Donner un constat d’infraction à deux personnes pour «rassemblement» est-il faire preuve de zèle de la part des policiers?
Dans le cadre de la lutte à la COVID-19, le décret numéro 222-2020 du 20 mars 2020 du gouvernement Legault accorde aux policiers le pouvoir de remettre une contravention de 1546 $ aux fautifs, c’est-à-dire ceux et celles qui, n’habitant pas à la même adresse, se retrouvent ensemble dans un endroit commun à l’intérieur ou à l’extérieur.
L’Express a répertorié au moins deux cas où, selon les contrevenants, la situation a été jugée ridicule et aurait mérité de servir seulement un avertissement.
Dans l’onglet «Tribune libre» sur le site web du journal, Jean Champagne a dénoncé, lundi, ce qui lui apparaît comme un excès de zèle lorsque sa mère, Monique Champagne, 82 ans, vivant seule, s’est vue décerner un constat d’infraction de 1546 $ pour avoir accueilli chez elle celui qui est son copain depuis 15 ans, Laurent Lessard, 86 ans, qui a reçu la même amende.
Laurent Lessard, que nous avons joint par téléphone n’en revient tout simplement pas. «C’est immoral, ça n’a aucun sens d’agir de la sorte. Qu’est-ce qu’on a fait de si mal pour voir arriver des policiers qui viennent nous arrêter? En les voyant je leur ai dit : vous vous trompez d’adresse. Nous n’étions pas dans une fête, nous n’étions que deux», a-t-il raconté avant d’ajouter avec beaucoup d’émotion dans sa voix : «C’est un régime de terreur. Pour les gens de mon âge, ça nous rappelle le temps de la guerre. Comme à cette époque, nous ne sommes pas en mesure de nous défendre. Je crois que les voisins qui nous dénoncés sont tout simplement jaloux de notre relation.»
Mme Champagne s’est sentie de son côté insultée. «C’est méchant. Laurent est mon aidant naturel. Nous sommes pénalisés parce que nous ne restons pas ensemble. Moi je n’ai pas besoin d’un homme pour me faire vivre, je suis capable de m’arranger toute seule. Cette histoire m’a ébranlée. Mais je reçois beaucoup d’appels que j’apprécie. Au fond, on ne sait plus ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, on ne sait plus sur quel pied danser», nous a-t-elle confié, au moment où elle se préparait pour une entrevue à RDI avec Anne-Marie Dussault.
Jean Champagne, qui est chef du Département multidisciplinaire à l’Institut universitaire de Cardiologie et Pneumonie à Québec, a pour sa part fait valoir que des gens de leur âge n’ont pas besoin de ça. «Ma mère et son copain sont démolis. Les policiers auraient dû faire preuve d’empathie. Ma mère se demande bien qui l’a dénoncée. Pour l’instant, ça va parce qu’elle reçoit des appels de ses amies, mais après, ça va retomber tranquille et l’isolement se poursuivra. Pour la suite, on a juste hâte de voir un assouplissement dans les consignes ou simplement la fin du confinement pour aller la voir».
M. Lessard et Mme Champagne ont bien sûr contesté leurs contraventions.
Pourquoi pas un avertissement?
Danielle D. (qui veut garder son nom confidentiel) a vécu une expérience similaire. Femme seule, sans auto, bénéficiaire du programme de solidarité sociale, qui a des problèmes de santé physique, elle est aidée par sa sœur, la commissionnaire, qui effectue ses courses dites essentielles.
«Un midi, ma sœur est venue me livrer mon épicerie. Et vlan les policiers arrivent. Ils ont reçu une plainte d’une de mes voisines. Nous avons expliqué aux agents ce qui en était, mais ils ne nous ont pas crus. Ils ont même affirmé que deux des items de l’épicerie, un sac de compostage et des croissants, n’étaient pas des produits essentiels. Il me semble que les policiers pourraient faire preuve de discernement. En plus, ils ne respectaient pas la distanciation sociale. J’ai contesté ma contravention et, comme on m’a dit, je vais probablement gagner ma cause, mais c’est le trouble et le stress que ça donne. Quant à la personne qui a porté plainte, je sais c’est qui. Si elle est malheureuse, elle n’a pas besoin de faire chier les autres», s’est-elle emportée. Danielle D. souligne que, dans le décret, il est bien écrit que le rassemblement est interdit à l’intérieur comme à l’extérieur sauf : «s’il est requis pour obtenir un service ou un bien d’une personne».
L’Express a demandé à la Sûreté du Québec si les policiers ont le pouvoir de servir un simple avertissement pour une première offense. La porte-parole de la SQ, Aurélie Guindon, a répondu qu’elle ne pouvait se permettre aucun commentaire sur le sujet.