SANTÉ. Jackie Lamothe a choisi la profession d’infirmière pour faire une différence dans la vie des gens. Elle a œuvré dix ans dans le système public jusqu’au jour où elle en a eu assez de devoir traiter ses patients comme des numéros. Aujourd’hui franchisée d’une agence de placement, elle vient à la rescousse du système de santé à sa façon en offrant de meilleures conditions aux travailleurs de la santé.
«J’adorais mon métier. Je l’adore encore, car je considère toujours qu’être infirmière c’est le plus beau métier du monde, mais plus ça allait, plus je pleurais en allant ou revenant du travail. J’ai choisi ce métier pour aider les gens, pour faire une différence pour eux, mais on me demandait de plus en plus de faire du travail à la chaîne, d’aller vite vite vite avec les patients. Ce n’est pas normal d’avoir seulement deux minutes pour changer une culotte ou donner la médication. On n’avait plus de temps pour rassurer les usagers, encore moins de prendre de leurs nouvelles et les écouter. C’étaient toutes des choses que je n’étais plus capable de vivre», se remémore avec désolation Jackie Lamothe.
Toutes ces situations pesaient lourd sur ses épaules jusqu’à miner son moral et sa vie de famille.
«Je suis maman de trois enfants et mon mari est infirmier également. Ça venait difficile de combiner famille et travail. Il y a trois ans, on a commencé à regarder du côté des agences et c’est là qu’on a découvert Serenis. On est tombé en amour avec leur philosophie qu’est de prendre le temps avec les patients. Je suis rapidement devenue franchisée pour la région du Centre-du-Québec. Après un an, j’ai acheté une deuxième franchise (Mauricie), puis une troisième (Montérégie-Est)», explique la Drummondvilloise.
Jackie Lamothe compte actuellement une centaine d’employés que ce soient des infirmières auxiliaires et cliniciennes, des préposés aux bénéficiaires jusqu’à des psychoéducateurs.
Pour les trois territoires, entre 1500 à 2000 heures de soins par semaine sont prodiguées par les professionnels qu’elle embauche. À Drummondville, cette main-d’œuvre indépendante œuvre principalement au CLSC Drummond.
«Je mise beaucoup sur les conditions de travail, donc il n’y a aucun numéro d’employé, beaucoup moins de formulaires à remplir et il y a une grande ouverture pour les congés et la conciliation travail-famille. Aussi, je place les employés selon leurs intérêts et je mise sur le long terme», souligne l’infirmière auxiliaire de formation.
À son avis, elle est bien placée pour comprendre les besoins et la réalité des travailleurs de la santé ayant elle-même oeuvré dans le réseau. De par son rôle de gestionnaire, elle peut également bien conseiller et guider les propriétaires de résidences et gestionnaires sur le terrain. L’objectif est de travailler dans l’intérêt de ses employés, pour le bien des usagers, tout en étant en étroite collaboration avec le CIUSSS.
Les agences critiquées
Les agences de placement sont la cible de plusieurs critiques par les jours qui courent. Le recours à cette main-d’œuvre indépendante dans les installations de santé engendre des coûts exorbitants à l’État. Si dans le réseau, ce service est perçu comme une bouée de sauvetage, le ministre de la Santé, Christian Dubé, lui, a souligné la semaine dernière vouloir «se libérer des agences» d’ici trois ans.
«C’est plate que le gouvernement nous (agences) fasse un peu la guerre parce que justement, le fait qu’on soit là , ç’a évité beaucoup plus de délestage qu’on aurait pu avoir au cours des deux dernières années. Par exemple, si mes employés n’avaient pas travaillé au centre d’hébergement lié à la COVID à Nicolet, le CIUSSS aurait eu à déplacer des infirmières qui travaillent dans les hôpitaux et CHSLD. Ça coûte plus cher, oui, mais il faut quand même prendre en considération qu’on a été d’un énorme support», soutient Jackie Lamothe.
À ses dires, la dégradation du réseau public a favorisé l’émergence des agences de placement.
«Si le réseau allait bien, qu’on serait capable d’offrir des conditions humaines à nos infirmières et les laisser pratiquer comme il se doit et avoir du temps pour leurs patients, je ne serais même pas capable de recruter. On existe pour garder le maximum d’infirmières, sinon on va les perdre une par une. Combien de fois j’entends cette phrase : « Tu es ma dernière chance, si ça ne fonctionne pas avec toi, je vais me recycler ». Mon agence est comme un filet, je récupère et retient tout le personnel qui aurait quitté», fait valoir Mme Lamothe, qui a parmi ses employés des professionnels à la retraite.
«Vous savez, je n’ai pas quitté le réseau sans y réfléchir. Je me suis lancée dans cette aventure pour avoir de meilleures conditions, oui, et pouvoir mieux concilier travail-famille, mais aussi pour aider du mieux que je peux le réseau et c’est ce que je fais depuis trois ans», poursuit-elle.
Jackie Lamothe comprend malgré tout la volonté du gouvernement de fermer la porte aux agences, mais elle estime que de ne plus avoir recours à ce type de service est «utopique»
«La journée que le réseau n’aura plus besoin des agences, cela voudra dire qu’il n’y aura plus de temps supplémentaire obligatoire et que les problèmes de quotas et d’épuisements professionnels seront réglés. Cela voudra aussi dire que les infirmières ne seront plus épuisées, qu’elles auront de belles conditions et que tous les gens à domicile pourront avoir un accès rapide aux soins appropriés. Cette journée-là , je vais retourner dans le réseau parce qu’il sera 100 % fonctionnel. Mais pour le moment, il n’y a pas de baguette magique pour remédier à la situation, donc je vais continuer à travailler sans compter mes heures, pour faire entendre la voix des professionnels en santé, mais aussi, des patients. Avant tout, je suis infirmière auxiliaire et avant tout, je veux que le Québec aille bien», soutient-elle.
Soulignons que se déroule actuellement la Semaine nationale des soins infirmiers.
«J’aimerais vraiment exprimer toute ma reconnaissance envers tous ces professionnels, car c’est eux qui tiennent à bout de bras notre système de santé», tient à exprimer en guise de conclusion Jackie Lamothe.