CANCER. Catherine Jodoin avait 24 ans quand son conjoint a appris qu’il avait un cancer. Étudiante à la maîtrise, elle s’est battue pour continuer ses études par Zoom, pour protéger la santé de son amoureux. On lui a dit de changer d’université.
Depuis février, un nouvel organisme provincial existe pour les proches aidants en oncologie. L’organisme de soutien aux proches aidants en oncologie du Québec (OSPAOQ) a été fondé par Chantal Tardif, de Drummondville, et Catherine Jodoin, de la région de Montréal. Ayant vécu toutes sortes d’injustices dans leur parcours, elles veulent maintenant faciliter le chemin pour les autres.
Mme Jodoin souligne le manque de reconnaissance qu’elle a rencontré dans toutes les sphères de sa vie, alors qu’elle s’occupait de son conjoint, travaillait, et étudiait. «Mes proches n’ont pas compris et ne comprennent pas encore aujourd’hui ce que j’ai vécu», dit-elle. Elle juge que cela crée un isolement inutile qui rajoute à une situation déjà difficile.
Le manque de reconnaissance s’exprime aussi dans les relations avec le personnel médical. «À l’hôpital, on vous prend quand on a besoin, mais sinon, on ne veut pas vous parler et vous donner des informations, on ne collabore pas avec vous. Ce sont toutes ces injustices-là qui font que, à un moment donné, tu te dis “non, ça suffit”. Il faut changer la vision, il faut changer quelque chose», s’indigne Chantal Tardif.
Cette dernière estime que les proches aidants en oncologie vivent une situation qui se distingue des autres proches aidants. «Dans le cas d’autres personnes, que ce soit un parent d’enfant handicapé ou encore un aîné, c’est quelque chose qui est permanent et qui vient tranquillement, sur une longue période. En oncologie, c’est du jour au lendemain. Et il y a une fin, quelle qu’elle soit, et c’est à court terme, bien souvent».
Quand le proche aidant doit arrêter de travailler, l’argent vient à manquer. À la souffrance de la maladie s’ajoutent les soucis pécuniaires. Selon les deux cofondatrices de OSPAOQ, il s’agit d’un problème majeur pour ceux qui jouent un rôle de roc pour le malade.
Pour avoir des crédits d’impôt, il faut faire reconnaître la personne comme personne handicapée. Les personnes ayant un cancer ne sont pas toujours admissibles. Si l’on n’est pas admissible à être déclaré handicapé, on n’a pas non plus droit au programme de chèque emploi-service, programme du CLSC qui permet de recevoir de l’aide.
«C’est un élément pour lequel on milite vraiment. Il faut que ça change. Ce n’est pas une maladie qui affecte 1 personne sur 100 000, on parle de 1 personne sur 3 au Canada qui a ou qui aura un cancer. Ça touche beaucoup de gens», ajoute Catherine Jodoin.
Les deux femmes souhaitent que la réalité de proche aidant d’un adulte soit reconnue. Mais il y a aussi le plan financier. «Combien coûte un patient à l’État? Quelles économies permet de faire un proche aidant? Nous on est payé en “mercis”. Ça ne paye pas les factures. Ça crée un problème supplémentaire en plus de la maladie, alors tu fais comme on a fait : tu fais faillite. On a tout perdu», partage Chantal Tardif.
La fille de Mme Tardif a eu des échecs dans ses cours au Cégep, malgré le fait qu’elle avait un billet médical expliquant qu’elle ne pouvait pas aller au cégep pour ne pas mettre son père en danger. Le Cégep n’a pas reconnu ce billet médical. «Tu ne peux pas demander à un enfant de faire un choix entre ses études et la vie de son père. C’est plein de petites choses comme ça, tout le temps… Il faut se mettre à jour, là», insiste-t-elle.
Les deux fondatrices espèrent que leur organisme pourra améliorer la qualité de vie des proches aidants, en soulignant à quel point il peut être difficile de se faire comprendre. «La proche aidance, c’est invisible», dit Mme Tardif. Pour l’instant, l’organisme vit de dons. Il n’a pas droit aux subventions gouvernementales pour l’instant puisqu’il vient d’être créé.
«Une dame à qui je parlais se fait menacer de se faire expulser de son logement. Elle n’arrive pas, financièrement. Elle s’est fait couper l’électricité. Elle n’a pas l’argent pour payer ses médicaments, alors elle a arrêté de prendre sa chimiothérapie. Ce n’est pas humain, vivre ça», s’insurge-t-elle.
Comme proche aidant, les émotions se bousculent et la détresse est profonde. On en vient à oublier ses intérêts et ce qu’on aime. «On entend souvent parler de to-do list… Il y a quelqu’un qui nous a parlé de la doudou liste! C’est important de faire quelque chose pour soi toutes les semaines, sinon vous allez crever avant la personne qui est malade», insiste Mme Fournier.
Les gens dans l’entourage ont souvent peur de déranger. Il faut pourtant briser leur isolement. On peut apporter un chaudron de soupe, ou offrir de faire des courses.
«L’expérience que j’ai vécue a changé ma vie. En négatif bien sûr, mais plus le temps passe, plus j’y vois du positif. En étant proche de la maladie et de la mort, ça m’a fait un choc et je me suis dit que je voulais profiter de chaque jour. Je l’applique quotidiennement. Je choisis ce que je fais. Je me recentre sur l’essentiel», conclut Mme Jodoin.
Donner un sens à des événements tragiques : voilà ce qui motive Catherine Jodoin et Chantal Tardif.