MAGAZINE. Tout quitter pour vivre de l’acériculture avec leurs deux enfants rendus de jeunes adultes, c’est le projet de vie de Nancy Plourde et Éric Dupuis, copropriétaires de la Sucrerie De Courval, à Drummondville.
Nancy Plourde a travaillé comme hygiéniste dentaire pendant 16 ans, avant de quitter, graduellement, son emploi. La Drummondvilloise de 50 ans s’est découvert une passion pour le vitrail, puis a fondé Cré-Art, une entreprise qui fabrique, entre autres, des bijoux à partir de verres taillés, superposés et fusionnés à la chaleur, à l’aide d’un four spécialisé.
Éric Dupuis était directeur d’usine. Il a travaillé au sein d’entreprises drummondvilloises, comme Venmar, Soucy, Cascades et Métalus. «On gagnait très bien notre vie, mais un jour, j’ai eu l’appel de la nature, raconte l’homme de 49 ans. Nancy et moi sommes ensemble depuis 1987, et tous les deux, nous avons toujours voulu nous lancer en affaires. J’ai toujours eu en tête un projet d’acériculture, mais on avait mis ça de côté.»
Cinq ans. C’est le nombre d’années qu’il a fallu au couple pour dénicher l’endroit de leur rêve, après avoir épluché les petites annonces et cogné à la porte de nombreux propriétaires pour savoir s’ils étaient intéressés à leur vendre leur terre.
«Saint-Joachim-de-Courval est un secteur qu’on aimait beaucoup. Il y avait un terrain à vendre depuis plusieurs années sur le bord de la rivière Saint-François, mais le prix était faramineux. J’ai appelé au bon moment. La personne m’a dit de lui faire une offre et on s’est entendu. La vie fait bien les choses», sourit Éric Dupuis.
Est-ce qu’ils regrettent d’avoir quitté leur emploi? «Jamais de la vie!», répond du tac au tac Nancy Plourde. «Si on n’avait pas pris ces décisions, on ne serait jamais rendu où on est aujourd’hui», renchérit son mari.
Les débuts
Lorsque la famille a acquis la terre de 178 acres en 2005, il y avait une vieille cabane à sucre inutilisée depuis plus de 20 ans. «Elle était en décrépitude. On l’a démolie et reconstruite à partir des arbres de la terre à l’automne 2009», fait savoir Éric Dupuis, qui, parallèlement, opère la Cédrière St-Joachim-de-Courval.
Le printemps suivant, la Sucrerie de Courval connaissait sa première saison des sucres, le fruit d’un travail acharné et qui n’aurait pu être rendu possible sans l’implication de deux personnes aujourd’hui disparues.
Yves Dionne, pour qui le sirop d’érable coulait dans les veines, aura transmis son savoir avant de quitter. «Il était un cousin éloigné de la famille et un représentant pour une entreprise d’équipements acéricoles. Il m’a pris sous son aile. Il m’a montré les techniques qu’il avait apprises de son père et qui ne sont pas écrites dans les livres. J’allais à sa cabane à sucre avec mon cahier et mon crayon, et il m’apprenait. Moi j’en mangeais, et lui, ça lui faisait plaisir», se remémore M. Dupuis.
Raymond Lemaire a, lui aussi, laissé sa trace. «C’est un oncle à Nancy avec qui on a construit la cabane à sucre. Il a été avec nous pendant neuf ans presque tous les jours. Il a joué un rôle important, souligne-t-il, avant de marquer une légère pause. Parfois, il y a des gens qui font la différence auprès des autres sans même s’en rendre compte. C’en est deux personnes.»
Du rêve à la réalité
La Sucrerie de Courval dispose d’une terre ayant un potentiel de 16 000 entailles, dont 4 500 sont exploitées à ce jour. Pour produire et vendre en marché leur sirop d’érable, les acériculteurs doivent détenir un contingent de production délivré par les Producteurs et productrices acéricoles du Québec.
«Notre but, c’est d’exploiter la totalité de la terre et éventuellement d’en vivre. On a demandé plus de contingents, mais comme le marché est grandement sollicité, on devait trouver des solutions. On s’est dit qu’on allait distribuer nos produits transformés», fait savoir Éric Dupuis.
