MAIN-D’OEUVRE. Sa terre promise s’appelait Saint-Cyrille-de-Wendover. En posant son baluchon à la résidence de personnes âgées de la rue Saint-Laurent et en acceptant d’y travailler à titre de préposée aux bénéficiaires, la sans-papiers Bernadette Fouati croyait, à tort, qu’on l’aiderait à régulariser sa situation avec l’immigration. Elle a plutôt été submergée de travail et payée en deçà du salaire minimum, en argent comptant.
L’Ivoirienne Bernadette Fouati vit au Québec depuis huit ans. Illégalement. Et elle est complètement épuisée. Son dernier employeur, la résidence pour personnes âgées de Saint-Cyrille-de-Wendover, s’est avéré la goutte qui a fait déborder le vase, celle qui l’a convaincu de se présenter, d’un jour à l’autre, à un bureau d’Immigration Canada. Évidemment, elle risque la déportation.
«J’ai tellement peur, mais je n’ai plus le choix.»
Mme Fouati n’a travaillé que trois semaines à Saint-Cyrille, mais elle a fait un nombre incalculable d’heures, plusieurs journées consécutives de 16 heures de travail. Ses périodes de sommeil étaient entrecoupées. On lui avait aménagé une petite chambre à même la résidence.
«Il y a un manque important de personnel à la résidence. Je comprends la situation. On m’a remercié pour mon travail, mais c’est tout. On me donnait 11 $ de l’heure en argent. La troisième semaine, elles ont refusé de me payer sous prétexte qu’elles devaient payer l’agence, qui était censée m’aider avec l’immigration», a-t-elle raconté, les traits tirés. Selon des documents qu’elle avait en main, griffonnés à la main, le consultant a été embauché au coût de 2200 $ par les nouvelles gestionnaires de la résidence de personnes âgées. «Parce que je pars, on me demande de rembourser le consultant. Elles n’ont pas payé ma troisième semaine de travail. Je veux dénoncer cela. Je dois avoir de l’argent pour la rentrée scolaire de mon fils», a exprimé la femme de 45 ans, qui a quitté son poste le 4 août précisément à cause de la charge de travail.
Le 1er juillet dernier, deux nouvelles gestionnaires ont fait leur entrée à la résidence de personnes âgées de Saint-Cyrille, Vanessa Zimeu et Geneviève Kouakou. Elles sont d’ailleurs en voie d’acquérir l’entreprise qui accueille une trentaine de résidents. «Il ne reste qu’à passer chez le notaire, a informé Patrice Bouvette, celui qui a fondé la résidence en 1992. Ce sont deux infirmières de Montréal qui achètent ça. Le CIUSSS-MCQ nous a rencontrées récemment et tout semble beau.»
Mmes Zimeu et Kouakou seraient aussi propriétaires d’une agence de placement dans la métropole, une information que L’Express n’a cependant pas été en mesure de vérifier.
«On m’a accablée de travail. La première semaine a été horrible. J’ai travaillé et travaillé comme une folle à 100 kilomètres à l’heure. Je travaillais autant de jour, de soir et de nuit. Je travaillais plus que tout le monde là-bas. Je n’en pouvais plus. Je n’avais jamais de congés. Si je viens vous voir aujourd’hui, c’est pour éviter qu’elles fassent ça à d’autres personnes comme moi. Je veux éviter ça, car je sais qu’elles ont besoin de personnel», a soutenu Mme Fouati.
Jointe par téléphone à la résidence cyrilloise, l’une des nouvelles gestionnaires, Geneviève Kouakou, a refusé de commenter la situation qu’a vécue Mme Fouaki.
«Que cette dame nous envoie une plainte formelle de la police et nous allons parler et répondre aux questions. Nous ne parlons pas aux journalistes», a-t-elle sèchement indiqué après des questions portant sur le manque de main-d’œuvre puis la rémunération en espèces.
Joint sur son cellulaire, le député de Drummond-Bois-Francs, Sébastien Schneeberger, s’est dit étonné qu’une résidence de personnes âgées doive faire appel à des travailleurs sans-papiers pour prendre soin des aînés.
