MAGAZINE. D’aussi loin qu’il se souvienne, Jeffrey Gallant se passionne pour la science et l’aventure. Devenu un explorateur de renommée internationale, le spécialiste de la plongée sous-marine et le défenseur des requins voit grand pour son groupe de recherches.
Durant sa jeunesse passée à Drummondville, Jeffrey Gallant se régale de chaque épisode de la série télévisée mettant en vedette le commandant Jacques-Yves Cousteau. Le légendaire explorateur français devient vite pour lui une grande source d’inspiration.
«J’aimais beaucoup quand il partait en expédition et qu’il racontait ce qu’il voyait, raconte Gallant. Ça m’a toujours fasciné. J’ai commencé à faire la même chose que Cousteau, mais à petite échelle. Pratiquement tous les jours, on allait pêcher entre amis au barrage Hemming. J’ai rapidement délaissé la pêche pour m’intéresser aux animaux.»
En parallèle, le jeune Gallant se passionne pour la plongée sous-marine. Par l’entremise des cadets de la Marine, il suit une formation en Colombie-Britannique. «De là, ce fut le coup de foudre! Je n’ai jamais cessé de plonger», se souvient l’auteur de l’ouvrage à succès Diving Almanac & Book of Records.
C’est en 1996 que Jeffrey Gallant commence à se passionner pour les requins, lorsque son chemin croise celui des chercheurs Aidan Martin et Chris Harvey-Clark lors d’une conférence prononcée en Nouvelle-Écosse. «Chris avait vu des manchettes de journaux disant que des requins avaient été pêchés dans le Fjord du Saguenay, sous la glace. Aidan m’a demandé pourquoi je n’irais pas enquêter là-dessus», relate-t-il.
Lors de ses voyages de plongée, Gallant s’arrête donc dans des villages pour interroger des pêcheurs. «Je posais des questions aux gens, à savoir s’ils avaient des histoires de requins à me raconter. Si ce n’était pas eux, c’était le père ou le grand-père qui avait des anecdotes de requins capturés dans le Fjord ou dans l’estuaire», se remémore-t-il.
Après avoir vécu un rêve en plongeant avec l’équipe Cousteau en 1999, Jeffrey Gallant codirige ses premières expéditions d’observation de requins au large d’Halifax et au Saguenay. Pour cette grande première canadienne, une cage d’observation est fabriquée au centre de formation professionnelle Paul-Rousseau.
«En Nouvelle-Écosse, on a vu des requins bleus. Au Saguenay, on a organisé des expéditions hivernales dans des conditions difficiles. Ce qu’on tentait de faire, c’était une première : aller à la rencontre d’un requin du Groenland sous la glace. On a mis des postes d’appâtage à plusieurs profondeurs pour l’attirer progressivement vers la cage», explique Gallant.
En 2003, des citoyens contactent Gallant pour l’informer que des requins auraient été aperçus dans une baie près de Baie-Comeau. Dès le lendemain, le chercheur débarque sur la Côte-Nord. «Dès la première plongée, je suis tombé face à face à une femelle qui faisait presque quatre mètres. C’était un requin du Groenland. Tout le poids du monde venait de s’enlever de mes épaules. On cherchait depuis plusieurs années. Enfin, on avait notre requin, mais dans des conditions complètement inattendues! L’eau était relativement chaude. C’était à la surface. Pas besoin de cage ni d’appâts. On sautait au bout d’un quai et les requins étaient là», détaille celui qui a mené le premier marquage sur un requin du Groenland en y posant un émetteur.
Ces rencontres extraordinaires durent pendant huit ans, mais elles cessent brusquement en 2011. «On plongeait sans se demander si on allait voir un requin, mais plutôt combien. C’est toujours le seul endroit au monde où il y a eu des rencontres prévisibles. Il semble y avoir un cycle où les requins viendraient, puis disparaîtraient. On pense que c’est associé aux mouvements de leurs proies. On n’a pas réussi à mettre le doigt dessus encore, mais on maîtrise maintenant très bien les conditions environnementales que le requin va tolérer. On a fait plusieurs découvertes et on a publié plusieurs articles scientifiques à ce sujet.»
De grands projets
Pour mener à bien ses recherches, Jeffrey Gallant met sur pied l’Observatoire des requins du Saint-Laurent, un organisme à but non lucratif qui étudie les requins du Canada atlantique et de l’océan Arctique. «On est un peu comme le Centraide des requins! On s’intéresse aux neuf espèces présentes dans le Golfe du Saint-Laurent», explique Gallant.
En ce moment, l’Observatoire s’intéresse plus particulièrement au requin pèlerin ainsi qu’au requin blanc. Depuis 2020, le groupe n’a toutefois pu mettre son bateau à l’eau en raison de la pandémie. Gallant a profité des derniers mois pour réorienter la mission de l’organisme, aujourd’hui devenu très respecté au sein de la communauté scientifique. «Ç’a commencé petit. Au début, on payait tout de notre poche. On avait peu de moyens et d’équipements. Graduellement, j’ai eu de l’aide de partenaires corporatifs. Aujourd’hui, on est aussi bien, sinon mieux équipés que certaines universités, mais on est très dépendants des dons de charité.»
