Chers André Lamontagne et Sébastien Schneeberger, députés de Johnson et Drummond – Bois-Francs,
Lorsqu’il est question de défendre les intérêts de notre région, en éducation, nous avons été et demeurons des frères d’armes. Nos relations ont toujours été cordiales. J’ai toujours senti de votre part un grand respect pour ma personne.
C’est pourquoi le débat sur le Projet de loi 40 ayant pour but de « transformer les commissions scolaires » est un malheureux événement faisant temporairement de nous des frères ennemis.
Les enjeux m’apparaissent trop importants pour ne pas publiquement vous interpeller à cet égard.
Je vais le faire avec le tout respect que vous avez mérité avec les années, mais ceci ne m’empêchera pas de débattre avec ardeur comme vous pourrez le constater dans les lignes qui suivent.
Je vous écris également en totale conscience des réalités démocratiques et parlementaires qui vous gouvernent : la solidarité ministérielle et la discipline de parti. Cependant, je tiens pour acquis que ces deux vertus parlementaires ne vous empêchent pas de discuter au caucus du parti, ni au conseil des ministres, ni de tenir quelques discussions de corridor permettant d’influencer l’issue finale.
Je termine cette introduction pour vous dire que rien dans ce qui va suivre ne constitue pour moi, une façon de « sauver mon poste ». J’ai annoncé depuis un bon bout de temps que mon actuel mandat était le dernier et qu’après plus de 22 ans d’engagement en politique scolaire, il me faudra bientôt tirer ma révérence.
Vous savez aussi que, financièrement, ce poste de présidence ne me procure aucun avantage compte tenu du manque à gagner qu’il provoque pour mes activités professionnelles d’avocat.
En marge de la Commission parlementaire dont les travaux débutent maintenant, c’est en toute liberté que j’entreprends mon plaidoyer; mon dernier en faveur de la gouvernance scolaire. Je le fais à titre personnel. Cette lettre ne représentant pas nécessairement l’opinion de la Commission scolaire des Chênes.
Les intentions ministérielles en résumé
Lors du dépôt du Projet de loi 40, on a entendu votre collègue monsieur le ministre Roberge dire essentiellement cinq choses :
– Il est temps de dépolitiser les commissions scolaires et donc de mettre fin aux élections scolaires, il faut moderniser;
– La réforme permettra des économies qui seront réinvesties dans les services à l’élève;
– Les commissions scolaires seront transformées en centre de services aux écoles;
– Les écoles auront plus de pouvoirs;
– Et, ne pouvant s’empêcher de frapper sur ses cibles préférées, il a lâché cette perle : les parties de golf et les formations dans le Sud pour les commissaires, c’est terminé. Il y avait là variation sur un même thème, le ministre ayant déjà qualifié les élus scolaires de « caillou dans le soulier du système d’éducation ».
À propos de la légitimité et la modernité
Personne n’a prétendu que la pratique d’un gouvernement local en éducation soit présentement sans faille et ne soit pas sujette à améliorations.
On a assez justement reproché à ce palier une trop faible proportion (5%) des suffrages exprimés lors des élections scolaires.
Saviez-vous qu’en Ontario, là où les élections scolaires se tiennent simultanément avec les élections municipales, autour de 45% des électeurs et électrices votent effectivement au scolaire ?
Saviez-vous qu’en Ontario, là où la plus spectaculaire hausse de diplomation a été enregistrée en Amérique du Nord dans les 10 dernières années, le gouvernement a décidé de valoriser la fonction d’élu scolaire et de l’associer au chantier d’amélioration du système d’éducation publique ?
Du moins en partie, pourrait-on associer l’amélioration de la diplomation ontarienne à une participation citoyenne accrue ?
Le conseil des commissaires est effectivement le lieu par excellence du déploiement de l’implication citoyenne en éducation.
