DOSSIER. Alors que la problématique d’exploitation sexuelle tend à prendre de l’ampleur, La Piaule se donne la mission d’outiller les intervenants, et ce, pour mieux aider les victimes.
«Depuis longtemps déjà, on a l’impression que tout se passe à Montréal. La réalité n’est pas pareille dans la région — l’exploitation sexuelle est plus cachée —, mais au final on a les mêmes problématiques que dans les grandes villes», expose Alexis Vandal, une travailleuse de rue à La Piaule.
Elle explique que l’on devrait utiliser le terme «exploitation sexuelle des mineures» plutôt que «prostitution juvénile». «Quand on dit “prostitution juvénile”, c’est comme si la mineure donnait son consentement. Toute personne de moins de 18 ans ne peut donner son consentement à échanger des services sexuels. C’est de l’exploitation. On parle aussi d’exploitation sexuelle quand il y a une troisième personne impliquée, comme un proxénète».
Selon Bianca Boudreau, coordonnatrice au volet sensibilisation, prévention et intervention de l’exploitation sexuelle, la ville de Drummondville ne fait pas exception : le phénomène est présent.
«Si on parle des haltes routières, on dit de Drummondville que c’est la “pause pipe”. Il existe tout un réseau de prostitution de route. Sur le bord de l’autoroute 20, il y a aussi tous les hôtels. Par ailleurs, l’exploitation sexuelle est encore plus cachée en région, surtout dans les villages. Ça se passe bien souvent dans les partys privés», explique Mme Boudreau.
On n’a qu’à penser à l’enquête policière menée dans un établissement hôtelier de Drummondville et qui a permis l’arrestation de neuf hommes en octobre 2019. Ils tentaient spécifiquement d’acheter les services sexuels de personnes de moins de 18 ans. Ils reviendront en cour prochainement.
Bianca Boudreau souligne qu’il est très difficile de dresser un portrait de la situation. «La Sûreté du Québec n’a pas pu nous produire de chiffres. C’est aussi très rare qu’une personne va se présenter au poste de police pour dire qu’elle est exploitée sexuellement. Ça n’arrive presque pas», lance-t-elle.
En ce sens, il y a très peu de ressources qui touchent l’exploitation sexuelle au Centre-du-Québec. En fait, il n’y a aucun organisme qui travaille uniquement auprès des victimes. «L’organisme qui serait le plus spécialisé, c’est nous à La Piaule. Plusieurs organismes touchent le sujet, mais personne n’a l’exploitation sexuelle comme mandat», observe Bianca Boudreau.
«On a trop longtemps cru que ça se passe ailleurs que dans notre ville», ajoute Alexis Vandal.
La Piaule souhaite changer les choses
Pour pallier le manque de ressources, La Piaule, en collaboration avec 18 organismes du Centre-du-Québec, a dressé un portrait de l’exploitation sexuelle des jeunes de 12-25 ans dans la région. Le projet a été financé par le gouvernement du Québec.
«Dans un premier temps, ce projet nous a permis de comprendre le phénomène. Notre objectif est d’outiller des intervenants pour qu’ils soient en mesure de bien réagir lorsqu’une personne victime d’exploitation sexuelle se présente et se confie, raconte Bianca Boudreau. On veut tisser un filet de sécurité».
Au cours des prochains mois, La Piaule offrira des formations gratuites axées sur l’exploitation sexuelle pour les intervenants, les jeunes et même les parents. «On ne veut pas que des jeunes soient laissés à eux-mêmes quand ils se confient», soutient Mme Boudreau.
«Dans le cas des intervenants, ils doivent apprendre à parler aux victimes d’exploitation sexuelle. Juste de recevoir une confidence, c’est quelque chose d’intense. Il faut être prêt à cela. C’est aussi important de savoir comment parler à une victime, qui bien souvent ne se considère même pas comme une victime. On marche sur des œufs», insiste Alexis Vandal.
Ultimement, La Piaule vise à renforcer la capacité des intervenants à accueillir, protéger et soutenir les jeunes aux prises avec cette problématique, ainsi que leurs proches.