PANDÉMIE. Le resserrement des mesures sanitaires des derniers jours, particulièrement dans les milieux où vivent les personnes âgées, fait craindre le pire pour le fragile équilibre de la santé mentale.
Hélène Bigué prend soin de son beau-père, Yvan Drolet, depuis 2012. L’homme de 89 ans vit au centre d’hébergement Frederick-George-Heriot. Bien que ce dernier soit vieillissant et ralenti par la maladie qui affecte ses capacités intellectuelles, elle remarque une dégradation marquée de son humeur, de sa santé émotionnelle.
«Je vois toute la détresse dans cette personne-là qui ne comprend pas ce qui se passe. Chaque jour, je l’habillais et je l’amenais prendre l’air dehors. Ce n’est plus permis maintenant, car il y a des éclosions au centre. Il m’a demandé s’il avait été emprisonné. Il souffre beaucoup d’être isolé dans sa chambre. Il ne sort plus, pas même pour une douche ou un bain. Il se fait laver à la débarbouillette dans sa chambre. Il tourne en rond comme un chien dans une cage. On essaie de lui expliquer, mais ce n’est pas facile. L’autre jour, il a essayé de s’enfuir», raconte sa proche aidante. Mme Bigué est orthophoniste de métier. Elle est maintenant à la retraite.
Certains jours, elle constate, à regret, que M. Drolet préfère rester coucher. Le découragement voire le désespoir prend le dessus.
«C’est tellement flagrant. Parfois, il se décourage et il reste couché. Pour une personne de cet âge-là qui reste alitée une journée, il faut compter trois ou quatre jours pour remonter la pente. On voit aussi son anxiété prendre le dessus. L’autre jour, il a eu peur de la lumière du plafond de la chambre d’en face. Dans sa tête, il vit dans une prison. On dit qu’il faut les protéger du virus, mais on les enferme. On oublie leur santé mentale qui, à mon avis, est importante, peu importe l’âge. On a peut-être trop versé d’un côté», insiste Mme Bigué.
À Sophie Bourgeois, son accompagnante des derniers mois, M. Drolet, a lancé : «Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça?».
«Les gens en général savent ce qui se passe dans le monde, mais pas ces personnes-là. Elles deviennent confuses et perdent tous leurs repères», explique Mme Bourgeois qui prend soin de personnes âgées à la demande de familles depuis plusieurs années. Elle ajoute : «Malheureusement, les préposées n’ont pas le temps de les divertir. Elles sont en surcharge de travail. Oui, il y a des choses temporaires qui peuvent leur faire du bien, comme manger du chocolat, boire un café ou faire des blagues, mais ça ne dure pas. C’est le contact humain qui leur manque. C’est très difficile actuellement. Il y a de la tension.»
M. Drolet est un survivant de la COVID-19. Il a failli succomber, l’hiver dernier.
Morte d’ennui
Également proche aidante, Josée Landry se rend tous les jours, depuis quatre ans, auprès de sa mère atteinte de démence mixte. Elle vit au CHSLD Frederick-George-Heriot. Si la COVID-19 a fauché plusieurs vies à cet endroit, elle a également eu raison de la santé mentale de plusieurs résidents.
«Tous les résidents ont perdu du cognitif, même ceux qui n’avaient pas d’atteinte avant la pandémie. La cochambreuse de ma mère est carrément décédée d’ennui. Elle allait bien; elle n’avait pas de maladie grave. Elle était habituée d’avoir de la visite tous les jours. Du jour au lendemain, la visite a cessé. Elle a essayé plusieurs fois de se sauver. Deux mois plus tard, elle est décédée. Je n’ai pas compté le nombre de jours qu’ils ont été isolés dans leur chambre depuis deux ans et demi, mais c’est vraiment beaucoup», exprime cette aidante naturelle.
Préoccupée par leur santé globale, Mme Landry n’a pu s’empêcher d’écrire au début de la pandémie à la ministre des Aînés, Marguerite Blais. Avec sa missive, elle souhaitait la sensibiliser au danger de l’isolement.
