Gregory Charles incarne pour ainsi dire le multiculturalisme et l’inclusion sociale. Fils d’un immigrant originaire de Trinité-et-Tobago et d’une mère québécoise, conjoint d’une francophone native du Manitoba et père d’une petite fille métissée, celui qui a grandi à Saint-Germain-de-Grantham n’hésite pas à partager son opinion sur ces sujets qui le touchent droit au cœur.
Dans la foulée de la mort de George Floyd, le printemps dernier, Gregory Charles a senti le besoin de publier un puissant témoignage sur Facebook dans lequel il lançait un appel à l’écoute, à la compassion et aux gestes d’amour. Devenu viral, son message d’espoir a engendré des dizaines de milliers de réactions sur le réseau social.
«J’ai écrit ce texte parce que j’ai une fille qui, en voyant ces images-là, ne comprenait pas cette violence, cette indifférence à tuer quelqu’un. Même si c’est une jeune fille, elle comprend bien que la vie, ce n’est pas comme les Avengers. Elle comprend bien que dans la vie, on est supposé être beaucoup plus tendre et aimable avec nos prochains», explique Gregory Charles d’entrée de jeu.
Vivant à Montréal, la petite Julia est entourée par des enfants originaires de plusieurs pays dans son école de quartier. «Ma fille grandit beaucoup moins dans un contexte de différences de couleurs que moi à l’époque. Avec son teint caramel, elle est celle qui est la plus typiquement québécoise de son école. Pour moi, je pense que c’était plus facile de comprendre ce racisme-là quand j’étais petit. On était deux Noirs à l’école, mais aujourd’hui, c’est plus dur de trouver une rousse qu’un Noir à Montréal! C’est la réalité d’une ville très cosmopolite. Donc pour ma fille, il faut expliquer ce racisme-là», confie le talentueux pianiste, chanteur, danseur, chef de cœur et d’orchestre, animateur et comédien de 52 ans.
Bâtir sur le consensus
Pour y arriver, Gregory Charles a choisi d’utiliser les mots que son père aurait écrits de son vivant. Ayant milité aux côtés de Martin Luther King dans les années 1960, Lennox Charles a toujours lutté pour les droits civiques des Noirs. Il est décédé en 2018, à l’âge de 77 ans.
«Mon père aurait milité pour la tendresse, pour essayer de trouver le dénominateur commun là-dedans et bâtir là-dessus. Car au moment où c’est arrivé, toute personne saine d’esprit et avec un cœur n’aurait pu regarder ces images-là et trouver ça correct. Il y avait une sorte de consensus, et ça, c’est une occasion de faire avancer certaines choses. Moi, parce que je suis le fils de mon père, je trouve toujours dangereux de sortir un million de revendications dans ces moments-là, comme ça arrive aux États-Unis en ce moment. Ce sont toutes des revendications légitimes, mais quand on les sort toutes en même temps, tout le monde se campe de son bord et ça mène à des confrontations.»
«Ma crainte, c’est que les choses n’avancent pas, même si c’est injuste, poursuit-il. J’ai donc écrit ce texte parce qu’il faut bâtir sur le consensus, qui est lent à obtenir. J’ai d’ailleurs été touché de voir ces milliers de réactions de tendresse et d’accord avec mes propos. Ça m’a aussi permis d’avoir une conversation avec ma fille. Je lui ai demandé si, à son école, il y avait quelqu’un qui était mis à l’écart pour ses différences. Après avoir réfléchi, elle a dit oui. Ce n’est pas à sens unique, la discrimination. Il faut toujours être vigilants.»
Reprenant les sages paroles de son paternel, Gregory Charles insiste donc pour dire qu’un peu de discrimination… c’est déjà trop de discrimination. «Notre tendance au Québec, c’est de se dire qu’on est bien moins pires que nos voisins aux États-Unis. Ce qui est absolument vrai, il n’y a aucun doute! On est un paradis si on se compare aux Américains, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discrimination chez nous. Il y en a clairement, que ce soit en rapport avec le genre, l’orientation sexuelle, la religion, la couleur ou la race», dit celui qui a longtemps été associé au Mondial des cultures de Drummondville.
