SOCIÉTÉ. Gabriel Jordan Ngawa Kameni a récemment bouclé sa valise. Pendant environ neuf mois, il a été hébergé au Centre d’hébergement St-Joseph, à Drummondville, en échange de quelques heures de bénévolat par semaine auprès de la clientèle.
Mai 2021. Le Centre collégial d’expertise en gérontologie (CCEG) du Cégep de Drummondville lance une invitation aux étudiants : troquer leur temps libre en s’impliquant dans une résidence pour aînés pour un loyer payé pendant un an dans celle-ci.
Gabriel Jordan Ngawa Kameni a vu l’annonce. L’étudiant en soins infirmiers a postulé, puis a passé une entrevue. Sa candidature a été retenue. «C’est le côté intergénérationnel qui m’a attiré. En fait, je n’avais pas lu la condition concernant le loyer. Je ne savais pas que je devais venir y habiter, avoue-t-il, en ricanant. Au début, j’étais réticent. Puis, je me suis engagé.»
Le Centre d’hébergement St-Joseph des Résidences Pelletier, qui accueille des retraités autonomes, semi-autonomes et en perte d’autonomie cognitive, a reçu une dizaine de curriculums vitæ. «On avait beaucoup de profils différents, de cursus scolaires différents. On voulait des jeunes qui sont en mesure d’avoir un rythme adapté aux résidences, qui désiraient avoir des moments de partage», indique le directeur de la résidence privée, Jasmin Gélinas.
Dès le début de l’année scolaire, Gabriel Jordan Ngawa Kameni ainsi qu’une autre étudiante se sont installés dans l’immeuble de la rue Melançon. Une chambre leur a chacun été fournie gratuitement. À condition, évidemment, qu’ils s’impliquent auprès de la centaine de résidents.
«De base, dans le contrat, il fallait faire 10 heures d’activités de loisirs par semaine. En début de session, c’était plus facile. Quand j’arrivais de l’école, ils étaient tous assis au salon. J’y allais et on discutait, on faisait des blagues. Après, on jouait aux cartes, on dessinait. Je soupais avec les résidents. Quand ma petite amie venait me rendre visite, elle me trouvait au salon et discutait aussi avec les résidents. C’était vraiment comme à la maison; quand tu arrives, tu salues mes colocs et après on y va», fait savoir le jeune homme de 24 ans.
Plus la session avançait, plus les travaux et les examens s’accumulaient. Sans compter les cours du lundi au vendredi, le stage, la vie personnelle et professionnelle. «Je commençais à manquer de temps. Il y avait des semaines où j’étais moins présent et après je culpabilisais parce que je ne respectais pas le contrat», mentionne Gabriel Jordan Ngawa Kameni, qui travaille environ 16 heures par semaine comme préposé aux bénéficiaires au CHSLD Frederick-George-Heriot.
Le directeur de la résidence pour aînés s’est toutefois fait rassurant. «Le bien-être des participants était la priorité. Les étudiants ont un horaire de vie très chargé. Gabriel avait une présence spontanée et très inclusive, surtout les soirs et les fins de semaine. Comme tous les colocs qu’on a eus dans nos vies, l’important, c’était qu’ils demeurent eux-mêmes. De plus, ça faisait partie du projet de recherche», soutient Jasmin Gélinas.
Favoriser les liens intergénérationnels
Lise Courchesne habite au Centre d’hébergement St-Joseph. Elle a eu l’occasion de côtoyer Gabriel Jordan Ngawa Kameni durant son séjour. «Il participe beaucoup, il est bien impliqué. On joue aux sacs de sable, il vient nous aider. Des fois, il nous joue des tours. J’aime bien ça. On s’amuse bien avec lui», témoigne la femme de 75 ans.
«Je trouve qu’il devrait y avoir des jeunes impliqués dans toutes les résidences. Les personnes âgées aiment parler avec eux et partager leurs connaissances. On voit qu’ils s’intéressent beaucoup à nous. Je trouve ça l’fun, ça nous rajeunit», lance-t-elle.