Une nation forte qui veut prioriser l’éducation ne devrait-elle pas valoriser cette fonction pour y attirer les gens de la plus grande qualité possible afin de mieux en gérer les enjeux localement ?
Ici, pour des motifs aussi fallacieux et galvaudés et par un dangereux processus de généralisation, le gouvernement souhaite éliminer ce palier qui serait devenu « archaïque » selon lui.
J’aimerais que l’on me dise ce qu’il y a d’archaïque dans le fait d’engager la population dans l’effort de diplomation et plus généralement dans l’objectif d’une meilleure réussite éducative.
Le ministre croit moderniser le tout en créant, à la place, un conseil d’administration composé principalement de parents élus par les instances parentales. Saviez-vous qu’aux élections scolaires de 2014, 3 416 personnes se sont prévalues de leur droit de vote ?
Saviez-vous que, selon le Projet de loi 40, ce nouveau conseil serait élu par 210 personnes, soit 6 parents pour chacun des 35 actuels conseils d’établissement ?
Le gouvernement s’apprêterait-il à régler un problème de légitimité par une structure encore moins légitime?
Les sophismes et les faux prétextes
Ceci étant dit, le ministre abusera de faussetés et de sophismes pour vendre son Projet de loi. Il dira qu’il donnera plus de pouvoirs aux écoles. En fait, seul le Ministère rapatriera des pouvoirs, au détriment des initiatives locales et de l’achat chez-nous (je pense ici au Projet de loi 37, parallèlement à l’étude).
Vous avez dit « économies » ?
Votre ministre dira qu’il économisera de l’argent. Comment le croire ? En fait, je rappelle que la rémunération et les dépenses globales de notre conseil des commissaires atteignent présentement la somme de 133 000 $ pour 15 personnes sur un budget total de 178 millions $.
Le Projet de loi envisage de remettre ce que l’on appelle des jetons de présence aux membres du futur conseil d’administration. Il faudra sortir quelques dollars. D’autre part, si des responsabilités sont rapatriées à Québec, ne croyez-vous pas que ceci aura pour effet de gonfler les effectifs du ministère ?
Selon le Projet de loi 40, ce n’est plus la présidence qui agirait comme porte-parole de la commission scolaire, mais bien le directeur général. Ce dernier devra assurer la représentation que les élus se partagent.
Le milieu désire que des représentants de la commission scolaire assistent à ses événements : écoles, Chambre de commerce et d’industrie de Drummond, Société de développement économique de Drummondville, clubs sociaux, fondations, organismes communautaires, certaines mairies… et c’est parfait ainsi !
De plus, pour le bien de l’élève, les commissions scolaires, ensemble, ont besoin de « réseauter ».
À titre de président, je consacre également beaucoup de temps à rencontrer et partager avec mes homologues les bonnes pratiques et je ramène souvent des idées pour inspirer certaines de nos actions. Il faut essaimer, ne pas s’isoler.
Le directeur général devra-t-il multiplier les représentations ? Ceci le détournera-t-il de ses responsabilités premières. Se pourrait-il que le tout mène à la création d’un nouveau poste aux communications ? Je ne sais pas pourquoi mon petit doigt me parle.
Et s’il s’avérait vraiment que les écoles doivent exercer davantage de responsabilités ou de pouvoirs, ne croyez-vous pas qu’on revendiquera l’embauche de ressources pour appuyer administrativement les directions d’établissement et, quant à y être, avec plus de personnel à gérer, n’y aurait-il pas des augmentations de traitement salarial à la clé pour ces postes de direction ?
S’il croit vraiment que son Projet réduira les dépenses administratives, le ministre agit par ignorance. Ce dernier est d’ailleurs tout à fait ignorant de l’apport d’un conseil des commissaires pour la commission scolaire. Dans son livre, « Si on réinventait l’école », il fait part de certaines expériences personnelles qu’il se contente de généraliser. La plupart des enseignants ne sauraient pas bien décrire ce que réalise vraiment un conseil des commissaires. Ne pas être trop certain de ce que fait un conseil m’apparait un bien faible argument pour militer en faveur de son abolition.
