ENVIRONNEMENT. Des voisins d’Ecofib, dans le secteur Saint-Pierre à Drummondville, sont exaspérés plus que jamais par les mauvaises odeurs provenant vraisemblablement de l’usine spécialisée dans la fabrication de résines et de rouleaux en caoutchouc.
Caroline Boucher vit avec son conjoint, ses enfants et ses parents dans une maison à structure juxtaposée sur la rue Landreville. Les membres de la famille se disent incommodés par les odeurs nauséabondes qui flottent dans l’air.
«C’est une odeur forte, irritante, extrêmement désagréable de caoutchouc brûlé qui donne la nausée et des maux de tête, décrit Caroline Boucher. C’est tous les jours, sauf les fins de semaine. Des fois, ça peut durer plusieurs heures. Des fois c’est plus le matin, des fois c’est plus le soir et d’autres fois c’est toute la journée, selon la direction des vents.»
Le problème n’est pas nouveau. Depuis 2012, plus précisément. Les mauvaises odeurs étaient présentes avant même que l’usine passe aux mains d’Ecofib. Au cours des dernières années, la famille a noté les dates auxquelles elle a été incommodée, une recommandation du ministère de l’Environnement. Mais aujourd’hui, elle est à bout de souffle et ne sait plus vers qui se tourner.
«Ça fait plusieurs années que l’odeur persiste, mais depuis la pandémie, c’est pire. L’odeur est tellement intense qu’elle va jusqu’à atteindre notre santé mentale au niveau de la colère, frustration, agressivité, incompréhension, anxiété, stress, impuissance et isolement», soutient Mme Boucher.
«On ne peut plus faire d’activités à l’extérieur. Des fois, il fait chaud et on voudrait ouvrir nos fenêtres, mais on ne peut pas. L’odeur rentre à l’intérieur de la maison», poursuit-elle, déplorant que l’usine ouvre parfois ses grandes portes.
Son père, Denis Boucher, s’inquiète pour sa part des effets néfastes sur la santé. «Dans dix ans, il ne faudra pas se surprendre s’il y en a qui sont pris d’un cancer des poumons. C’est toxique», s’insurge-t-il.
Cohabitation
Exténuée, la famille Boucher envisage de déménager si rien ne change. «Je trouverais ça dommage parce que je pense qu’on est situé dans un endroit merveilleux près du centre-ville, mais on est prêt à vendre si quelqu’un veut nous acheter», affirme à contrecœur Caroline Boucher, sachant tout de même que la situation pourrait nuire à la vente.
«On souhaiterait plutôt que ce soit l’entreprise qui déménage sur la rue Rocheleau, rétorque son père. Depuis le temps qu’on habite ici. Avant, il n’y avait rien autour. C’est une industrie qui n’a pas d’affaire au centre-ville.»
Au fait de la problématique, la Ville de Drummondville accompagne les citoyens dans leurs démarches, mais estime qu’il en revient au gouvernement provincial d’intervenir. «C’est de dire aux citoyens : “si vous sentez des odeurs, portez plainte auprès du ministère de l’Environnement”. Il y a des recours qui existent pour être capables d’amener les compagnies à apporter des correctifs», indique le conseiller municipal du district 8, Yves Grondin, qui était présent lorsque L’Express a rencontré les citoyens.
Par ailleurs, le conseiller municipal informe qu’un nouveau zonage a récemment été adopté pour ce secteur, passant d’industriel lourd à industriel léger et semi-lourd. «Il y a eu une requalification de ce parc industriel. Par le passé, il y a eu des propositions formelles ou informelles pour des projets, mais ça ne convenait pas au zonage industriel existant, mentionne Yves Grondin. Ces bâtiments ne correspondent plus au standard des bâtiments industriels d’aujourd’hui, donc c’est plus difficile à reconfigurer. De plus, avec le secteur résidentiel, on voit les problèmes de cohabitation.»
L’entreprise Ecofib fait partie des usages de type industriel lourd, mais bénéficie d’un droit acquis.
Avis de non-conformité
La famille Boucher a porté plainte auprès du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), qui confirme pour sa part avoir reçu deux plaintes de deux plaignants différents en 2021 concernant la présence d’une odeur de caoutchouc brûlé en provenance de l’entreprise Ecofib. Une inspection des lieux a été réalisée le 31 mars dernier.
«Lors de cette inspection, bien que de légères odeurs aient été constatées aux limites de l’entreprise, aucune odeur particulière n’a été constatée dans le quartier résidentiel situé dans le secteur. Néanmoins, une inspection de l’usine a été réalisée et des manquements ont été constatés, notamment pour le non-respect de certaines conditions d’exploitation prévues aux autorisations environnementales», indique Sophie Gauthier, la porte-parole régionale du MELCC.
Un avis de non-conformité a été communiqué à ce sujet à Écofib le 27 avril. Le ministère s’est rendu à nouveau sur place le 3 août pour vérifier la mise en place de mesures correctrices. «Lors de cette seconde inspection, le ministère a constaté que certains correctifs avaient été apportés, mais des manquements ont à nouveau été constatés», rapporte Mme Gauthier.
Le MELCC a remis un second avis de non-conformité le 16 août à l’entreprise pour signifier les manquements ainsi que pour demander la transmission d’un plan correcteur. Le ministère dit ne pas avoir eu de retour de l’entreprise depuis. «Le ministère évalue présentement les actions à poser, en conformité avec la Directive sur le traitement des manquements. Le ministère n’écarte aucun recours pour assurer un retour à la conformité», fait savoir la porte-parole.
Nouvelle ventilation
Joint par téléphone, la direction d’Ecofib reconnaît que de fortes odeurs peuvent émaner de l’usine. «Oui il y a un problème d’odeurs. On fait des tapis en caoutchouc de pneus recyclés. On est une compagnie de recyclage. Ani-mat est le plus gros recycleur de pneus au Canada. On est en sous-traitance pour eux», indique Tony Dalete, qui agit comme directeur général depuis environ un an.
Ce dernier dit s’être concentré sur la relance de l’entreprise au cours des derniers mois, mais a fait savoir que l’entreprise est prête à collaborer et à corriger le tir. «On va mettre un nouveau système de ventilation. Il y en a déjà un, mais ce n’est pas assez. Il y a des délais à cause de la COVID-19. On m’a dit que normalement, il aurait été installé en septembre. Le problème va être réglé, mais nous n’avons aucun contrôle sur le délai», soutient M. Dalete, ajoutant avoir dû ouvrir les grandes portes durant les canicules, faute de ventilation adéquate.
«On ne veut pas nuire à l’environnement ni à nos voisins. On ne veut pas de chicane avec personne. On veut régler le problème. On va essayer de tout faire», assure-t-il.