Encore plus d’ouverture
Au-delà de l’émotion qui l’anime en abordant ces sujets, Gregory Charles rappelle à quel point il est fier de «son» Québec. «Je ne suis pas du tout enragé! Je suis parfaitement amoureux du Québec. Mes parents se sont mariés ici en 1967, alors qu’il y avait une quarantaine d’États américains qui interdisaient le mariage entre un homme noir et une femme blanche. Le Québec était bien en avant de son temps. On a accueilli les boat people. Le résultat, 40 ans plus tard, c’est qu’on a un paquet de pharmaciens, d’ingénieurs et de propriétaires de dépanneurs qui parlent français et qui envoient leurs enfants à la Polytechnique. C’est une gigantesque histoire à succès!»
Aux yeux de Gregory Charles, les Québécois ont donc tout à gagner en faisant preuve d’encore plus d’ouverture, d’inclusion et d’équité. «On a déjà tellement fait de chemin. On a avancé; c’est évident qu’on a fait beaucoup de progrès. Mais est-ce qu’on doit s’asseoir là-dessus? Non, car tout n’est pas réglé.»
En guise d’exemple, Gregory Charles cite le cas d’une amie noire qui a auditionné pour un spectacle de Shakespeare à Montréal. «Elle s’est fait répondre par la personne qui dirige la compagnie de théâtre que malheureusement, il y a un seul personnage noir dans cette pièce : c’est Othello. Oui, mais il y a aussi zéro personnage typiquement québécois dans cette histoire! C’est à ça qu’il nous reste à être attentifs. C’est un bout de chemin-là qui nous reste à faire.»
Soulignant à quel point nos cousins français sont fiers de Jacques Brel même s’il est Belge, de Charles Aznavour même s’il est Arménien et de Joe Dassin même s’il est Américain, Gregory Charles pousse la réflexion un peu plus loin. «Si Félix Auger-Aliassime ou Jennifer Abel gagne un gros tournoi, je ne pense pas qu’on ait envie de se dire que ce n’est pas un vrai Québécois. Notre job, c’est d’attentifs et ouverts. Ce que je dis, c’est : soyons fiers de ce que nous avons déjà fait comme chemin. Et demandons-nous tout de suite ce qu’on peut faire comme chemin supplémentaire. Contre toute forme de discrimination. Pas juste envers les gens de couleurs, mais toutes les discriminations possibles! C’est tellement plus payant pour nous autres d’être inclusifs et ouverts.»
Un programme ambitieux
En plus d’avoir mis sur pied la série documentaire Le vrai nouveau monde, dans lequel des immigrants partagent les expériences qu’ils ont vécues depuis leur arrivée au Québec, Gregory Charles a démarré le programme Je suis Québécois à travers son académie de musique. L’objectif de ce tutoriel académique interactif est de faciliter l’intégration, la compréhension et l’adaptation à la société québécoise.
«Si on n’est pas pour faire quatre enfants par famille, notre meilleur pari, c’est de convertir des gens qui viennent d’ailleurs à la réalité et aux valeurs québécoises. C’est vrai partout, à Drummondville, à Baie-Comeau ou à Montréal. Par exemple, sur la question des signes religieux, il faut prendre le temps d’expliquer aux gens qui arrivent pourquoi le Québec a choisi de séparer la religion de l’État. Ça mérite d’être expliqué.»
Dans le cadre de ce programme, les immigrants sont également invités à apprendre le français… à travers des chansons. «Les gens qui arrivent ici trouvent qu’on parle trop vite. Mais en écoutant Vincent Vallières, ils comprennent qu’en français québécois, on n’utilise pas le futur simple, mais plutôt le futur proche. On dit On va s’aimer plutôt qu’On s’aimera.»
«Mon approche, c’est la suivante : je l’aime, le Québec! On fait plein d’affaires qui sont super. Maintenant qu’on est en avance sur le restant de l’Amérique dans notre traitement des femmes, des nouveaux arrivants et des gens de couleurs, on ne va quand même pas s’asseoir là-dessus et aller à reculons. Il faut qu’on continue d’être meilleurs que les autres», conclut l’amoureux de la musique, qui s’est donné en spectacle aux quatre coins de la planète.