MAGAZINE. Patrick Senécal a beau vivre depuis plus de 30 ans à Montréal, Drummondville occupe toujours une place de choix dans son cœur. Son attachement à sa ville natale est tel qu’il en fait toujours allusion dans ses romans. Entrevue avec le maître québécois du roman noir.
C’est un peu inconsciemment si le nom Drummondville s’est retrouvé au cœur des premiers romans de Patrick Senécal, au des années 1990.
«Ce n’était pas prévu au départ de mettre Drummondville dans les romans. C’est au troisième que je m’en suis rendu compte. À partir de ce moment, je me suis donné comme challenge d’avoir au moins le nom Drummondville dans tous les romans», fait savoir l’écrivain.
Tantôt l’action du livre se déroule à Drummondville, tantôt seul un personnage y est originaire.
«L’action ne peut pas toujours se dérouler à Drummondville, car l’histoire ne s’y prête pas tout le temps et aussi, un moment donné, si ça se passe toujours là, ça va devenir invraisemblable qu’il se passe autant de choses à Drummondville! précise-t-il en riant. Il faut que je lui donne un break de temps à temps! D’ailleurs, mon prochain roman ne se passera pas à Drummondville, mais il va quand même y avoir de l’action. Bref, j’essaie d’en faire une signature, et ce, pour toujours, si possible».
«D’en parler dans mes romans, c’est comme une façon de rendre hommage à ma ville natale, mais c’est aussi un clin d’œil, car s’il y a une place où c’est tranquille, c’est bien Drummondville alors qu’à travers mes romans, il s’agit de la ville la plus dangereuse!» ajoute le sourire dans la voix celui qui a quitté sa ville natale pour les études, à l’âge de 19 ans.
Patrick Senécal vient faire un saut à Drummondville occasionnellement, ses parents et sa sœur y demeurant. Il en profite parfois pour s’inspirer et faire du repérage. Ce fut d’ailleurs le cas au moment de l’écriture de Il y aura des morts.
«Il s’agit d’une chasse à l’homme à travers la ville. J’ai beaucoup utilisé le Google Maps, mais je tenais à venir sur place pour savoir si les endroits que je nommais avaient changé et qu’est-ce que ça avait l’air en vrai», se rappelle-t-il.
«C’est intéressant, car je me suis déjà demandé si je continuerais à venir à Drummondville si je n’avais plus de famille. J’imagine que je viendrais de temps en temps ne serait-ce que pour faire le tour des lieux, prendre le pouls de la ville afin de voir ce qui a changé, évolué», poursuit le sympathique auteur.
Après ses études universitaires, Patrick Senécal a obtenu un poste d’enseignant de littérature au Cégep de Drummondville qu’il a conservé durant 13 ans, jusqu’à ce qu’il ne parvienne plus à jumeler enseignement et écriture. Devenu alors Montréalais, il a, pendant toutes ces années, voyagé Montréal-Drummondville. S’il affirme aimer sa ville natale, l’écrivain souligne toutefois qu’il ne reviendrait plus s’y installer, et ce, pour «dix mille raisons».
«Oui, j’ai un attachement. J’ai eu trop de choses formatrices et que j’ai découvertes ici pour l’oublier. Veut veut pas, ta ville natale teinte toutes tes premières expériences, donc c’est immanquable qu’il y ait toujours un amour pour, mais je ne revivrais plus ici, car mes enfants, ma femme, mes amis sont à Montréal, bref, pour dix mille raisons», fait-il valoir.
Nouveautés et diversification
Patrick Senécal a été occupé plus que jamais dans la dernière année : écriture et sortie de son roman Flots, publication de l’adaptation en bande dessinée d’Aliss, scénarisation et diffusion du balado Écho mettant en vedette Céline Bonnier et enfin, écriture et diffusion de Patrick Senécal présente, une série web sur Illico explorant l’univers tordu de l’auteur, que ce soit le suspense, l’horreur, le fantastique ou même l’humour noir. Une année riche en termes de diversité.
Sa créativité ne s’essouffle pas, car il planche actuellement sur son 22e roman.
«Il est très brièvement commencé, c’est-à-dire que le plan est fait et je vais bientôt me mettre à l’écriture. C’est la première que je prends autant de temps à en commencer un autre. J’avais besoin d’un break je crois, mais il faut dire que j’ai eu plein de projets sans oublier la pandémie. J’ai également un autre projet qui m’accapare pas mal, mais je n’ai pas le droit d’en parler pour le moment sinon que ça me sort complètement de ma zone de confort, un peu comme le balado. Ça, ç’a été intéressant en maudit, j’ai eu bien du fun à faire ça! D’ailleurs, maintenant, si on me propose un projet, j’accepte seulement si c’est du nouveau pour moi, si c’est intéressant à explorer», explique le prolifique écrivain.
Patrick Senécal vise l’automne 2022 pour la sortie de son prochain livre, peut-être le printemps.
Imaginaire sombre sans borne
Rares sont les fois où Patrick Senécal a écrit des textes sans éléments noirs, gores et / ou d’horreur. À ses dires, lorsqu’il essaie de bifurquer ailleurs, l’écriture sombre revient assez rapidement.
«Peu importe l’idée que je vais avoir au départ, on dirait toujours qu’il faut que ça devienne sombre. J’ai l’impression que si j’avais une histoire d’amour, ça n’irait pas bien! On dirait que mon imaginaire a une courbe naturelle vers le côté sombre», ricane l’auteur qui s’estime chanceux de pouvoir vivre de son art.
Pour éviter de tomber dans le piège de la redondance, le Drummondvillois d’origine soutient qu’il porte soigneusement attention à chacun des détails de ses histoires.
«Le danger d’aborder toujours les mêmes thèmes, de conserver les mêmes « manies » d’écriture, c’est de se répéter. Il faut vraiment faire attention. Oui, c’est un défi de se renouveler et ça me préoccupe constamment. C’est pour ça que je porte une grande attention lorsque j’écris en me posant ces questions : « Est-ce que je l’ai déjà dit, déjà raconté? ». Ça m’est déjà arrivé d’avoir un début d’idée et de me dire, « Non, va-t’en ailleurs, car tu l’as déjà fait »», précise-t-il.
Son imaginaire est sans borne et peut aller dans toutes les directions. Patrick Senécal peut aller loin dans la sordidité et les détails explicites, mais jamais il ne s’est privé de parler d’un sujet, même si ça peut semer la controverse.
«Ce n’est pas les sujets qu’il faut éviter, on peut parler de tout, mais c’est dans la manière de raconter les choses qu’il faut faire attention. Contrairement à ce qu’on peut penser, je n’entre pas toujours dans les détails, j’ai certaines limites, par exemple, je ne décrirai jamais une agression ou un meurtre d’enfant. Je n’en ai pas envie», souligne-t-il, en notant qu’il n’a jamais été la cible de commentaires disgracieux à son égard ou de vives critiques.
«Ces temps-ci, en plus, les sujets tabous, il y en a plus que jamais, car on vit dans un univers tellement politiquement correct. Donc il ne faut pas avoir peur de parler d’affaires pour brasser la cage. Je ne dis pas qu’il faut être provocateur, baveux, mais je pense que plus que jamais, on a le droit de parler de tout ce qu’on veut», se dit d’avis l’auteur de 53 ans, en guise de conclusion.