ENVIRONNEMENT. Il n’y avait pas d’autres alternatives que de permettre à Waste Management (WM) de poursuivre ses activités sur le site d’enfouissement de Saint-Nicéphore au-delà de septembre prochain, moment auquel la multinationale prévoit que sa capacité maximale sera atteinte. C’est ce qu’a affirmé le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, de passage à Drummondville jeudi.
Au lendemain de la publication dans la Gazette officielle du Québec de la création d’une zone d’intervention spéciale, le ministre Charette a rencontré les élus municipaux au Centrexpo Cogeco. La rencontre, qui a duré plus d’une heure, s’est tenue à huis clos. «C’est une question de respect que d’être ici ce matin, a-t-il indiqué. D’entrée de jeu, on a dit aux élus municipaux que ce n’est pas de gaieté de cœur. Je ne suis pas content de venir annoncer ça.»
Le gouvernement du Québec, via son ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, a décrété une zone d’intervention spéciale afin de permettre l’aménagement et la poursuite de l’exploitation du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore sur certains lots situés sur le territoire de Drummondville. Une solution dite temporaire, mais nécessaire étant donné que les possibilités de détourner les déchets enfouis à Drummondville vers d’autres lieux seraient actuellement inexistantes.
«Les alternatives, on les a cherchées. Il n’y en a pas. Avec les autorités de la Ville, il y a eu plusieurs rencontres au cours des deux dernières années. On n’était pas en situation passive ou d’attendre qu’on arrive à échéance. Au contraire, on a regardé des alternatives», assure Benoit Charette, ajoutant avoir de «bons canaux de communication avec le maire de Drummondville et son équipe».
«On a autorisé récemment Sainte-Sophie. Lachenaie était dans un processus semblable. La région de Sherbrooke est dans un processus semblable aussi. On est tous à des sites qui sont à pleine capacité. Si j’avais eu un site sous-utilisé, on aurait pu penser à dévier une portion de cette matière-là, mais ce n’est pas le cas. Même dans la région, l’alternative qui est Saint-Rosaire a des limites importantes en termes de capacité et a des enjeux supplémentaires au niveau du respect des certifications d’autorisation qui lui sont décernées. Donc Saint-Rosaire n’était pas non plus une option pour pouvoir accueillir ou détourner une partie de la matière qui vient à Drummondville», poursuit-il.
Géré par Gesterra, le site d’enfouissement de Saint-Rosaire reçoit les déchets provenant du secteur résidentiel de la MRC de Drummond depuis janvier 2019. Entre 35 000 et 40 000 tonnes de déchets issues des secteurs des industries, des commerces et des institutions (ICI) ainsi que de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) de la MRC de Drummond sont envoyées à Saint-Nicéphore.
«Si jamais le site fermait en septembre, Drummondville serait en déficit de 40 000 tonnes pour la gestion de ses propres déchets. Donc ultimement, même Drummondville serait pénalisée par une décision de cette nature. Le site bénéficie aux citoyens de Drummondville. Malgré cet élément, je suis conscient que ce n’est pas la nouvelle qui était souhaitée de la part des élus et de la population», reconnait le ministre de l’Environnement.
Pour le gouvernement caquiste, la poursuite des opérations du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore est nécessaire pour répondre aux besoins collectifs d’enfouissement de matières résiduelles, et ce, malgré le manque d’acceptabilité sociale auprès des citoyens et des élus municipaux de Drummondville. «On gère des déchets, donc si on ne les gère pas bien, il y a des enjeux d’hygiène très rapidement qui peuvent intervenir, des enjeux de maladies, des enjeux de santé publique à proprement parler. Donc ces enjeux-là priment, compte tenu de l’urgence de la situation, sur les autres considérations», mentionne Benoit Charette.
L’agrandissement du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore s’ajoute à ceux de Sainte-Sophie et Lachenaie, alors que se tient actuellement une commission d’enquête du BAPE sur les déchets ultimes, et dont le rapport est attendu en décembre prochain. «Pourquoi ne pas attendre le BAPE générique? Un, c’est en décembre et le site arrive à capacité en septembre. Mais ce que le BAPE générique va faire, c’est amener des recommandations pour la suite des choses. Les prochaines années, ça va prendre en compte qu’il y a plusieurs modifications réglementaires et législatives qui ont été adoptées au cours des derniers mois. Ce sont des réformes qui, dans certains cas, vont s’étaler sur une à cinq années», dit le ministre, en référence aux réformes annoncées dans le cadre du nouveau plan d’action de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles.
«Décision nécessaire»
Le ministre responsable de la région du Centre-du-Québec et député de Johnson, André Lamontagne, était aux côtés du ministre Benoit Charette jeudi pour rencontrer les élus municipaux et les médias locaux. Un peu moins d’un mois après avoir annoncé la poursuite du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore par décret en conférence de presse, il s’est exprimé sur la décision prise par son gouvernement.
«Ce que je peux dire aux citoyens, c’est que Sébastien Schneeberger et moi, on s’est assuré de transmettre à quel point c’était sensible et l’importance de trouver une alternative à la décision qui a été annoncée aujourd’hui», mentionne-t-il, ajoutant avoir cumulé bon nombre de rencontres au cours des derniers mois, notamment auprès du ministre de l’Environnement, et même du premier ministre François Legault.
