MARIAGE. Quand la musique s’est tue, tous les invités avaient la mine basse, la larme à l’œil et ce besoin d’étreindre un être cher. Pourtant, ils venaient d’assister à un mariage magnifique. Celui de Sandra et Frédéric. À peine unis, les amoureux devront bientôt se dire adieu.
Quand il l’a vu entrer avec sa longue robe blanche dans l’allée de la luxuriante cour de la Maison René-Verrier, Frédéric Lemieux n’a pas pu retenir ses larmes. Il faut dire qu’en quelques jours à peine, il a organisé son mariage puis finalisé les préarrangements funéraires de sa douce moitié. Prêt à tout pour honorer ses dernières volontés, il a soulevé des montagnes pour tout organiser, tout en veillant sur ses trois filles âgées de 17, 14 et 8 ans.
«Comment je vais? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas encore encaissé le choc du diagnostic. J’imagine que ça va sûrement finir par me rentrer dedans», a partagé le Drummondvillois lors d’un généreux entretien avec L’Express, samedi dernier.
À 14 h 37 bien précises le lundi 15 août, Sandra et Frédéric ont été déclarés mari et femme devant un parterre de quarante invités. Faible et somnolente, la mariée de 44 ans n’a malheureusement pas pu quitter son lit durant la sobre cérémonie coprésidée par le révérend Claude Supple et la notaire Mylène Ouellet.
«Je veux partager mon amour avec toi pour le reste de ma vie. Je fais partie des chanceux. J’ai trouvé ma perle rare», a exprimé l’époux vêtu tout en noir, lors de l’échange des voeux, la voix étranglée par l’émotion.
Quand il a glissé le jonc à son doigt, Sandra a ouvert doucement les yeux. Elle lui a offert un joli sourire. Il n’en fallait pas plus que tous les invités applaudissent, mais avec retenue.
«Votre mariage est particulier, pour le meilleur et le pire, jusqu’à ce que la santé vous sépare. J’insiste pour dire que peu de gens ont déjà vécu ce que vous vivez, de cette manière. Un amour qui s’exprime consciemment aux portes de l’éternité. La plupart des gens vont se marier au début, parfois avec des conséquences. De votre côté, vous avez tout vécu, toutes les conséquences, et vous vous dites aujourd’hui « oui je le veux ». Ça, c’est de l’amour», a déclaré le révérend durant son homélie.
La grande demande
Frédéric a fait sa grande demande il y a douze ans. Le couple a célébré ses fiançailles, mais n’est jamais allé au bout de la démarche. «La vie va vite. Il y a eu les enfants, le travail. Ça n’avait jamais adonné», a-t-il raconté, deux jours avant le grand jour.
«Il y a deux semaines, elle m’a regardé et elle m’a dit : « Je crois que ce serait le temps qu’on se marie ». Tout est parti de là. On en a parlé avec les gens à la Maison René-Verrier et tout s’est enclenché rapidement», a ajouté celui qui travaille à l’hôpital Sainte-Croix.
Depuis l’annonce du mariage – et des circonstances particulières de celui-ci – le couple a été soufflé par la solidarité de la communauté. En plus de cet élan de la Maison René-Verrier, Fleuriste Bergeron a offert boutonnières et décorations florales, la bijouterie Lampron a conçu les joncs en quelques jours, la boutique Impact a créé le look chic et distingué de M. Lemieux, une dame a prêté une robe blanche à la future mariée puis le supermarché IGA a confectionné un gâteau.
«C’est presque trop, a murmuré Frédéric. Je n’en reviens pas. J’apprécie, car ce n’est pas facile d’organiser un mariage en deux semaines. D’habitude, les gens prennent un an pour ça.»
Sandra Demoulin est originaire de Nancy en France. Le 14 février 2018, jour de la Saint-Valentin, elle a appris qu’elle avait un cancer du sein. Chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie se sont enchaînées durant plusieurs mois. «Elle avait les cheveux longs. Quand elle s’est mise à les perdre, j’ai rasé mes cheveux aussi. Je ne voulais pas qu’elle se sente seule», a laissé tomber son conjoint.
La mère de famille a eu le privilège par la suite de vivre une période de rémission; toutefois, il y a quelques mois, le cancer est réapparu et s’est généralisé. Ses douleurs sont contrôlées par une forte médication. Ses jours, ils sont comptés.
«J’ai toujours voulu faire le maximum pour elle. Sandra, c’est le genre de personne qui n’arrêtait jamais. Elle s’est toujours oubliée pour les autres. Comme tous les couples, on a eu nos hauts et nos bas, mais on a toujours été là l’un pour l’autre. Lundi, je vais me marier par amour pour elle. Et c’est sûr que je vais vivre ça qu’une seule fois dans ma vie. J’ai hâte de la voir avec sa robe. Je ne sais pas encore si je pourrai parler, prononcer mes voeux. Je crois que ce sera trop dur pour moi. Quand je vais lui passer la bague au doigt, tout sera dit dans ce geste», a partagé Frédéric, en cachant ses yeux avec la paume de sa main.
«J’ai eu un coup de foudre la première fois que je l’ai vu et ça n’a jamais arrêté. Le mariage, on est rendu là. C’est ce que je veux depuis toujours», a exprimé faiblement Sandra.
Pour ajouter à l’émotion, tous les détails entourant les funérailles prochaines de cette dernière ont été finalisés au cours des derniers jours. Comme pour le mariage, tout sera réglé au quart de tour. C’est ce que Sandra, une organisatrice dans l’âme, souhaitait.
Elle désirait aussi laisser un héritage tangible à ses enfants. Ainsi, la semaine dernière, elle a lancé un livre intitulé «Les Lemieux» qui raconte l’histoire de sa famille. Véritable passionnée de littérature – surtout des romans d’horreur rédigés par Patrick Senécal – elle s’est inspirée de cet univers ténébreux pour raconter une histoire fictive, mais inspirée des siens. «C’était aussi son rêve, ce livre. On a fait des pieds et des mains pour qu’il sorte avant son décès», a fait savoir Frédéric.
L’argent qui sera récolté avec la vente de ce bouquin servira à réaliser l’ultime souhait de Sandra : un voyage à Nancy pour ses trois filles, Angelina, Alicia et Carolane. Pourquoi? Simplement pour qu’elles puissent découvrir le pays qui a vu leur maman prendre ses ailes… la première fois.
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