«D’embaucher des personnes qui sont dans l’illégalité n’a pas de sens, manque de personnel ou pas. Au mieux, il faudrait que ces gens aient de l’aide pour obtenir leurs papiers. Cette histoire vient me chercher. On voit ça parfois dans d’autres pays. On est aussi dans l’exploitation humaine, à mes yeux», a-t-il indiqué.
«L’essentiel des soins était donné»
L’arrivée des vacances estivales a été le coup de grâce à la résidence de Saint-Cyrille, selon une employée sous le couvert de l’anonymat. «Il y a eu une pénurie de personnel et certains ont fait des doubles, même des triples. Des employés de leur agence sont venus à la dernière minute, mais ils n’étaient pas habitués. L’essentiel des soins était toujours donné, mais il y a probablement eu des retards. Maintenant, on a de l’aide du CIUSSS, chose qu’on n’avait pas avant. Un employé vient à la résidence le jour et le soir.»
De son côté, Bernadette Fouati reconnaît que les usagers devaient parfois faire preuve de patience, mais dans l’ensemble, tous les soins ont été offerts aux résidents. «On faisait du mieux qu’on pouvait, malgré le manque de personnel, mais c’est sûr qu’il y avait de l’attente pour les changements de couches. On ne pouvait pas être là dès que les résidents sonnaient. Ce n’était pas facile. Des résidents refusaient aussi que je rentre dans leur chambre à cause de la couleur de ma peau. Ç’a été difficile pour ça», a-t-elle indiqué, en soulignant le travail acharné de ses collègues de travail.
Pour sa famille
Sans expliquer les raisons qui l’ont poussé à vivre illégalement au Canada, Bernadette Fouati a indiqué qu’elle travaille au noir pour subvenir aux besoins de ses frères et de son fils âgé de 12 ans qui vivent en Côte d’Ivoire. Sur une base régulière, elle envoie de l’argent, qui sert notamment à payer les frais scolaires de son enfant.
«Je ne voudrais pas qu’il manque une année scolaire. J’ai gagné 1200 $ à Saint-Cyrille. Je crois que ça sera suffisant pour payer l’année de mon fils. Je prie pour qu’il aille à l’école», a exprimé la mère non sans émotion.
«Ça fait huit ans que je travaille pour aider ma famille. Je ne sais pas ce qu’il va se passer quand je vais aller à l’immigration. Il n’y a pas de travail en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que je vais faire? Mon père n’a plus de travail. Je suis la seule qui amène de l’argent dans la famille. Là, je suis fatiguée. Je suis épuisée émotionnellement. Je vais régler mes affaires et aller à l’immigration. Je ne veux plus vivre comme ça», a-t-elle soufflé.
Invité à réagir à l’histoire de cette travailleuse sans-papiers, Martin Champoux, député de Drummond à la Chambre des communes, a convenu de la tristesse de la situation.
«Je trouve horrible qu’on ait abusé de la vulnérabilité d’une femme qui est venue ici en désespoir de cause pour gagner de l’argent et l’envoyer à son enfant. Ça arrache le cœur. C’est une situation humainement inimaginable. Ça démontre aussi que nos procédures d’immigration sont complexes, qu’elles ont tendance à faire peur au monde. Ce ne sont pas nécessairement des procédures bienveillantes. Il manque peut-être beaucoup de sensibilité à l’immigration, ce qui fait que les gens préfèrent rester clandestins et illégaux que de devoir essuyer un refus et des délais insupportables», a-t-il commenté.
Le CIUSSS-MCQ n’a pas été informé
Selon les informations dont il dispose actuellement, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS-MCQ) indique qu’il n’y a pas eu de changement de propriétaire à la résidence de personnes âgées de Saint-Cyrille-de-Wendover.
«Advenant qu’une résidence change de propriétaire, on autorise la cession. On fait toujours une rencontre avant ou après que ce soit signé avec les nouveaux propriétaires pour leur expliquer le fonctionnement de la certification, s’assurer qu’ils comprennent bien toutes les particularités et les protocoles», précise Julie Michaud, agente d’information au CIUSSS MCQ. (Avec la collaboration de Marilyne Demers)