ENVIRONNEMENT. Le site d’enfouissement de Saint-Nicéphore pourrait fermer définitivement dans quatre mois. Les quelque 430 000 tonnes de déchets qu’il reçoit annuellement devront être envoyées vers d’autres lieux d’enfouissement, ce qui pourrait entraîner un «débalancement de l’offre et la demande» au Québec. Deux hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) font le point.
«Actuellement, il n’y a pas de surcapacité d’élimination autorisée au Québec, donc c’est sûr qu’il y aurait un débalancement de l’offre et de la demande. Le besoin d’éliminer est là. Le site de Saint-Nicéphore, c’est un des sites importants au Québec. S’il ferme, la matière qui y est destinée et qui est quand même une quantité importante va aller ailleurs. Ça va remplir plus rapidement les autres lieux, donc ça risque de déplacer le problème. On est toujours capable de palier à court moyen terme, mais à long terme, il y aurait assurément des défis», indique Martin Létourneau, directeur de la Direction des matières résiduelles au MELCC, dans une entrevue qu’il a accordée d’une manière exceptionnelle.
Selon les plus récentes données du gouvernement provincial, la quantité totale de matières résiduelles éliminées annuellement au Québec est de 8,8 millions de tonnes. Plus de 90 % des déchets sont éliminés par enfouissement à travers 38 lieux d’enfouissement technique. «Nos plus petits lieux reçoivent autour de 7 000 tonnes de déchets par année. Le plus gros lieu reçoit autour de 1,2 million de tonnes de déchets par année. L’étendue est très variable, compare Claude Trudel, ingénieur à la Direction des matières résiduelles au MELCC. Pour les 38 lieux, il y en a une vingtaine qui reçoit moins de 50 000 tonnes de déchets par année. Les autres sont supérieurs à ça. On a à peu près cinq lieux qui reçoivent plus de 300 000 tonnes de déchets par année, qui sont situés en périphérie de la grande région de Montréal. [Le site de Saint-Nicéphore] se situe parmi les cinq plus gros au Québec.»
«À partir du moment où un lieu est complet, qu’il a comblé le volume qu’on lui a autorisé, on ne peut pas nécessairement facilement déplacer les déchets vers un autre lieu. C’est pour ça qu’il n’y a pas de surcapacité annuelle. Oui ils ont un certain volume autorisé, mais ils ont certaines limitations, comme la provenance des déchets et l’achalandage annuel qu’on leur a limité. Ça fait en sorte que quand un lieu ferme, on n’est pas capable de trouver de la place pour ces déchets-là dans un autre lieu qui existe», poursuit-il.
Le reste des matières résiduelles de la province est éliminé dans des lieux d’enfouissement à usage spécifique ou pour des territoires éloignés faiblement peuplés. Moins de 5 % des déchets sont éliminés par incinération. «Avec le règlement sur les déchets solides, on avait plus de 400 installations sur l’ensemble du territoire québécois, incluant les petites installations. Maintenant, on est rendu à une centaine. On a voulu réduire le nombre de lieux parce que c’est un gain pour l’environnement d’avoir moins de zones affectées par l’élimination des déchets au Québec et c’est aussi plus facile pour le ministère de faire du contrôle quand il y a moins d’installations. Les nouvelles exigences ont fait en sorte que ç’a augmenté considérablement les coûts pour l’élimination des matières résiduelles. Pour avoir un coût raisonnable, il y a un avantage d’avoir un lieu d’une certaine grosseur, d’une certaine dimension», soutient M. Trudel, qui travaille au MELCC depuis 1989.
«Chaque fois qu’un projet nous est présenté, on regarde la justification. On n’autorisera pas pour rien un projet, mais si on sait qu’il y a un besoin, on va devoir le combler en exigeant des aménagements sécuritaires pour l’environnement. La gestion est très différente de ce qui a pu se faire par le passé. Les lieux d’enfouissement technique sont complètement étanches et sont avec captage et traitement des eaux de lixiviation, c’est-à-dire le liquide qui circule à travers les déchets. Il y a aussi le captage et la gestion des biogaz qui sont générés ainsi que le suivi de la qualité des eaux souterraines et des eaux de surface. Toutes ces exigences sont maintenues après la fermeture des lieux d’élimination», ajoute l’ingénieur.
Malgré tout, à Drummondville, des citoyens ont des inquiétudes sur le plan environnemental en raison de la proximité entre le site d’enfouissement de la rue Gagnon et la rivière Saint-François. «C’est la problématique globale au Québec. Ce n’est pas juste pour Saint-Nicéphore. Au Québec, il y a beaucoup de cours d’eau. C’est très familier d’avoir des gens qui se posent des questions par rapport aux impacts que peut avoir un projet par rapport à la qualité des eaux, que ce soient les eaux souterraines ou un cours d’eau. [Les lieux d’enfouissement technique], ce sont des lieux qui sont étanches pour lesquels on recueille les eaux. Avant de les rejeter, il y a des normes qui s’appliquent. Il y a des suivis très exhaustifs qui sont requis de la part des exploitants pour être en mesure de vérifier qu’il n’y a pas d’impact», rapporte Claude Trudel.
Minuit moins une
Il est minuit moins une pour Waste Management (WM), qui s’est tournée vers la Cour d’appel pour pouvoir poursuivre ses activités dans le secteur de Saint-Nicéphore, après que la Cour supérieure ait donné raison à la Ville de Drummondville en février dernier. Parallèlement, WM a effectué une demande d’autorisation ministérielle auprès du MELCC, laquelle est toujours en analyse. Cette étape fait suite à l’autorisation gouvernementale délivrée par décret en septembre dernier.