«Dans le contexte, c’est une décision qui était nécessaire pour la gestion ordonnée de ce que nous les Québécois on génère en déchets partout sur le territoire chaque jour par notre consommation et pour une question de sécurité et de salubrité. D’un point de vue des citoyens d’ici, je vais dire que ce n’est certainement pas une décision qui était souhaitable», admet-il.
Absent à la rencontre pour des raisons personnelles, le député de Drummond–Bois-Francs, Sébastien Schneeberger, abonde dans le même sens. «C’est un mal nécessaire, malheureusement. La triste réalité, c’est que les citoyens de l’Amérique du Nord, selon un récent sondage, produisent le plus de déchets. Alors il faut faire avec. On a une situation qui est problématique au Québec, c’est qu’on manque de place partout. Le ministre doit voir ça d’une manière macro», a-t-il commenté, en entrevue téléphonique.
«Le centre d’enfouissement de WM est un des meilleurs au Québec. Actuellement, l’empreinte environnementale en déposant nos déchets de Drummondville à Saint-Rosaire est plus élevée qu’elle l’est à Saint-Nicéphore. C’est une décision que personne n’applaudit, mais c’est une décision nécessaire pour les besoins. Drummondville est une ville avec beaucoup d’entreprises manufacturières. Pour elles, c’est quand même un soulagement parce qu’elles devaient aller ailleurs et actuellement, il n’y a pas beaucoup de débouchés», ajoute-t-il.
La Chambre de commerce et d’industrie de Drummond (CCID) se positionne d’ailleurs en faveur de la décision du gouvernement, ayant été interpelée par plusieurs de ses membres au cours des derniers mois sur les conséquences économiques d’une possible fermeture du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore. Le problème est que nous produisons trop de déchets et que nous n’avons pas encore de moyens alternatifs pour en disposer. La possibilité de les rediriger vers un site plus éloigné a également des impacts économiques et environnementaux à considérer», soutient le premier vice-président du conseil d’administration de la CCID, Marc Tremblay.
Soupir de soulagement
De son côté, Waste Management ne peut que se réjouir de la création d’une zone d’intervention spéciale. «Je pense que le gouvernement du Québec pose un geste qui est responsable et qui était devenu inévitable et nécessaire pour assurer la continuité du service essentiel qu’on offre à la population via notre lieu d’enfouissement technique de Drummondville. C’est une nouvelle qui vient rassurer nos employés et les utilisateurs du site, qui étaient grandement préoccupés face à l’incertitude des derniers mois. C’est un soupir de soulagement pour eux», commente le directeur des affaires publiques de WM, Martin Dussault.
Malgré cette décision du gouvernement Legault, qui substitue à la réglementation locale et régionale d’aménagement et d’urbanisme, WM souhaite toujours se faire entendre par la Cour d’appel. La multinationale s’est tournée vers le plus haut tribunal du Québec pour demander de réviser le jugement rendu par la Cour supérieure en février dernier, lequel donne raison à la Ville de Drummondville. «La procédure est toujours en cours», fait-il savoir.
La multinationale doit attendre des précisions de Québec avant de procéder aux travaux d’aménagement de la phase 3B. Elle a toutefois reçu en juin dernier l’autorisation ministérielle requise dans le cadre de l’autorisation gouvernementale délivrée par décret en septembre dernier. «Il y aura une période transitoire. On est en train de discuter pour continuer l’exploitation sur la phase 3A et la phase 2 entre temps pour faire le pont entre la finalité de nos opérations actuelles et le transfert dans la phase 3B», indique M. Dussault.
Par ailleurs, WM étudie la possibilité que le biogaz généré par la décomposition des déchets sur la nouvelle phase soit transformé en gaz naturel. «Pour l’instant, on a des études à finaliser. Dans une des conditions du décret de la phase 3B, on doit indiquer au ministre de l’Environnement quelles sont les solutions que l’on envisage pour la mise en valeur du biogaz excédentaire. On doit travailler sur ce rapport-là. Ce n’est pas un projet, mais c’est une option qui est intéressante et qu’on aimerait bien regarder», explique le porte-parole de WM, ajoutant que selon la période de l’année, entre 60 et 90 % du biogaz généré au site de Saint-Nicéphore est valorisé, notamment avec les Serres Demers.
«Est-ce que ce sera l’utilisation directe du biogaz pour un projet à proximité? On a déjà parlé par exemple d’un projet de motel industriel écologique qui pourrait voir le jour sur des terres à côté de notre site. Est-ce que ce sera un projet de gaz naturel renouvelable? Ce sont des options, mais il n’y a pas de projet concret», poursuit-il.
De son côté, le gouvernement caquiste ne prévoit pas rendre obligatoire la vente de gaz naturel renouvelable en territoire québécois si WM va de l’avant avec un tel projet.
Faisant suite au décret émis en septembre dernier qui permet à WM d’enfouir 430 000 tonnes de matières résiduelles par année pendant 10 ans sur la phase 3B, le processus visant à déclarer la zone d’intervention spéciale est en cours. Une assemblée publique de consultation se tiendra le 28 juillet au Centrexpo Cogeco avant l’adoption du décret. La zone d’intervention spéciale sera par la suite en vigueur jusqu’à ce que le gouvernement décide d’abroger son décret.
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