Un mot sur la gouvernance, la bonne
En fait, un conseil formé de membres élus par la population ayant des comptes à rendre à cette dernière a les mains libres pour agir auprès des différentes forces qui sont susceptibles de s’opposer au sein d’une commission scolaire. Le conseil n’étant ni parent, ni enseignant, il arbitre en toute impartialité les conflits potentiels et assure l’équité dans la répartition des ressources.
Dans sa nouvelle mouture, les membres du conseil d’administration qui tiendront leur siège de la volonté parentale devront suivre cette volonté. C’est par ce spectre qu’ils seront jugés. Il en sera de même de chacun des représentants des personnels et des directions d’établissement.
Une belle lutte entre des intérêts corporatistes est à craindre. Tous les spécialistes de la gouvernance vous diront que c’est un mauvais modèle de gouvernance.
Tout comme à l’époque du Projet de loi 86 des libéraux, s’il est facile de balayer ce qui existe, il est périlleux de trouver une formule de remplacement qui aurait une véritable valeur ajoutée. Les libéraux s’y sont cassés les dents, à mon avis, ce n’est que l’obstination et non la réflexion qui amènera la CAQ un cran plus loin.
Électeurs à satisfaire, vraiment? Ou simple indifférence?
Le tout pourquoi ? Pour remplir une promesse électorale ? Pour satisfaire une base électorale qui, entre vous et moi, n’est pas très bien informée de la chose ?
Saviez-vous que, selon un récent sondage SOM , 64 % des répondants s’estiment mal ou très mal informés du rôle des élus et des commissions scolaires en général. Malgré ce taux important de gens qui se disent mal informés, il n’y a que 12 % d’indécis sur la question de l’abolition des élections scolaires.
Cherchez l’erreur. D’ailleurs, le même sondage révèle que plus on est au fait du rôle de l’élu scolaire et de celui d’une commission scolaire, plus on est en faveur de leur maintien. Alors, avant de déclarer que le Projet de loi 40 obtient la faveur populaire de gens informés, j’appellerais votre ministre à la plus grande humilité.
Le bien public et les parents
Je suis de ceux et celles qui croient que les parents doivent être consultés, considérés et je crois m’être toujours comporté politiquement comme tel. Ceci étant dit, en tant que citoyen, il me déplait de voir que l’on s’apprête à leur laisser majoritairement le soin d’administrer chez-nous au moins 178 millions $ des impôts et taxes de tous les citoyens.
Un bien public serait maintenant géré par ses utilisateurs temporaires ? Là n’est probablement pas la volonté du gouvernement et c’est pourquoi l’idée de maintenir de véritables pouvoirs en région est de la poudre aux yeux. La responsabilité budgétaire ne pourra être véritablement laissée à un groupe essentiellement formé d’utilisateurs bénévoles.
De là l’idée centralisatrice de ce Projet de loi. Le nouveau conseil d’administration présenté dans le Projet de loi 40 n’est qu’un conseil des commissaires dépourvu de pouvoirs. L’intention répétée du ministre n’était-elle pas de mettre un terme à l’existence de 72 gouvernements locaux ?
On voit que la présidence du nouveau conseil d’administration sera dépourvue de tout rôle et pouvoir. Et s’il s’avérait que l’un ou l’une tente d’exercer un certain leadership, on le ou la renverra relire la nouvelle loi et le tour sera joué.
Saviez-vous que si le Projet de loi 40 était loi depuis 2007, ma prédécesseure, Mme Jeanne-Mance Paul, n’aurait pu être présidente de notre commission scolaire, ni le soussigné. Vous me direz que pour affirmer une telle chose, il faut un peu de « superbe »; je ne vous ai jamais dit que j’en manquais.
