MAGAZINE. Le chef cuisinier de La Tablée populaire excelle depuis 10 ans dans l’art d’harmoniser les couleurs des membres de son équipe et les ingrédients dans l’assiette des usagers.
Éric Blanchette a travaillé dans les restaurants de fine cuisine de Québec et Granby, avant d’être recruté comme chef cuisinier à La Tablée populaire de Drummondville en 2012. Cet emploi au sein de cet organisme de réinsertion sociale, qui offre tous les jours des repas complets et équilibrés à prix modique à ses usagers, s’est avéré un coup de coeur. Une fois embauché, il s’est trouvé un pied à terre dans la région et il parcourait à pied un trajet qui prouvait sa grande motivation.
«Je faisais six heures de marche par jour pour aller travailler, soit trois heures le matin et trois heures le soir», dit celui qui n’a jamais possédé de voiture.
Jamais il ne l’a regretté, car il était heureux de se rendre au boulot. «C’est ma meilleure job à vie! En fait, ça me fait toujours drôle d’appeler ça une job. Je ne travaille pas, je m’amuse!», lance le Drummondvillois d’adoption.
Des chapeaux pour tous
Son arrivée dans la cuisine de La Tablée a amené une nouvelle ambiance autour des chaudrons. Auparavant, la plupart des chefs avaient l’habitude de se faire appeler «chapeaux», considérant que les «cuistos» sont normalement désignés pour être les décideurs dans une cuisine. Comme M. Blanchette était devenu allergique à cette hiérarchie, il supervisait les opérations en valorisant l’apport de chacun, qu’il soit plongeur ou caissier. Il tenait à démontrer que la réussite des opérations culinaires était le fruit de la collaboration de tous.
«J’ai acheté des chapeaux à tout le monde!», raconte l’homme de 58 ans.
À l’époque, le fonctionnement de la cuisine de La Tablée populaire était encadré de 50 règles. Les heures de pause étaient strictes, des cadenas étaient apposés sur chacune des armoires, etc. M. Blanchette a assoupli le cadre. «On en a seulement trois maintenant», résume ce dernier.
Règles d’or
Ses règles d’or : faire preuve de respect envers autrui, ne jamais utiliser son cellulaire dans la cuisine et appliquer la «tolérance zéro» envers l’agressivité.
Avec les années, le quinquagénaire a compris qu’il était gagnant de laisser aller, de faire confiance en la vie. D’ailleurs, il s’est aperçu que celle-ci lui réservait les plus belles surprises quand il abandonnait volontairement toute forme de contrôle. «C’est la vie qui crée l’originalité», fait-il valoir.
Cette sagesse, il la doit à son cheminement difficile, car il était loin d’être un enfant de chœur durant sa jeunesse. «J’étais malcommode! Ça fait 20 ans que je suis plus tranquille, partage celui qui a cessé de boire de l’alcool. En fait, j’étais tout le contraire de ce que je suis maintenant!», confie-t-il.
Entouré de couleurs
Ce chef aime s’entourer de collaborateurs qui ont des traits de caractère, des forces distinctives. «À la Tablée, on va chercher des gens avec des couleurs différentes», avance-t-il.
Il cite en exemple Marie-Claude, plutôt «by the book», qui apporte beaucoup de rigueur à l’équipe, alors qu’Éric fait valoir sa gentillesse avec ses mille et une attentions.
Son équipe est composée de cinq responsables permanents auxquels s’ajoutent d’autres participants qui bénéficient de mesures d’aide à l’emploi.
Il remarque que le plus grand défi des gens qui joignent l’équipe n’est pas de savoir manier un couteau, mais de réussir à bien s’entendre avec les collègues, tout en gardant ses couleurs. «C’est surtout une question d’attitude!», exprime-t-il.
Générosité partagée
Se décrivant comme un homme très empathique, M. Blanchet est aussi doté d’une grande capacité d’adaptation. Cet atout s’avère essentiel pour gérer une cuisine qui dépend des dons de nourriture, d’autant plus que ceux-ci varient selon les périodes.
«Au début, je cuisinais seulement avec du porc haché. Quand je recevais deux livres de carottes, c’était précieux!», illustre celui qui adore déployer sa créativité.
Vers 2015, de nouvelles ententes ont encouragé les épiciers de la région à faire parvenir à La Tablée davantage de denrées périssables, un peu défraîchies, mais réutilisables qui sont conservées dans les congélateurs de l’organisme.
Le chef est parfois appelé à concocter des mets avec du lapin, des asperges, des fruits de mer, etc. «On fait une belle rotation!», assure celui qui n’utilise jamais de livres de recettes.
Pour permettre un bon roulement des denrées, un bar à légumes et plusieurs repas chauds sont offerts sous forme de buffet à la clientèle depuis un an. Entre 70 à 90 dîners sont servis chaque jour, en plus des 160 boîtes à lunch qui prennent la direction des écoles pour nourrir les élèves moins nantis. Suspendus durant la pandémie, les soupers pourraient être réintégrés au menu de La Tablée.
Pas de retraite!
Dans les restaurants de fine cuisine où M. Blanchette a travaillé, les chefs se donnaient souvent en show et compétitionnaient entre eux. Aujourd’hui, la mission communautaire de La Tablée populaire rejoint davantage ses valeurs. «Le moindre bien que tu fais va te revenir», est-il convaincu.
Le cordon-bleu a été impressionné par un buffet de Noël préparé par de jeunes trisomiques. Ces «bons coups» font en sorte qu’il ne voit pas le jour où il prendra sa retraite. «Je fais des blagues sur la cuisine qui a suffisamment d’espace pour que je puisse continuer de venir… même en triporteur!», conclut-il avec humour.