DÉNONCIATIONS. La vague de dénonciations de violences sexuelles qui balaie la province a atteint le Cégep de Drummondville. Le processus de traitement des plaintes est fortement critiqué par des étudiants, actuels et anciens.
Le 13 juillet, l’institution a partagé une publication sur les réseaux sociaux, s’adressant aux victimes de violences sexuelles. «À la suite de la nouvelle vague de dénonciations de harcèlement et d’agressions qui déferle sur les réseaux sociaux ces derniers jours, le Cégep de Drummondville désire rappeler à sa communauté qu’il prend position contre les violences à caractère sexuel sous toutes ses formes et exprime sa volonté à prévenir et à combattre toutes situations qui contreviennent aux droits fondamentaux des individus», peut-on lire sur la page Facebook du Cégep de Drummondville qui compte quelque 7 000 abonnés.
«Toute personne désirant transmettre de l’information au Cégep relativement à un signalement, une dénonciation ou une plainte à l’égard d’un membre de la communauté collégiale doit le faire par le biais du Guichet unique, mis en place pour faciliter la réception des plaintes. En cas de besoin, nous invitons les membres de la communauté collégiale à se référer au Guichet unique. Les victimes qui ont besoin de support peuvent aussi contacter le Cégep aux mêmes coordonnées.»
Les commentaires n’ont pas tardé à faire leur apparition sous la publication, plusieurs reprochant à l’établissement scolaire de «se mettre la tête dans le sable» depuis plusieurs années. Certains ont affirmé avoir porté plainte, mais s’être heurtés à une porte close.
En 24 heures, la publication a recueilli plus d’une centaine de commentaires. Les noms d’au moins deux enseignants ayant eu des comportements déplacés ont été mentionnés par des étudiants, puis effacés par les administrateurs de la page. Hier, la publication a été supprimée de la page Facebook du Cégep de Drummondville, mais était toujours présente sur leur compte Instagram.
«De ce que j’ai compris en lisant d’autres témoignages, c’est qu’un des enseignants répète pratiquement les mêmes gestes, les mêmes paroles avec les jeunes filles. Ça fait pratiquement 10 ans. Il faut que ça arrête», témoigne une ancienne élève, qui dit avoir vécu des situations inconfortables lors de son parcours collégial entre 2011 et 2013.
Après avoir été contactée par un membre de la communauté collégiale, elle a fait parvenir une lettre à la direction du Cégep de Drummondville en mars 2016, relatant les comportements de l’enseignant. «Je sais que je n’étais pas la seule à avoir envoyé une lettre à ce moment-là. Toutefois, ce que les lettres contenaient, ce n’était pas assez incriminant pour faire quoi que ce soit avec cet enseignant», fait savoir l’ancienne étudiante, qui a requis l’anonymat.
Dans la foulée des dénonciations, elle a eu recours à de l’aide juridique. «Le premier conseil que j’ai eu, c’est d’aller directement faire une plainte à la police. Je comprends que ce ne sont pas toutes les filles qui sont à l’aise, mais j’espère qu’il y en aura d’autres qui vont le dénoncer. Si je suis la seule qui est prête à parler à la police, je vais le faire quand même», mentionne-t-elle.
Réseaux sociaux
Rébecca Joyal a gradué du Cégep de Drummondville en mai dernier. Sur un compte Instagram offrant une voix aux survivants de violence sexuelle, la jeune femme a raconté son témoignage, dans lequel elle reproche à un enseignant du collège d’avoir fait preuve d’inconduite sexuelle à son égard.
«Au début, c’était une relation prof-élève et j’étais à l’aise. Mais durant ma deuxième session, il a commencé à être plus insistant. Il me faisait des invitations. Il m’écrivait le soir, il me textait. Il faisait référence à des orgasmes, a raconté la jeune femme de 19 ans, à L’Express. Tout ça, accumulé, c’était trop. Il était en situation d’autorité. J’ai pris conscience que ce n’était pas normal.»
À la suite de sa publication anonyme sur Instagram, Rébecca Joyal a reçu un message d’un compte portant le nom de son présumé agresseur, lui disant notamment que son témoignage public avait fait des victimes collatérales, dont ses proches.
«Moi, j’ai décidé de témoigner sur les réseaux sociaux parce que j’ai vu qu’il y avait eu un autre témoignage sur le même professeur. Je pense que chaque témoignage incite quelqu’un à témoigner à son tour. De parler, ça libère et ça concrétise le fait que ça existe encore dans notre société, en 2020. C’est un problème de société. Il faut que ça change», soutient-elle.
