SCIENCES. Traditionnellement, les décideurs politiques abordaient les enjeux environnementaux avec une vision étroite : les transports, ou la déforestation, ou la consommation, ou l’économie… De plus en plus ces dernières années, un regard plus « global » se dégage, avec la prise de conscience des interrelations entre tous ces problèmes.
1) Deux retombées de la guerre en Ukraine
On l’a dit et répété depuis le jour où la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, cette guerre a accéléré la transition vers des énergies renouvelables, en particulier en Europe. La dernière année, en ébranlant la position dominante de la Russie sur le marché mondial de l’énergie, a permis de créer de nouvelles alliances — l’Europe approche maintenant des producteurs de gaz aux États-Unis, en Afrique et au Moyen-Orient. À surveiller en 2023 : dans un premier temps, si ces achats de gaz naturel liquéfié seront suffisants pour se passer complètement du pétrole russe en vue de l’hiver ; et dans un deuxième temps, si la transition vers les vraies énergies renouvelables (solaire et éolien) sera suffisamment rapide pour que le gaz naturel ne soit qu’une énergie de transition, soit pendant un an ou deux seulement.
Mais la guerre continuera aussi d’avoir des retombées sur les crises alimentaires mondiales, et ces retombées-là sont beaucoup plus difficiles à prévoir, tant elles dépendent, en plus, des changements climatiques : soit les impacts que des sécheresses, des inondations ou des tempêtes majeures auront en 2023 sur la production alimentaire des pays, riches et pauvres.
À défaut de produire plus de nourriture, deux pistes, évoquées depuis des années, peuvent atténuer ces crises alimentaires et humanitaires : cesser d’utiliser les champs pour produire des biocarburants et réduire la consommation de viande.
2) Les retombées des deux ententes sur l’environnement
Le fait que deux ententes soient survenues à un mois d’intervalle, à la COP sur les changements climatiques et à la COP sur la biodiversité, n’est pas juste une bonne nouvelle pour les pays plus vulnérables. L’aide financière pour atténuer ou réparer les dégâts environnementaux, si elle se concrétise, aura des répercussions, au-delà de 2023, sur l’ensemble de la chaîne alimentaire mondiale.
Mais en attendant, en 2023 ce qu’il faudra surveiller sera qui va payer pour ces dégâts et à qui. Dans la foulée de l’entente sur les « pertes et dommages », des
négociateurs de 24 gouvernements doivent se rencontrer à trois reprises cette année et présenter leurs recommandations lors de la COP28 de novembre.
3) Un virage accéléré vers les énergies renouvelables ?
Traditionnellement, un frein aux énergies renouvelables a toujours été l’économie. Or, leurs bénéfices économiques sont devenus difficiles à ignorer, même pour les plus récalcitrants : d’une part, dans un grand nombre de pays, l’énergie produite par le solaire ou l’éolien devient moins chère que celle produite par le pétrole ou le gaz. D’autre part, même là où ça n’est pas le cas, les coûts à long terme des dégâts causés par l’accumulation des gaz à effet de serre sont de plus en plus pris en compte par les compagnies d’assurance et les banques. À surveiller en 2023 : la pression citoyenne, mais surtout économique, qui s’exercera de plus en plus sur les multinationales du pétrole et du gaz, pour bloquer tout nouveau projet de forage.
C’est aussi ce paradigme plus favorable aux énergies vertes qui contribue au changement d’attitude de plusieurs gouvernements : l’interruption annoncée des subventions à l’industrie des carburants fossiles au Canada, les ambitions accrues en Australie et ailleurs de réduction des gaz à effet de serre, ou les investissements majeurs, en Europe et aux États-Unis, dans l’efficacité énergétique ou dans les technologies moins polluantes.
Enfin, il faut noter que, dans plusieurs pays, divers jugements sont attendus en 2023 dans des poursuites déclenchées contre des gouvernements pour leur inaction dans la crise climatique, ou contre des compagnies pour leur responsabilité. En Ontario par exemple, la première poursuite de ce type à avoir pu se rendre jusqu’à un tribunal, en octobre dernier, a été déposée par sept adolescents contre le gouvernement ontarien, pour avoir annulé ses cibles de réduction des gaz à effet de serre.
4) Un moment décisif pour la sauvegarde des forêts ?
Symboliquement, l’arrivée au pouvoir, le 1er janvier, du nouveau président du Brésil, Lula Ignacio da Silva, pourrait signifier un répit pour l’Amazonie. Une des promesses du nouveau président est en effet de mettre un frein à la déforestation. Sa ministre de l’Environnement, Marina Silva, et sa ministre des affaires autochtones, Sonia Guajajara, sont deux ardentes militantes environnementales.
Mais il fera face à une opposition au congrès, toujours dominé par les alliés conservateurs de l’ancien président Bolsonaro.
Et plus largement, ce n’est pas seulement l’Amazonie qu’il faut surveiller en 2023. Dans l’entente intervenue à Montréal au terme de la COP15 sur la biodiversité, il y a la promesse de protéger 30 % des terres, ce qui devrait en
théorie inclure beaucoup de forêts, notamment en Indonésie et en Afrique subsaharienne. Mais cette promesse se heurtera à l’opposition de lobbys de l’agriculture et de l’exploitation forestière. C’est dans ce contexte que l’Union européenne a adopté cet automne une réglementation imposant que les biens importés en Europe soient désormais produits « sans déforestation ».
5) Le frein de la démondialisation
Tous ces changements peuvent être freinés par une autre tendance, qui n’est ni scientifique ni technique et que certains économistes appellent la « démondialisation ». En théorie, le repli de certains pays sur eux-mêmes, sous la pression de la guerre en Ukraine, de l’inflation ou d’une opinion publique plus à droite, pourrait ralentir la transition énergétique : par exemple, une volonté de produire chez soi les technologies nécessaires au développement du solaire, pourrait faire prendre quelques années de retard à une production, pour l’instant dominée par la Chine, ou bien hausser les coûts.
La crise alimentaire ajoute aussi au risque de repli sur soi. Des pays sont inévitablement tentés de limiter leurs exportations pour se garder davantage de réserves : un geste malavisé, prévenaient dès mai dernier les experts. Parce que ça incite d’autres pays à faire de même, ce qui amène encore plus de pénuries, depuis les engrais jusqu’au blé (l’Inde a annoncé au printemps 2022 qu’elle réduisait ses exportations) en passant par l’huile de palme (l’Indonésie a annoncé la même chose). Une récession en 2023 empirerait le problème.
Les subventions massives de l’Europe dans l’énergie cette année (plus de 700 milliards d’euros) ou celles des États-Unis dans les énergies propres (l’Inflation Reduction Act du président BIden) se traduisent inévitablement par une volonté d’investir d’abord chez soi. Au risque d’exacerber les inégalités avec des pays qui ne peuvent pas se permettre ces investissements et qui, en retour, auront encore moins les moyens de protéger leurs forêts ou leur biodiversité. Et un regain de ces tensions pourrait alors nuire aux négociations sur le climat à la COP28.
Comme quoi, un regard plus « global » est indispensable, avec des problèmes qui, en 2023, sont interreliés, et mondiaux.
Lien vers l’article original https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2023/01/07/5-defis-globaux-pour-planete-2023