Pour Gabriel Jordan Ngawa Kameni, le contact avec ses colocs s’est fait naturellement. «À Frederick-George-Heriot, je suis habitué d’être avec les aînés. C’est là-bas que j’ai commencé à aimer les côtoyer. J’ai de la facilité à entrer en contact avec eux. Ils sont ouverts. Chaque fois qu’on se voit, on se salue, on fait des blagues», rapporte-t-il.
L’échange entre les générations lui plaît particulièrement. «Beaucoup me racontent leur carrière, comment était le Québec avant et maintenant, ce qui leur manque. Et moi, je leur raconte comment ça se passait dans mon pays avant et maintenant. Eux me partagent leur vécu, et moi le mien», rapporte le jeune homme originaire du Cameroun, qui habite à Drummondville depuis 2019.
Pour Jasmin Gélinas, l’expérience permet d’offrir un tout autre regard sur les personnes du troisième âge. «Dans le fond, quand on rentre dans une résidence pour aînés, on réalise que ces personnes-là, c’est nous plus tard. Il y a des plus tannants, des plus sages, des gens au grand cœur, des travaillants, etc. Ça normalise la vieillesse. Jaime beaucoup quand les jeunes viennent ici et s’en rendent compte. Après, quand ils en parlent, ils défont les tabous. Ils deviennent des agents de changement», se réjouit-il.
«On est rendu là dans notre société, à voir les choses autrement, à s’imaginer nous-même ce qu’on aimerait avoir lorsqu’on aura moins d’autonomie et de capacité. On souhaiterait juste pouvoir partager des moments avec toutes sortes de personnes», enchaîne-t-il.
Un projet qui fera des petits
Le projet de cohabitation intergénérationnelle est une première au Centre-du-Québec. Il s’est mis en place lorsque le CCEG du Cégep de Drummondville a été approché par l’ancienne directrice du Centre d’hébergement St-Joseph pour expérimenter une telle initiative.
Le CCEG s’est inspiré de la Résidence Les Marronniers de Trois-Rivières, qui offrait déjà un loyer à des étudiants en échange de bénévolat auprès de sa clientèle. «On a commencé à regarder la faisabilité. On a eu la chance d’être financé par le Secrétariat à la jeunesse pour documenter la démarche», indique Julie Castonguay, conseillère pédagogique à la recherche et chercheure au bureau de la recherche et de l’innovation du CCEG.
En plus d’avoir été en contact avec la Résidence Les Marronniers, le CCEG a suivi l’implication de deux étudiants au Centre d’hébergement St-Joseph et d’un autre au Centre d’hébergement Nicolet. L’expérience leur a permis d’élaborer des guides pour accompagner les résidences pour aînés, les établissements d’enseignement et les étudiants à travers un projet de cohabitation intergénérationnelle. Les documents seront officiellement lancés cet automne.
«On y retrouve plusieurs informations. Ça va permettre d’évaluer si toutes les conditions sont réunies pour réaliser un projet comme celui-là. Une fois que l’évaluation est faite, on agit comme accompagnateur à travers les différentes étapes. C’est important de bien définir le projet et de bien accompagner les étudiants par la suite. Je pense que ce projet va faire des petits», affirme Julie Castonguay.
Cette dernière encourage d’ailleurs la mise en place de projets de cohabitation intergénérationnelle pour ses nombreux bienfaits. «Ça donne un bon coup de main à l’étudiant parce que l’hébergement et les repas sont offerts. Dans un contexte de rareté de logements, ça enlève une préoccupation. De plus, les aînés peuvent aussi communiquer leurs connaissances et leurs expériences. Ça fait un beau partage entre eux et les jeunes», énumère-t-elle.
De son côté, Gabriel Jordan Ngawa Kameni recommande aux étudiants d’y participer si l’occasion se présente à eux. «J’en parle à tous mes amis et même en classe. Quand tu fais une activité avec les personnes âgées et qu’après, elles te remercient avec le sourire, ce sont des moments marquants», sourit-il, à son tour.