ENVIRONNEMENT. À la suite d’une lettre envoyée récemment par Questerre aux propriétaires drummondvillois, suscitant quelques interrogations, voire des inquiétudes, au sujet de licences d’exploration des gaz de schiste, L’Express a pris contact avec à Richard E. Langelier pour obtenir les explications que Questerre ne semble pas intéressée à fournir malgré nos appels.
Cette lettre dit que «Conformément à l’article 115 de la Loi sur les hydrocorbures, nous vous avisons que, depuis le 22 janvier 2020, Questerre Energy Corporation (Questerre) détient en totalité un droit enregistré dans les licences d’exploration apparaissant à l’annexe A ci-jointe et dans laquelle vous trouverez les informations pertinentes sur chacune d’elles. Le dépliant ci-annexé décrit les droits et avantages que la Loi vous confère à titre de propriétaire foncier».
Deux questions viennent tout de suite à l’idée : d’abord, qu’est-ce que veut dire cette lettre en langage clair? Et ensuite, comment se fait-il que les gaz de schiste reviennent dans le portrait alors qu’on les croyait morts et enterrés?
Étant donné qu’il n’a pas été possible de parler avec Questerre malgré des messages téléphoniques, en français et en anglais, et des courriels à des adresses différentes, il nous a paru important de joindre le sociologue et docteur en droit Richard E. Langelier, une sommité en la matière, pour faire le point.
Il met d’abord en contexte la situation actuelle des gaz de schiste.
«En septembre 2018, le gouvernement de Philippe Couillard mettait en vigueur la Loi sur les hydrocarbures qui, notamment, interdit la fracturation hydraulique dans le shiste et impose des distances séparatrices d’un km par rapport aux cours d’eau. Une distance très réduite de 275 mètres devrait, du moins en théorie, protéger les maisons des nuisances et inconvénients liés à la recherche des hydrocarbures.
«Ces règlements sont sous la responsabilité du Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) dont la mission est de développer nos ressources naturelles. Le problème c’est que le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), qui, lui, découle de la Loi sur la qualité de l’environnement, donc du Ministère de l’Environnement, prévoit d’autres règles qui contredisent en partie celles du MERN. En effet, le RPEP permet la fracturation hydraulique sur l’ensemble du territoire et donne des distances séparatrices plus courtes.
«Les compagnies gazières ont donc décidé de contester la légalité des règlements du MERN devant la Cour supérieure du Québec. Le gouvernement de François Legault, en refusant d’harmoniser les deux règlements, facilite donc la contestation de la compagnie Questerre : si les règlements du ministère de l’Environnement sont suffisants pour protéger les sources d’eau, n’est-ce pas une démonstration implicite que les règles du MERN sont superflues et donc ultra vires ? Voilà ce que plaidera sans doute la compagnie Questerre».
Pourquoi les gens ont-ils reçus une lettre de Questerre ?
«Parce que la compagnie a acheté tous les permis de recherche d’hydrocarbures dans la vallée du Saint-Laurent. Questerre est une petite compagnie albertaine qui agit comme opérateur pour la multinationale espagnole Repsol. La Loi sur les hydrocarbures exige plus de transparence et les compagnies ont l’obligation de prévenir municipalités et résidents qu’elles détiennent un permis de recherche d’hydrocarbures. Cette disposition vise à éviter l’envahissement sauvage des territoires, comme nous l’avions connu de 2008 à 2012. Questerre répond donc d’abord à une obligation légale en avisant les citoyens du fait qu’elle détient maintenant les permis.
Questerre veut-elle faire des forages dans notre région ?
«Questerre a toujours soutenu vouloir faire un projet expérimental dans la région de Bécancour-Lotbinière. Mais l’exploitation du gaz de shiste exige le creusement de milliers de puits, car les puits s’épuisent rapidement. C’est donc une sorte de frénésie. Si Questerre gagne sa bataille judiciaire, nous pouvons prévoir un envahissement du territoire».
Quels sont les enjeux environnementaux ?
«Ils sont énormes : pollution inévitable des sources d’eau potable (comme en Pennsylvanie et en Californie); problèmes majeurs de santé pour les personnes vivant en périphérie des puits, documentés par des études récentes; problèmes géologiques (tremblements de terre); problèmes de gestion des eaux usées contaminées (environ 10 millions de litres d’eau par puits qui ressortent des puits après la fracturation). Pour être «gérable» et économiquement rentable, il faut des centaines sinon des milliers de puits».
Quels sont les enjeux économiques ?
Il n’y en a pas, selon M. Langelier. «Il n’existe aucun gisement important connu au Québec. Dans les années 1970, avec leurs immenses moyens, les multinationales de l’énergie (Texaco, Shell, et autres) et la filiale gouvernementale du gaz d’Hydro-Québec ont cherché des hydrocarbures et n’ont rien trouvé. Il n’y a donc que des gisements marginaux pouvant difficilement être exploités de façon rentable. Les puits gaspésiens les plus importants ont donné 10 barils par semaine sur une période de trois ans; en Arabie Saoudite des puits donnent 100 000 barils par jour.
«Mais les compagnies qui disposent des permis au Québec sont de petites compagnies dont le seul objectif est de pouvoir clamer qu’elles ont trouvé des hydrocarbures dans l’espoir d’être rachetées par des géants du secteur.
Ces compagnies sont des spéculateurs aux reins peu solides. Gastem qui a poursuivi Ristigouche est incapable de payer la sanction de 175 000 dollars imposée par le tribunal; Piradee (ex-Pétrolia) est au bord de la faillite et ne peut fermer les puits gaspésiens; Junex, achetée par un fonds spéculatif autrichien, ne sait pas trop où aller…Investissements Québec a dû radier récemment ses actifs détenus dans ce secteur; nous avons perdu près de 100 millions de dollars de fonds publics dans ce secteur.
«Bref, ces compagnies seront incapables de réparer les dégâts qu’elles causeront inévitablement.
«Ces activités sont donc sans nécessité, établies sur la base d’une analyse économique à court terme et déficiente, puisqu’elle externalise les coûts environnementaux, et seraient menées sans acceptabilité sociale.
«Depuis plus de 10 ans maintenant, de toutes les façons possibles (des sondages aux participations les plus diverses dans les consultations gouvernementales, aux pétitions, manifestations, rassemblements, etc.), la population a exprimé clairement son opposition à ce type de développement.
Il y a donc aussi des enjeux politiques, car, de façon évidente, les citoyens n’accepteront pas ce retour des spéculateurs dans leur territoire. Ils ont déjà joué dans ce film. Le gouvernement serait bien avisé d’en tenir compte».
Richard E. Langelier, à la demande de citoyens, présentera son analyse du cadre juridique et des intentions de Questerre lors d’une assemblée publique d’information qui aura lieu samedi le 14 mars à la Corporation de développement communautaire Drummond, 255 rue Brook, à 9 heures. Et il répondra aux questions.