Aux yeux de Gallant, l’Observatoire est donc aujourd’hui à la croisée des chemins. «Soit on plafonne, soit on réoriente nos objectifs et on se donne à fond pour aller chercher de nouvelles sources de financement. Pour obtenir des subventions, il faut créer des projets de recherche, puis les vendre. C’est ce qu’on va commencer à faire dès maintenant.»
Coïncidant avec le 20e anniversaire de l’organisme, l’année 2023 marquera le début d’une nouvelle étape pour l’Observatoire. «On vise le plus haut possible, avec des projets qui vont s’échelonner sur plusieurs années avec des attentes concrètes, des découvertes scientifiques, de grandes avancées ou de la conservation et de la mise en valeur des espèces. On veut conscientiser la population à l’importance du requin, son rôle et l’importance de le protéger. Le requin joue un rôle vital dans le maintien des écosystèmes océaniques, qui sont en quelque sorte le garde-manger de milliards de personnes dans le monde», explique le directeur scientifique de l’Observatoire, en rappelant que les requins sont toujours menacés par le commerce de leurs ailerons.
«Même si on n’aime pas les requins, il faut comprendre et respecter leur rôle et essayer de les protéger, ne serait-ce que de façon égoïste, parce qu’on en a besoin pour manger du poisson. Il faut l’expliquer aux gens, même si ça ne rejoint pas autant les Québécois, car on n’est pas aussi dépendants des ressources maritimes pour s’alimenter. Les gens sont peu conscients des requins au Québec, même s’il y en a beaucoup et depuis longtemps», ajoute celui qui a été élu membre Fellow du prestigieux The Explorers Club.
Sollicité par les médias en tant que spécialiste lorsque des attaques de requins surviennent au pays, Jeffrey Gallant a récemment décidé de créer un premier registre canadien sur ces incidents.
«J’ai fouillé jusque dans les années 1600 pour trouver le premier incident qui serait survenu à l’époque de la Nouvelle-France. Il y a 25 événements répertoriés, dont certains impliquent les Premières Nations. C’est un travail vraiment fascinant, parce que ça combine de l’histoire, de la biologie et de l’éthique.»
«De plus en plus, ce que j’aime de mon travail, c’est que ce n’est plus seulement de la science, mais aussi de la philosophie, ajoute le père d’une fillette de cinq ans. Je me rends compte que tout ce que j’ai fait dans la vie, mes connaissances et mon vécu, ça vient compléter mon côté scientifique. Je vais puiser dans tout ce que j’ai acquis. Je retire un étrange plaisir de tout ça : écrire, mais le faire en tant qu’être humain qui est à la fois un chercheur et un citoyen d’Amérique du Nord conscient de ses origines et de ses privilèges. Je trouve ça tripant!»
Ce registre sera également publié dans un livre ayant pour sujet les requins du Golfe. Au-delà des fiches techniques, cet ouvrage s’intéressera à la relation entre les humains et les requins. «Les pêcheurs ont une relation privilégiée avec les requins. Quand je les rencontre, je leur dis qu’ils sont aussi des biologistes à part entière. C’est simplement qu’ils ont été formés autrement. Aucun biologiste sur la planète ne fait autant de terrain qu’eux. Ils sont témoins de choses extraordinaires. C’est un savoir important qui n’est pas assez apprécié.»
S’inspirant de son mentor Cousteau, Gallant ambitionne également de lancer une série télévisée mettant en valeur les requins du Golfe. «On veut impliquer les riverains sur le bord de la mer. Ce sera une histoire autant humaine que sur les requins.»
Plus qu’un scientifique, Jeffrey Gallant se voit aujourd’hui comme un véritable chorégraphe coordonnant plusieurs domaines à la fois. «En début de carrière, j’étais naïf et plein d’énergie. Aujourd’hui, je suis plus conscient de toutes les jambettes qu’on va avoir à travers nos projets. Tout ce que ça implique au niveau de la logistique, de l’argent et du temps investi. Je n’y vais vraiment pas à l’aveuglette. Ça me fait un peu peur, mais ces projets vont mettre les requins sur la carte. C’est indispensable. Les gens doivent connaître les requins pour qu’on puisse poser des actions concrètes pour les protéger. Parce qu’ultimement, c’est ça mon but.»
À l’approche de sa retraite au Cégep, Gallant souhaite maintenant exercer sa vocation à temps plein. «Ça va trop bien pour arrêter! Cousteau a plongé jusqu’à l’âge de 85 ans et il a géré son organisme jusqu’à 87 ans. J’espère pouvoir en faire autant. Le meilleur s’en vient», dit l’ami des requins en guise de conclusion.
Fidèle à Drummondville
Toujours aussi attaché à Drummondville, où il enseigne l’anglais au Cégep, Jeffrey Gallant continue de mener son projet de redécouverte de la rivière Saint-François et de son bassin versant. S’intéressant notamment à la migration annuelle de la grande oie des neiges, il souhaite révéler les secrets de ce joyau naturel.
«L’idée, c’est que la population reprenne possession de ce plan d’eau qui a donné naissance à plusieurs communautés. À l’époque, Drummondville n’aurait pas été fondé sans la rivière, mais avec le temps, elle a perdu de son importance. Pourtant, quand on se met la tête sous l’eau, on y fait toutes sortes de découvertes extraordinaires. C’est bondé de vie!»