cabines pour la clientèle ambulatoirE
- 4 salles de traumatologie
- 19 civières au permis
- 25 médecins
Nombre de patients accueillis à l’urgence
- 2022-2023 : 41 809
- 2019-2020 : 34 183
- 2016-2017 : 43 559
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