Je regarde le curriculum vitae de mes collègues d’un peu partout au Québec. Une faible proportion de celles et ceux-ci est « parent d’élèves ». C’est d’ailleurs tout à fait normal.
Pour qu’une présidence soit ancrée solidement et soit un contrepoids véritable à une machine administrative et être un bon co-leader avec la direction générale, il faut temps et expérience. Le temps est certainement ce qui manque cruellement aux parents d’élèves.
Je n’aurais pu occuper la fonction quand j’avais des enfants à l’école. Le nouveau mode de gouvernance privera l’éducation de tellement de talents et d’expérience. J’espère que l’on en trouvera autant malgré le bassin restreint que prévoit le Projet de loi 40.
Du changement ?
Bien sûr, la situation actuelle ne pourra être laissée ainsi encore bien longtemps. Il y a donc nécessité d’agir, mais certainement pas dans la hâte et l’improvisation que la démarche actuelle suggère.
Pas avec un tel Projet de loi fabriqué pour tenter de plaire à la Fédération des comités de parents et aux associations de directions d’établissement, afin d’isoler les élus et les balancer par-dessus bord, ces incompétents qui ont sévi depuis trop longtemps.
Ce Projet de loi est un mauvais « travail de session » en sciences politiques et en sciences de la gestion.
Si on veut que le pouvoir puisse être mieux partagé et adéquatement exercé régionalement, il faut :
– Faire de l’éducation une véritable priorité nationale en stimulant la population à participer à la chose scolaire et à définir le contribuable comme étant également un citoyen scolaire;
– Cesser l’érosion des pouvoirs régionaux en éducation;
– Rapprocher l’école de la commission scolaire et mettre davantage les écoles en réseau, ne pas les laisser fonctionner comme des électrons libres;
– Valoriser la fonction d’élu scolaire en la faisant mieux connaitre pour y attirer les administrateurs et administratrices mieux aguerris, ce qui signifie, minimalement que le ministre doit cesser de les mépriser;
– Financer largement les élections scolaires;
– Responsabiliser la commission scolaire et ses élus plutôt que les materner;
– Démontrer à la population que les enjeux se retrouvent près de chez-elle dans sa commission scolaire;
– Mettre sur pied un programme de formation obligatoire pour les élus scolaires comprenant : fondements de la bonne gouvernance, étude approfondie de la Loi sur l’instruction publique et des règles budgétaires et étude des pratiques gagnantes en réussite éducative;
– S’assurer que tous les membres des conseils des commissaires, quelle que soit leur provenance, ne puissent être membres d’aucun autre comité ou conseil associé à une école ou groupe ayant un pouvoir de recommandation ou de consultation auprès du conseil;
– Mieux rémunérer les élus;
– Intégrer dans la Loi un processus établissant un véritable lien politique entre le ministre et les conseils des commissaires ou du moins les présidences.
Conclusion
S’il faut un certain coup de barre en administration scolaire, ce n’est certainement pas celui que le ministre croit opportun de proposer dans son Projet de loi 40.
La population doit être remise au centre du projet de société qu’est l’École. L’éducation ne doit plus être considérée comme un simple service à une clientèle provoquant de plus en plus sa marchandisation avec toutes les iniquités que cela génère.
L’école doit revenir à son rôle essentiel. La commission scolaire doit plus efficacement exercer des pouvoirs et du leadership régional de concertation, de complémentarité et d’équité entre les écoles et le ministre de l’Éducation doit insister sur le « E » majuscule de sa fonction et cesser de se réduire à faire de la micro-gestion.
C’est le système que je nous souhaite. Il demanderait du courage politique, beaucoup d’humilité, du dialogue et de la confiance entre tous les intervenants.
Je vous invite donc à transmettre cette lettre à votre collègue monsieur le ministre de l’Éducation, si vous le jugez opportun.
Le président de la Commission scolaire des Chênes,
Jean-François Houle