«J’écrivais qu’il n’était pas envisageable de les laisser enfermés et isolés pendant deux ans à cause de la pandémie. Finalement, c’est ce qui arrive. J’ai l’impression que les gens dans les ministères n’ont jamais mis les pieds dans un CHSLD. En tant que société, on n’aurait jamais pensé laisser des enfants isolés dans des CPE et privés de leur famille pour le bien de leur santé physique. Pourquoi on le fait pour des personnes âgées?», s’indigne-t-elle.
Déplorant que le CIUSSS MCQ ne fasse aucune distinction entre visiteurs et proches aidants, Mme Landry s’estime par ailleurs «chanceuse» d’avoir encore l’autorisation de pouvoir amener sa mère de 85 ans dans une verrière, quelques minutes par jour.
«Il a vraiment fallu que j’insiste cependant. Je vois que ça lui fait du bien de changer de pièce, ne serait-ce que pour le changement de luminosité», dit-elle.
Doutant que les nouvelles maisons des aînés viennent améliorer le sort de cette clientèle, l’aidante observe aussi que le manque de personnel n’aide pas la situation.
«Les communications sont très difficiles au CHSLD. Quand j’y vais, je sais souvent ce que j’ai le droit de faire avant que le personnel ne soit au courant. On ne sait jamais vraiment à qui s’adresser. Il n’y a personne qui nous répond vraiment et il n’y a rien d’affiché à nulle part», se désole-t-elle.
«L’ennui est pire que la maladie»
La Drummondvilloise Diane Turmel est une proche aidante à temps plein. Sa mère de 86 ans vit aux Terrasses de la fonderie; son père, au CHSLD Frederick-George-Heriot. Si la dame est autonome, Julien Turmel nécessite davantage de soins en raison de problèmes aux jambes. Il a de bonnes capacités cognitives, malgré ses 91 printemps.
Chaque jour, elle va jouer une partie de cartes avec son père, qui se plaît à compter les points. Il s’agit d’un moment précieux qui lui permet de garder l’équilibre.
Le resserrement des mesures dans les milieux de vie, annoncé le 4 janvier dernier par le gouvernement Legault, est cependant venu raviver de douloureux souvenirs.
«Je ne voudrais pas que ça revienne comme l’hiver dernier. On n’avait plus le droit d’aller le voir. On allait sur la pelouse et il nous regardait en pleurant par la fenêtre. C’était tellement difficile…», s’est rappelée sa fille, secouée par un sanglot.
Présentement, l’unité où M. Turmel vit est touchée par une éclosion. Il doit donc rester dans sa chambre en tout temps. Et comme dans tous les CHSLD au Québec, un seul proche aidant par jour peut se rendre auprès d’un patient.
«Il est pris dans sa chambre. Des fois, il essaie de sortir avec sa chaise, mais on le retourne aussitôt. On ne peut plus appeler ça un milieu de vie. Le personnel ne pense qu’en fonction de la santé physique des personnes âgées. Mon père, tout ce qu’il veut, c’est de pouvoir aller voir ma mère. Encore hier, il a dit que l’ennui est pire que la maladie», raconte Mme Turmel.
Les éclosions en force au centre d’hébergement Frederick-George-Heriot risquent de retarder les douces retrouvailles du couple. Malheureusement.
Extrêmement difficile
Questionné lors d’une conférence de presse tenue le 4 janvier dernier à propos de l’isolement des aînés et des ressources mises à leur disposition, Carol Fillion, président-directeur général du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, n’a pas caché que la situation s’avère «extrêmement difficile» présentement.
«On travaille beaucoup avec les proches aidants pour qu’ils viennent contribuer à l’ensemble des activités quotidiennes et au maintien d’un bon équilibre de vie pour chacun de nos aînés qui sont en CHSLD. Je ne vous cache pas que la situation est extrêmement difficile; on est dans une situation sans précédent, mais l’orientation est d’avoir le plus d’interventions de proximité et de stimulation, et ce, en grande complicité avec les proches aidants», a-t-il indiqué.
Ce dernier a par ailleurs indiqué «qu’en CHSLD, il faut travailler à maintenir l’équilibre entre la protection des gens qui y habitent et leur capacité à vaquer à leurs activités quotidiennes».