SOCIÉTÉ. Quand il a finalement réussi à avouer son identité à son psy, ç’a été plus fort que tout. Il a crié à avoir envie de renverser le bureau qui les séparait. Luc était devenu Sara, sans craindre rien ni personne.
Quatre mois après cet intime dévoilement, Sara Bellemare a été aspirée dans un tourbillon : séparation, nouvel emploi, nouvelle identité sur ses documents officiels, des explications à la dizaine, et bientôt, un déménagement et la visite des enfants, une semaine sur deux. Le prix à payer pour une seconde naissance, à 43 ans.
«Est-ce que je m’habille en fille ou en gars pour l’entrevue?» L’identité est pleinement assumée, mais pour le bien de son entourage, le rythme de sa transformation doit être contrôlé.
«La première fois que je suis sortie à l’extérieur habillée en fille, c’était en pleine nuit et au chalet. J’avais le cÅ“ur qui débattait. Personne ne m’a vu. J’ai fait ça vite!», raconte Sara, avec sa chevelure rebelle et féminine.
Aujourd’hui, elle sort plus librement et marche la tête bien haute, mais avec ce regard trop droit. Celui qui refuse d’en croiser d’autres.
Le 14 avril dernier, elle est allée porter son camion au garage Billy Nadeau, vêtue en homme. En fin de journée, L’Express l’a accompagné jusqu’au comptoir de service. Elle s’était coiffée et maquillée puis elle avait rangé ses effets dans un sac à main Juicy Couture de couleur rose. «Ça fait longtemps que je viens ici pour mes entretiens. Ils ne m’ont jamais vu comme ça. Je suis nerveuse un peu…»
Une fois le premier coup d’œil étonné passé, sa respiration est revenue à la normale. L’accueil était chaleureux et bien senti.
«J’aime mieux quelqu’un qui vit librement que quelqu’un qui vit dans une prison, a lancé spontanément Billy Nadeau, le propriétaire du garage situé sur le boulevard Lemire. Je suis content qu’au bout de la ligne, tu sois plus heureux. Je le vois comme une naissance, une nouvelle personne devant moi. J’imagine que tu vivais du refoulement. Ça doit être une belle liberté.»
«Je suis contente qu’il réagisse comme ça. Il a passé du « il » au « elle », mais c’est normal. Ça fait ça à tout le monde», a exprimé Sara en sortant du garage. «En passant, c’est sûr que je ne transporterai plus mes pneus moi-même!»
Vie professionnelle
Sara Bellemare dirigeait jusqu’à tout récemment une entreprise de 200 employés. Elle amorce ces jours-ci un nouveau départ professionnel, dans la région de Saint-Hyacinthe.
Ingénieure mécanique de formation et titulaire d’une maîtrise en administration des affaires, elle siège aussi au conseil de la Caisse Desjardins de Drummondville. Là aussi, devant ses collègues administrateurs au profil plus traditionnel, typique du domaine financier, elle a senti le besoin d’annoncer au début du mois que Sara occupera désormais son siège.
«J’ai parlé durant 45 minutes. J’avais les mains moites et je n’ai pas réussi à toucher à mon assiette, a-t-elle communiqué. J’ai expliqué tout mon processus. J’ai dit à quel point j’avais eu de la misère à me l’avouer à moi-même. J’étais ma plus grande difficulté. Tout le monde m’a écouté attentivement. Des gens comme Johanne Lachapelle (présidente), Roland Janelle (administrateur) et Paul Gagné (directeur général) sont venus me parler et m’ont dit de ne pas m’inquiéter. Ils ont souligné mon courage.»
Au point de vue familial, les choses ont été un peu plus difficiles. Une séparation est en cours et certains membres de sa famille soutiennent avoir besoin de temps pour absorber et accepter la nouvelle.
«Ça s’est bien passé avec les enfants! Je leur ai dit, mais il restait à leur présenter Sara. Ç’a été fait et tout est correct. On a pris une photo ensemble. J’étais heureuse», a-t-elle partagé.
Au cours des prochaines semaines, la Drummondvilloise entamera un cheminement des plus particuliers, celui du processus médical, du visage au pantalon. Une étape qui s’annonce aussi douloureuse que coûteuse, mais qui lui permettra enfin de conjuguer le verbe être à l’indicatif présent.
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