MAGAZINE. (NDLR : Natif de l’Égypte, Nagui Habashi a immigré au Québec en compagnie de sa famille en 1964, ne tardant pas à s’intégrer à sa terre d’adoption. Venu s’établir à Drummondville au début des années 1980, il s’est rapidement impliqué dans la communauté, agissant notamment à titre de président de la Commission scolaire des Chênes et de directeur général du Centre de santé et de services sociaux Drummond. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il profite d’une retraite bien méritée. En conclusion de cette édition consacrée à l’inclusion sociale, L’Express Magazine a choisi de lui donner la parole.)
En 1964, j’ai quitté l’Égypte, pays où je suis né. Avec mes parents et mes deux frères, nous avons favorisé le Québec comme terre d’accueil.
Plusieurs raisons nous ont poussés à quitter l’Égypte. Ne voulant plus vivre de discrimination, d’oppression et de guerre, mes parents, mes deux frères et moi avons décidé de quitter ce beau pays, en quête d’une plus grande liberté. Nous avons choisi le Québec et nous ne l’avons jamais regretté.
C’était il y a plus de 55 ans et je m’en souviens encore. Pourtant, longtemps je me suis efforcé de ne pas me souvenir. Je me disais : «Ne regarde pas en arrière, va de l’avant… Une nouvelle terre t’a accueilli… Concentre-toi sur ton avenir!»
Malgré mes efforts pour oublier l’Égypte, petit à petit la nostalgie prenait le dessus. Une chanson écoutée à la radio, et voilà, les larmes coulaient toutes seules. Seize ans après avoir quitté l’Égypte, mon épouse, une Québécoise, m’encourageait à y retourner comme touriste. Et en 2008, ce fut au tour de ma fille à m’inciter à y revenir pour lui montrer là où je suis né.
Ces deux voyages au pays de mon enfance m’ont aidé à mettre de côté les raisons pour lesquelles j’avais quitté l’Égypte et à plutôt me souvenir du meilleur.
Bien sûr, je me souviens des pyramides et des temples des pharaons, preuves d’une grande civilisation, vieille de 5000 ans avant Jésus-Christ. Je suis fier d’être descendant de ce peuple.
Mais je me souviens aussi de l’Égypte moderne, celle des années où j’y ai vécu. Le ciel y était d’une incroyable pureté. Les nuages et la pluie y étaient très rares et les nuits magnifiquement étoilées. J’ai souvenance des brises légères qui emportaient des parfums de jasmin et de narcisse et surtout des vendeurs ambulants qui, pour presque rien, offraient aux dames des colliers garnis de ces fleurs si odorantes.
Je revois les terrasses des cafés où les hommes jouaient au backgammon, en sirotant un thé ou en fumant tranquillement la chicha (pipe à eau) tout en regardant les passants, habillés de la galabieh traditionnelle.
Je sens encore l’odeur des fruits et des légumes de mon enfance, cultivés sans autres engrais que le limon fertile du Nil, deuxième plus long fleuve au monde, et irrigués de façon ancestrale par son eau grâce à l’entremise d’une sakiah. Ces fruits et légumes, qui prenaient tout leur temps pour mûrir, réchauffés par le soleil brillant d’Égypte, avaient un goût incomparable que je n’ai jamais pu retrouver ailleurs, surtout pour les mangues d’Ismaïlia, petite ville sur le canal de Suez où j’ai passé ma jeunesse.
Je revois les eaux du Nil qui coulent, paresseuses, le long des terres égyptiennes, se divisant en deux branches au nord pour aller embrasser la Méditerranée. Je me revois faire une balade en felouke, naviguant au gré du vent et admirant les rives du Nil, juste avant le coucher du soleil.
Et que dire de ce canal de Suez qui, creusé à mains d’hommes, unit la mer Méditerranée à la mer Rouge. Je m’y vois, adolescent, défiant à la nage, avec frères et amis, ces immenses et innombrables cargos qui l’empruntent jour après jour.
Égypte éternelle, terre de mes aïeux… Je ne t’oublie pas!