ARCHÉOLOGIE. Drummondville s’apprête à déterrer plus de 200 ans d’histoire sous le stationnement de la place d’Armes. Des fouilles archéologiques seront réalisées pour la toute première fois sur le site répertorié comme étant son lieu de fondation.
«Enfin, on va peut-être mettre la main sur des artéfacts du tout début de la fondation de Drummondville. On n’a absolument rien de cette époque. Pas de gravure, pas de dessin, même pas les archives personnelles du fondateur Frederick George Heriot, s’exprime l’historienne Yolande Allard. Pendant les fouilles archéologiques, tout ce qu’on va trouver, c’est précieux.»
Comme son nom l’indique, le sous-sol du stationnement public renfermait jadis une place d’Armes. L’occupation permanente du site aux abords de la rivière Saint-François remonte en 1815, lorsque le lieutenant-colonel Heriot y a fondé un établissement militaire avec des compagnons d’armes. Le chef-lieu deviendra Drummondville.
«Ça suscite beaucoup d’enthousiasme et d’admiration quand on sait maintenant que Drummondville était une colonie militaire active avec un champ de manœuvre. Il n’y a pas beaucoup de villes au Québec qui ont une place d’Armes. Actuellement, j’en ai décelé trois : Québec, Montréal et Trois-Rivières. Je n’en ai pas trouvé d’autres. Ce n’est pas peu dire d’avoir une place d’armes où on déposait les armes et où on faisait des manœuvres militaires. Il me semble que c’est vraiment une marque unique qu’on a à Drummondville», rapporte Mme Allard.
L’ancien champ de manœuvres militaires de la colonie se trouvait du côté de l’actuel parc Woodyatt. Tout juste derrière les bâtiments qui abritent notamment Choco Daisy et Créations Sucrées était située une caserne servant à la fois de dispensaire, de dortoir, de tribunal de justice et de lieu de culte pour les anglicans et les catholiques. Deux autres casernes, utilisées notamment comme entrepôts avaient été construites à côté.
«En 1826, soit 11 ans après l’année de fondation, il y a eu un grand feu qui a détruit tout Drummondville, excepté les deux églises catholique et anglicane de l’époque. Le reste a tout passé au feu. Les casernes aussi. Ce qui a été leur malchance à eux sera peut-être notre chance à nous. Pour moi, c’est inespéré ce qui nous arrive aujourd’hui. Je suis ouverte à toutes les surprises qu’on peut avoir», soutient l’historienne.
Au cours de leurs recherches, les archéologues pourraient notamment découvrir des vestiges témoignant des débuts de l’occupation coloniale anglaise. «C’est à cet endroit que va se dérouler le principal de la vie, de la colonie de la rivière Saint-François pendant une bonne trentaine d’années. C’est là qu’il y a eu les casernes où étaient logés dans un premier temps les vétérans et leurs familles, et dans un deuxième temps, les immigrants irlandais pour la plupart. On pourrait trouver des armes, des outils, des boutons d’uniforme», expose l’historien Mauricie Vallée.
«On va pouvoir probablement découvrir où se trouvaient précisément ces casernes, les dimensions, comment elles étaient occupées. La disposition des tables, des chaises et des lits à l’intérieur de ces casernes, c’était important. Dans la tradition britannique, on installait dans les coins des casernes les couples mariés ou les couples avec enfants, alors qu’au centre, c’étaient les célibataires, de même que les tables, les chaises et le poêle. On va peut-être avoir des indications sur qui a vécu dans ces casernes et d’où ils venaient. Il y a des possibilités de savoir qui étaient ces gens-là et qui va défricher, construire toute la MRC de Drummond d’aujourd’hui», poursuit-il.
L’historien souligne l’apport de l’archéologie pour l’histoire de la région. «Les fouilles archéologiques vont nous aider à aller encore plus loin. C’est pour les générations futures qu’on fait ça, souligne-t-il. Si tu ne connais pas ton passé, tu as de la misère avec ton présent et tu n’es pas capable de voir le futur. Ce qui est arrivé dans le passé, ça nous marque dans notre quotidien. On va transmettre ça, volontairement ou involontairement, à nos enfants et nos petits-enfants. C’est ça l’histoire. Il faut l’apprendre pour être capable de discerner ce qui nous arrive.»
Chantier archéologique
Les fouilles archéologiques s’amorceront le 20 septembre sur le stationnement de la place d’Armes et se dérouleront jusqu’au 1er octobre. Guidés par une étude de potentiel archéologique réalisée en 2016, les travaux sont effectués en prévision du resurfaçage du stationnement à venir.
