THÉÂTRE. Il faut du courage pour incarner sa propre vie dans le moment le plus vulnérable qui soit. C’est le défi que relève Audrey Talbot dans Corps titan (titre de survie), cette bouleversante pièce de théâtre entraînant le spectateur dans une réflexion profonde sur la nature humaine et sa résilience.
Vingt-huit mai 2013. Alors qu’elle se rend à vélo à une répétition de théâtre, Audrey Talbot est frappée par un camion poids lourd. En une fraction de seconde, son corps est broyé, mais elle survit grâce à une suite miraculeuse de circonstances et un travail acharné.
Après des années passées dans les corridors des hôpitaux, les salles d’opération et les services de rééducation, l’autrice quitte le mode survie. Gardant peu de souvenirs de ses mois de reconstruction, elle part sur les traces de sa renaissance en allant à la rencontre de ceux qui l’ont accompagnée.
«Dans un premier temps, cette démarche visait beaucoup à me réapproprier ma propre histoire, explique Audrey Talbot. J’ignorais complètement toutes les circonstances de l’accident qui a fait en sorte que ma vie a changé. J’ai donc fait des recherches pour retrouver qui était sur place, qui étaient les premiers intervenants.»
Si l’exercice s’est avéré plus fastidieux qu’elle ne l’avait envisagé au départ, il aura permis à Audrey Talbot de vivre une expérience hors de l’ordinaire.
«Tous ceux que j’ai approchés ont accepté de me rencontrer. Je me suis découvert une espèce d’intimité avec des gens que je ne connaissais pas. Il y avait cet événement-là qui nous reliait et qui laissait des liens inexplicables, très particuliers. J’avais l’impression de retrouver des gens que je connaissais déjà, comme si je retrouvais de vieux amis perdus depuis le secondaire», raconte-t-elle.
Une fois ce casse-tête complété, Audrey Talbot a eu envie de mettre ces hommes et ces femmes en lumière à travers le récit de sa renaissance. «C’est comme si j’avais réalisé pleinement à quel point il avait fallu de maillons dans la chaîne pour que je me remette sur pieds», exprime-t-elle.
Ne cachant pas que le tunnel qu’elle a franchi a été «très long» et «très noir» par moments, Audrey Talbot s’est accrochée en recherchant la moindre fissure laissant passer un rayon de soleil.
«Il y a toujours de la lumière, même dans les tunnels les plus sombres. Il faut s’accrocher. Même quand on se croit profondément seul, il y a toujours une main tendue ou une ouverture vers laquelle on peut choisir d’aller. Ce sont les choix qu’on fait qui déterminent beaucoup ce qu’on est et ce qu’on devient.»
«Lorsqu’on est confrontés à un traumatisme, on n’a pas le choix de l’affronter, mais on peut toujours choisir ce qu’on va faire avec, ajoute Audrey Talbot en toute sagesse. On peut choisir comment on va intégrer ça à notre vie, comment on voit la situation.»
Tournée québécoise
D’abord présentée au Centre du théâtre d’aujourd’hui de Montréal et au Centre national des Arts d’Ottawa, la pièce Corps titan (titre de survie) est en tournée québécoise jusqu’au mois de février. Mis en scène par Philippe Cyr, le spectacle s’arrêtera à la Maison des arts Desjardins de Drummondville le 8 novembre.
«On est choyés, surtout que la pièce a été bâtie en temps de pandémie. C’est assez phénoménal! C’est rare que le théâtre de création se promène autant», souligne celle qui a participé à une vingtaine de productions théâtrales, dont plusieurs destinées au jeune public, tant au Québec qu’en France.
À force de jouer sa propre histoire sur scène, Audrey Talbot a le sentiment de faire la paix avec elle. Et surtout, les échos qu’elle reçoit lui font un bien fou. Après chaque représentation, la comédienne accueille de nombreux témoignages de spectateurs touchés par le récit de cette seconde chance. Parmi eux, on retrouve d’ailleurs plusieurs personnes issues des corps de métiers représentés dans la pièce, qu’il s’agisse de premiers répondants, de professionnels du milieu hospitalier ou de spécialistes de la réadaptation.
«Ceux qui sont venus voir la pièce m’ont fait part de leur grande fierté et de leur honneur d’avoir été mis en lumière à travers une pièce de théâtre. Habituellement, ils se trouvent peu représentés et surtout pas de la façon dont ils perçoivent leur métier, avec tout le cœur et le dévouement qu’ils y mettent.»
L’autrice reçoit également de nombreuses confidences de personnes traversant une épreuve ou s’étant relevées après avoir vécu des moments difficiles. Des propos qui lui font chaud au cœur.
«Malgré les parcours très différents de chacun, des gens m’ont fait part de l’écho que ça faisait chez eux, de sentir la solidarité et la vulnérabilité à travers la pièce. Ça part tellement du cœur. On peut évidemment ne pas s’y reconnaître ou s’y associer, ou ne pas aimer évidemment, mais la démarche est très franche et très authentique. Je sens qu’à travers ça, non seulement pour moi, mais aussi pour les autres, je fais un peu œuvre utile.»
Si Corps titan (titre de survie) est le premier texte d’Audrey Talbot, on peut d’ores et déjà affirmer qu’il ne s’agira pas de son dernier.
«Ça m’a donné vraiment envie d’écrire. Je ne m’engagerais plus dans quelque chose d’aussi près de moi, quoique tout auteur ou autrice va dire qu’on part toujours de soi pour écrire, mais ce sera moins frontal que ça», assure Audrey Talbot en terminant.
Quelques critiques
«En choisissant de raconter son histoire, Audrey Talbot veut faire ressortir toute la fragilité de la condition humaine, tout en exposant la formidable solidarité qui peut exister quand un drame se produit. Son texte est fort et bouleversant.»
– Samuel Pradier, Jeu revue de théâtre
«Un récit véridique qui relève à la fois du miracle et de la renaissance, bouleversant d’humanité.»
– Silvia Galipeau, La Presse
«Tranche de vie d’Audrey Talbot, Corps titan [titre de survie] est une des plus puissantes créations dramatiques à avoir vu le jour sur nos scènes dans les cinq dernières années. Avec une poésie, un humour et une fluidité étonnamment rafraîchissants et réjouissants malgré le chemin de croix digne d’une ascension du Kilimandjaro qu’elle raconte, tant Audrey Talbot l’autrice qu’Audrey Talbot la comédienne entraînent le public avec une redoutable efficacité.»
– Yanik Comeau, Théâtralité