Rébecca Joyal a déposé une plainte formelle auprès du guichet unique du Cégep de Drummondville en mai dernier, soit deux mois avant la vague de dénonciations.
Guichet unique
Contacté par L’Express, le Cégep de Drummondville a dit prendre la situation très au sérieux. «Ça l’amène toute sorte d’émotions parce qu’on ne veut pas que ça arrive ces choses-là dans notre établissement. Dans les commentaires, beaucoup signalaient que les plaintes tombaient dans l’oubli. À tort, c’est que le Cégep n’est pas autorisé à faire part des suites des sanctions aux victimes ou aux plaignants, en conformité avec la confidentialité des renseignements personnels. C’est malheureux que les gens aient l’impression que ça tombe dans l’oubli, mais ce n’est pas le cas», indique Julie Dubois, la coordonnatrice du Service des communications du Cégep de Drummondville.
L’établissement scolaire soutient qu’une seule plainte officielle est actuellement en cours. «Est-ce que les gens ont vraiment fait des plaintes? Est-ce que ça s’est vraiment rendu au guichet unique? C’est tout ça qu’il faut questionner, d’où l’importance de rappeler le bon canal. C’est au guichet unique que les gens vont trouver les ressources qualifiées et formées pour intervenir. Ce n’est pas sur les réseaux sociaux qu’ils vont réussir à avoir l’aide qu’ils ont besoin», soutient Julie Dubois.
Le Cégep de Drummondville a contacté chacune des personnes ayant fait une dénonciation sous sa publication pour les inviter à utiliser le guichet unique, qui est officiellement entré en vigueur en septembre dernier.
L’institution a adopté une politique visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel le 26 mars 2019, dans le cadre du projet de loi 151. Cette politique définit un geste à caractère sexuel comme étant une agression, du harcèlement, du cyberharcèlement ou une inconduite.
Ressource externe
Avec la création du guichet unique, Marc-André Legris, psychoéducateur au Cégep de Drummondville, a été mandaté pour recevoir et traiter les plaintes des étudiants, et ce, dans un délai maximal de 90 jours. C’est lui qui décide si la plainte est jugée recevable ou non.
Deux étudiants ayant participé à l’élaboration de la politique visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel avaient demandé que ce soit une ressource externe, comme l’organisme CALACS La Passerelle, qui reçoit les plaintes des étudiants. Leur demande n’a pas été retenue par l’administration.
«Je pense qu’ils vont se faire exposer par rapport à ça, mais ils peuvent se reprendre. Ils devraient se pencher vers des gens spécialisés parce qu’on le voit, le problème est là depuis des années», crois Catherine Landry, l’une des deux étudiants ayant siégé sur le comité et qui a tenté de dénoncer une situation de harcèlement vécue avec un professeur à trois reprises, mais en vain.
«Je pense que s’ils veulent prouver qu’ils veulent faire de quoi, ce serait une bonne mesure à prendre que d’avoir une ressource externe. Je pense aussi qu’il devrait y avoir plus de formations sur les violences sexuelles. Il pourrait y avoir un comité qui ferait des séances d’informations sur l’heure du dîner, par exemple», propose Anne-Sophie Simoneau, une ancienne étudiante. Rébecca Joyal prête sa voix aux deux jeunes femmes pour que les plaintes soient traitées par un comité indépendant.
En plus de leur projet DIASH (Démarche d’intégration des acquis en Sciences humaines) sur les violences à caractère sexuel dans les établissements postsecondaires, Catherine Landry et Anne-Sophie Simoneau ont participé, avec d’autres étudiants, à un mouvement anti-harcèlement durant leur parcours collégial.
Elles espèrent que d’autres étudiants s’impliquent à leur tour pour faire avancer les choses en matière de violence sexuelle. «Je ne veux pas dire de porter plainte, parce que ça ne donne rien. C’est plutôt de continuer de se soutenir entre élèves ou de trouver un professeur envers qui tu as confiance et de faire des actions pour apporter du changement», indique Anne-Sophie Simoneau.
De son côté, le Cégep de Drummondville soutient qu’une analyse sera effectuée. «C’est sûr qu’on va donner suite, mais je ne peux pas dire, à ce moment-ci, comment on va faire ça, laisse entendre la coordonnatrice du Service des communications. On s’est rendu compte à la lumière de ce mouvement-là qu’il y a une nécessité de poursuivre – même d’accentuer – l’information, la sensibilisation et la formation quant à l’importance de dénoncer ces situations de harcèlement ou de violences à caractère sexuel. On pensait avoir bien fait connaître notre politique.»
La politique visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel a été présentée à chaque membre de la communauté collégiale, a fait savoir l’institution scolaire.