L’année 2020 a marqué un grand tournant pour l’entreprise familiale. Les visites dans les cabanes à sucre ayant été contraintes en raison de la pandémie, la Sucrerie de Courval a usé de créativité pour se renouveler. La famille a sillonné le territoire de Drummondville et des environs pour effectuer gratuitement la livraison de ses produits à domicile. Toute la marchandise a été écoulée.
S’étant dotée d’une remorque et d’une table alimentaire réfrigérée, l’érablière a aussi développé un projet de sucrerie mobile afin de faire vivre l’expérience du temps des sucres dans les entreprises, les écoles et les événements corporatifs, et ce, à longueur d’année.
«L’érablière est davantage considérée comme un rituel annuel, mais on veut amener ça plus loin. L’an passé, on a décroché une trentaine de contrats avec la Sucrerie de Courval mobile, mais malheureusement, la pandémie a mis un frein. Dès qu’on le pourra, on sera prêt à reprendre. C’est un projet innovant», mentionne Laurie Dupuis.
En plus du nombre d’entailles qui a presque doublé au cours de la dernière année, la superficie de la cabane à sucre a augmenté, notamment avec l’ajout d’une salle de transformation. De plus, des capteurs ont été installés sur le bout des lignes, permettant ainsi de mieux cibler les bris et augmenter l’efficacité. «Avec ces améliorations, notre volonté est d’être en mesure d’opérer au maximum avec les quatre membres de la famille, avec Gabriel, le conjoint de Laurie et Ariane, la conjointe de Félix», indique Éric Dupuis.
Autre nouveauté, les produits de la Sucrerie de Courval pourront désormais être livrés partout à travers la province. «Tout le Québec pourra acheter des produits de chez nous, s’enthousiasme Nancy Plourde. On a du beurre d’érable, de la tire d’érable, du sucre granulé, des cornets, des fondants à l’érable. Tous nos produits sont 100 % naturels.»
La relève
Au-delà des produits, le succès de la Sucrerie de Courval réside sans aucun doute dans la complémentarité de chacun des membres de la famille. «On a chacun nos forces», fait valoir Éric Dupuis, qui s’implique dans chacune des étapes.
Nancy Plourde, décrite comme une «artiste jusqu’au plus profond ses racines», veille notamment à la recherche et au développement des produits. «Son apport est important. De plus, elle a toujours été là pour me soutenir moralement», commente son mari.
Laurie, qui détient un baccalauréat en administration des affaires, concentration en marketing, joue un rôle clé, tant pour les délices sucrés de la Sucrerie de Courval que les bijoux uniques et colorés de Cré-Art. «Son implication apporte un vent de fraîcheur», complimente son père.
Félix, le cadet, participe au projet depuis qu’il est petit. Le jeune homme de 21 ans a réalisé des études professionnelles en production acéricole et en foresterie et termine actuellement sa formation pour être opérateur de machineries lourdes. «Plus tard, j’aimerais avoir une compagnie d’excavation et compléter avec la cédrière et l’érablière», mentionne-t-il.
Ensemble, Laurie et Félix souhaitent reprendre les rênes de l’entreprise familiale. «On a la fibre entrepreneuriale au fond de nous. Dans tout ce que mon frère et moi entreprenons ensemble, on a besoin l’un de l’autre. On a nos forces et nos faiblesses et on se complète énormément. C’est ce que nos parents nous ont transmis», partage la jeune femme de 24 ans, jetant un regard complice à son frère.
La fierté se lit sur les visages des parents.
«Mon rêve, c’est de réussir. Il y a des personnes pour qui la réussite, c’est de faire beaucoup d’argent. Pour moi, c’est de voir, avec Nancy, nos deux enfants avec leur conjoint et conjointe, et un jour nos petits-enfants, prendre la relève. Je rêve, dans une dizaine d’années, d’être assis sur un banc à côté de la bouilloire avec ma famille, et constater que nos efforts ont rapporté», termine Éric Dupuis.