Par cette initiative, Drummondville souhaite intégrer l’archéologie dans ses plans d’aménagement et d’urbanisme, et ainsi, se donner les moyens de reconstituer les détails de son histoire. «La Ville vient reconnaître l’archéologie comme une composante essentielle de son patrimoine culturel. Pour nous, c’est de saisir l’opportunité de parler d’histoire et de patrimoine, et surtout, de le mettre en valeur», affirme Hélène Vallières, chef de division arts et culture au Service des arts, de la culture et de la bibliothèque à la Ville de Drummondville.
En plus de panneaux d’interprétation situés autour du périmètre du chantier où auront lieu les fouilles archéologiques, la Ville diffusera des capsules documentaires. Sous l’œil de la caméra de Zachary Taylor, l’historienne Yolande Allard, l’historien Maurice Vallée, l’archéologue Geneviève Treyvaud et la directrice du Bureau du Ndakina Suzie O’Bomsawin s’entretiendront notamment sur ce site historique et les découvertes qui pourraient être faites.
«Ça nous donne l’opportunité de dire, et que ce soit bien su et connu, que les débuts de Drummondville sont là. On ne peut pas imaginer que dans le sous-sol d’un stationnement se retrouvent des traces des pionniers de Drummondville», fait valoir Mme Vallières.
Héritage
Pour réaliser les fouilles archéologiques sur le stationnement de la place d’Armes, la Ville a confié le mandat au Bureau du Ndakina du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki, dont l’expertise est reconnue.
«On commence toujours par un inventaire archéologique. On va utiliser un géoradar qui va nous permettre de localiser des anomalies ou des perturbations dans les sols, ce qui va nous permettre de cibler les activités qu’il y a eu sur le site à travers le temps. Où le géoradar nous donne une analyse positive, on va faire des sondages d’à peu près un mètre carré dans le sol pour vérifier la présence des vestiges, voir quels sont ces vestiges et qu’est-ce qu’on retrouve comme artéfacts. Ça nous permet de voir si dans ce secteur il y a un très gros potentiel et si ça vaut la peine de faire une fouille archéologique à air ouverte, mais ça, ça dépend des résultats», précise Geneviève Treyvaud, archéologue au Bureau du Ndakina.
S’il y a possibilité de découvrir des vestiges de l’époque de la fondation de la colonie de la rivière Saint-François, l’analyse préalable du site laisse aussi entrevoir la possibilité de trouver des vestiges de la période précontact, comme de l’outillage et des ornements artisanaux.
«Les ancêtres nommaient le secteur visé: le portage de la rivière sans fin. À partir du parc Woodyatt jusqu’au croisement de la rivière aux Vaches et de la rivière Saint-François dans le coin de Saint-François-du-Lac, c’était un long secteur de portage. La rivière Saint-François était considérée un peu comme une autoroute dans les déplacements parce qu’elle connectait le nord au sud du territoire ancestral. Il y avait du va-et-vient constant. On peut soupçonner qu’il y avait des sites de campement à proximité. Je m’avance, mais on peut retrouver une certaine forme d’occupation temporaire dans ce secteur», soutient Suzie O’Bomsawin, directrice du Bureau du Ndakina.
Pour le Bureau du Ndakina du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki, la recherche est une activité importante en vue d’acquérir les connaissances nécessaires à une gestion durable et responsable du territoire ancestral. Leur mission consiste également à développer des liens étroits avec les membres de la Nation et à favoriser la pérennité des savoirs et pratiques des W8banakiak.
«L’archéologie, c’est souvent le mal-aimé des différents travaux. Il y a une perspective à garder à l’esprit, surtout pour les Premières Nations, c’est qu’il y a plein d’éléments qui n’ont pas été écrits sur notre histoire ou des choses qui ont été complètement occultées par le passé. Pour nous, c’est de pouvoir avoir accès au passé. On peut être surpris du genre d’artéfacts qui sont retrouvés. Des fois, on a de belles surprises qui émanent du sol. C’est de pouvoir mettre à l’avant plan cet héritage-là et qu’on puisse le partager, que les gens puissent le connaître, puissent y avoir accès et puissent voir les artéfacts», indique Mme O’Bomsawin.
Le site des fouilles sera sécurisé par l’installation de barrières de chantier. Il sera toutefois possible d’y observer les archéologues à l’œuvre. «Tous les travaux d’archéologie attirent l’attention. On est habitués. Si les gens sont curieux d’en apprendre plus, ils peuvent poser leurs questions directement à l’équipe sur place, qui est formée de gens passionnés. L’équipe est vraiment accessible. L’archéologie appartient à tous», conclut Suzie O’Bomsawin.