SANTÉ. L’unité de psychogériatrie du CHSLD Frederick-George-Heriot ne ressemble à aucune autre. Des gens hautement atteints cognitivement et ayant perdu leurs repères y cohabitent. Quotidiennement, du personnel dévoué fait des pieds et des mains pour rallumer une petite étincelle dans leur tête en déroute.
Le regard hagard, une femme s’approche et exprime sa douleur dans la poitrine; plus loin, une autre manifeste clairement son refus de ne pas se faire toucher la main tandis qu’à l’autre bout du corridor, un homme confus raconte sur un ton joyeux sa matinée de corvées à la ferme à une employée lui tendant les bras. Les jours se suivent, mais ne se ressemblent jamais dans cette unité où s’entrecroisent bienveillance, anxiété, sérénité, irritabilité, et confusion. Lors de notre visite, l’atmosphère était beaucoup plus détendue que les heures précédentes. On nous a prévenus des comportements imprévisibles des usagers et demandés de ne pas être trop intrusifs. Pour une rare fois, nous avons eu accès à un étage de ce CHSLD, car depuis quelques mois, le personnel expérimente des interventions non pharmacologiques afin d’apaiser l’anxiété dont souffre la majorité des 39 résidents. Ceci se fait dans le cadre d’un projet de recherche mené par Vanessa Rondeau-Lavaute, étudiante à la maîtrise en sciences infirmières à l’Université de Sherbrooke ainsi qu’infirmière clinicienne au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
«J’ai voulu faire cette étude dans l’intention d’optimiser la gestion de l’anxiété gériatrique auprès de la clientèle ayant des troubles neurocognitifs, car selon la littérature, il y a une plus forte proportion d’anxiété chez les personnes démentes. En raison de leur diagnostic, elles ont de la difficulté à verbaliser adéquatement leurs besoins, cela génère ainsi de l’anxiété et elles se retrouvent à ne plus être capables de manifester les besoins non comblés, donc elles tombent dans un cercle vicieux. Ici, au 3e Nord côté, il s’agit de personnes qui ont une atteinte neurocognitive majeure. Entre 70 % et 75 % des usagers souffrent d’anxiété. Pour ces raisons, je sentais vraiment le besoin d’explorer cette unité, d’autant plus que les résidents sont nombreux et qu’il y a une certaine hétérogénéité des problématiques», fait savoir l’étudiante.
Pour arriver à des résultats probants, Mme Rondeau-Lavaute a d’abord rencontré tous les employés de l’unité pour les informer sur l’anxiété gériatrique puis de les former sur les différentes approches. Elle souligne d’ailleurs l’ouverture et la bonne collaboration de tous.
Musicothérapie, massage, aromathérapie et activités de relaxation, voici les interventions proposées visant à stimuler les sens des usagers pour ultimement les apaiser. Concrètement, de petites radios et des diffuseurs d’huile essentielle ont été installés dans plusieurs chambres et les corridors avec le consentement des proches aidants.
«Chaque usager concerné a sa clé USB qui contient ses musiques et chansons favorites. Pour les corridors, une radio joue des bruits de la nature; l’autre de la musique plus rythmée au goût des bénéficiaires. Il est prouvé que la musicothérapie diminue instantanément l’anxiété, même que beaucoup d’études prouvent qu’il y a des effets à long terme allant de 12 à 24 semaines. Quant aux diffuseurs, c’est le même principe, on y est allé selon les odeurs préférées de chacun. En plus d’être apaisant, ça ramène les souvenirs», explique-t-elle.
Tout le personnel a également reçu une formation sur le massage des mains.
«Je me suis basée sur ce qui se fait en France, car ils sont très avancés là-dessus. La formation était nécessaire pour que les employés sachent reconnaître le moment où l’usager est tanné, notamment. Ils ont appris aussi quelques points de réflexologie. On a observé que ces soins favorisaient le sommeil tout en diminuant évidemment l’anxiété. Finalement, on a également implanté quelques activités de relaxation, tels que du yoga et la respiration. Ça permet d’occuper l’usager, donc pendant ce temps, il ne pense pas à son anxiété», détaille l’infirmière clinicienne qui œuvre à l’hôpital Sainte-Croix.
Celle-ci a bien voulu faire la démonstration de deux approches sur un résident. Quelque peu méfiant au départ, elle est parvenue à établir un lien de confiance en lui proposant de la musique avant de pouvoir lui faire un massage des mains qu’il avait refusé au départ. C’est d’un air détendu et serein qu’il s’est par la suite dirigé vers sa chambre pour souper.
Quelques minutes plus tôt, un préposé aux bénéficiaires s’est approché doucement d’une dame qui errait dans le corridor en lui proposant doucement de chanter. Il a suffi quelques paroles pour que le visage vide de la résidente s’illumine et que ses yeux s’imbibent d’eau. Un moment touchant.
Il s’agit-là de petits gestes simples, dont la portée peut s’avérer grande. Ces attentions permettent d’arrêter le passé, d’oublier le futur et profiter du moment présent. D’ailleurs, à ce jour, l’équipe constate que les résidents sourient davantage et semblent plus détendus.
«On observe de belles réactions chez les usagers : il y a des gens qui ne souriaient jamais qui se sont mis à sourire; d’autres commencent à avoir une meilleure interaction avec le personnel. Parfois, certains dansent, c’est beau à voir et en plus, le fait de bouger, ça prévient des conséquences physiques. Et que dire des moments où il faut faire les soins d’hygiène! Avec de la musique, ça devient plus facilitant, plusieurs résidents sont plus conciliants. Vraiment, on voit que les usagers retrouvent une certaine sérénité. Ils parviennent à vivre le moment présent, car souvent, ces personnes-là font des ruminations, de l’anticipation, parlent de leur passé. Bref, ça change carrément la dynamique de l’unité», énumère Mme Rondeau-Lavaute, satisfaite.
Gagner du temps
Et il n’y pas que les bénéficiaires qui en tirent avantage.
«Selon les commentaires reçus, j’ai noté que les employés ont beaucoup plus de plaisir à travailler, il y a moins de tension, le sentiment d’impuissance est diminué et ça améliore la satisfaction du travail. En étant plus heureux, le personnel est plus enclin à trouver des solutions pour optimiser la qualité de vie, donc ça donne des usagers heureux», observe l’étudiante à la maîtrise.
Si ce projet a amené le personnel à adapter ses façons de travailler, Mme Rondeau-Lavaute estime qu’il est gagnant, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.
«Pour que mon projet soit accepté, il fallait qu’il soit facile à intégrer, accessible pour le personnel et réaliste dans la routine de soins. Ce qui
a été mis en place, ce sont des suggestions, il n’y a rien d’obligatoire. Toutefois, ce qu’on observe, c’est que prendre dix minutes avec un usager, par exemple, ça va venir diminuer une escalade d’agitation, d’agressivité qui peut durer très longtemps. Donc en fin de compte, il y aura assurément une économie de temps. De plus, bien que ce ne soit pas le but premier de ma démarche, ça peut diminuer la prise d’antidépresseurs ou toutes autres sortes de médications», souligne-t-elle.
«Les équipes ont été super impliquées dans le projet, car il est intéressant et applicable dans le milieu. On a vu rapidement les effets, même si ç’a demandé un peu de réorganisation», affirme pour sa part Marie-Pier Mailhot, directrice adjointe du soutien à l’autonomie de la personne âgée, volet hébergement Rive-Sud au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
Enchantée des résultats, cette dernière indique que l’établissement a pour objectif d’implanter le projet ailleurs sur le territoire, au grand bonheur de Vanessa Rondeau-Lavaute.