Au moment de faire l’entrevue, Martin Létourneau et Claude Trudel n’étaient pas en mesure de se prononcer sur l’avenir du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore. «Il y a différentes actions possibles, avance M. Létourneau. Si jamais il manque de place et qu’il n’y a pas ultimement de marge de manœuvre, il va y avoir des décisions importantes à prendre le moment venu.»
«Nous, au niveau de la Direction des matières résiduelles, on a des avis d’expert. On va pouvoir dire comment le site est actuellement géré, quel est le plan au niveau de la possible gestion future, s’il y a des enjeux environnementaux, quels sont les suivis qu’on va demander pour s’assurer que ce soit adéquatement géré. On est là en support en tant qu’experts au niveau de la gestion, de l’encadrement. On va être capable de donner des lumières au niveau des besoins à venir. On va être capable de confirmer que les besoins sont là pour de nombreuses années», a répondu le directeur de la Direction des matières résiduelles lorsque questionné sur le rôle que pourraient être appelés à jouer les deux fonctionnaires pour la suite des choses.
Selon les prévisions de WM, le site d’enfouissement de Saint-Nicéphore sera à pleine capacité aux alentours de septembre prochain. Le lieu peut recevoir jusqu’à 430 000 tonnes de matières résiduelles annuellement. De ce nombre, entre 35 000 et 40 000 tonnes de déchets sont issues des secteurs des industries, des commerces et des institutions (ICI) ainsi que de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) de la MRC de Drummond. La balance provient des MRC du Centre-du-Québec, de l’Estrie et de la Montérégie. De plus, 1 % des matières résiduelles de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), ce qui représente approximativement 32 000 tonnes, sont acheminées au site d’enfouissement de Saint-Nicéphore.
Au cours de la dernière année, les déchets provenant du secteur résidentiel de la MRC de Drummond se sont élevés à 25 908 tonnes. Près de 96 % de ce tonnage a été envoyé au site d’enfouissement de Saint-Rosaire, qui est géré par Gesterra. Une partie des matières reçues à l’écocentre, pour un total de 1059 tonnes, n’a pu être valorisée. À noter que les secteurs des ICI et des CRD font directement affaire avec les firmes de gestion des matières résiduelles, ce qui ne permet pas à la MRC de savoir où sont acheminés ces déchets.
«Pour Drummondville, c’est 72 000 tonnes de matières résiduelles qui sont produites, donc possiblement pas loin de 250 000 pour la région administrative. Peu importe qu’elle soit éliminée dans un endroit ou l’autre, cette quantité-là est quand même générée, fait observer Martin Létourneau. On gère au niveau macro, au niveau provincial, la quantité qu’on génère au Québec. La quantité des lieux n’affecte pas vraiment la quantité de déchets produits. C’est juste la tarte qui est séparée différemment et ce sont les pointes qui modulent.»
Stratégies
Le gouvernement Legault a dévoilé en février 2020 un nouveau plan d’action dans le cadre de sa Politique québécoise de gestion des matières résiduelles. «Il y a plusieurs réformes ambitieuses à l’intérieur de ce plan d’action», commente le directeur de la Direction des matières résiduelles au MELCC.
Parmi celles-ci, il nomme entre autres la stratégie de valorisation de la modernisation des systèmes de collecte sélective et de consigne. «On a adopté récemment le projet de loi. On est en train d’opérationnaliser cette modernisation-là. La collecte sélective ne date pas d’hier. Là, on est rendu à la collecte sélective 3.0. Cette matière est déjà détournée de l’élimination, mais on va permettre un meilleur recyclage, une économie circulaire», indique Martin Létourneau.
La stratégie de valorisation de la matière organique doit quant à elle permettre de détourner de l’élimination les résidus alimentaires, les résidus verts, le papier, le carton, le bois, les biosolides municipaux et les biosolides papetiers. «On est en train de déployer le réseau d’infrastructure à la grandeur du Québec pour détourner de l’élimination cette matière organique. Notre objectif, c’est d’en détourner 70 %. On va y arriver», soutient-il.
Si le gouvernement met en place de nouvelles technologies, le MELCC rappelle que les Québécois devront changer leurs habitudes afin de réduire la quantité de déchets ultimes générés. «Tant que le citoyen va continuer de mettre sa poubelle sur le bord du chemin, cette matière-là doit aller quelque part. Maintenant qu’on fait le triste constat qu’on va devoir éliminer, comment on fait pour aller gérer cette matière-là? Il va en rester encore des millions de tonnes qu’on va éliminer pendant encore plusieurs années. Donc comment on fait pour venir créer un environnement d’affaires, pour peut-être exiger plus aux lieux d’élimination», mentionne M. Létourneau.
«Nous, on tente de faire un réseau de points de desserte de services aux citoyens pour gérer cette matière-là le plus adéquatement possible. On est en train d’imaginer la gestion future, donc il faut garder en tête que les lieux d’élimination sont très bien gérés, mais qu’ils vont évoluer dans les prochaines années et peut-être même devenir des pôles économiques de gestion des matières résiduelles. Est-ce que cette vision va s’intégrer au niveau des lieux d’élimination à moyen long terme? Je ne veux pas faire miroiter une solution miracle non plus à court terme. On est dans ces éléments de réflexion», ajoute-t-il.
Rappelons que le ministre Benoit Charette a mandaté le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour qu’il tienne une enquête avec audience publique sur l’enjeu de l’élimination des résidus ultimes au Québec. Le rapport est attendu en décembre 2021.