COMMENTAIRE. Le député de Johnson André Lamontagne vit sa première controverse en tant que ministre de l’Agriculture et elle n’est pas négligeable!
Il a révélé avoir «personnellement autorisé» la décision de son ministère de licencier l’agronome Louis Robert, un fonctionnaire qui a remis à Radio-Canada un document confidentiel sur l’ingérence du privé dans la recherche scientifique sur les pesticides.
L’affaire est scandaleuse deux fois plutôt qu’une. D’abord, on tire sur le messager, le lanceur d’alerte. Louis Robert, du haut de ses 32 ans d’expérience, est une sommité dans le milieu de l’agronomie québécoise. Le monsieur n’est pas un ti-coune en mal de publicité. On veut bien admettre que tout fonctionnaire est tenu de ne pas ébruiter le travail confidentiel qu’il effectue pour le gouvernement qui le paye bien. Mais de là à dire publiquement, comme l’a fait M. Lamontagne dans un «scrum», qu’il a personnellement autorisé ce congédiement, ajoutant même qu’il était très à l’aise avec cette décision, ça frise l’arrogance, une attitude dépassée.
Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, a même parlé d’un retour au duplessisme, dans une affirmation citée par Le Devoir : «Les fonctionnaires relèvent ultimement du sous-ministre. Le ministre peut être tenu informé, mais à ma connaissance, depuis la fin de l’époque Duplessis, ce n’est généralement pas à un ministre de déterminer s’il y a lieu de congédier ou de remercier un fonctionnaire». Tout ça d’autant plus que le premier ministre Legault déclarait la veille qu’il n’aimait pas voir des gens perdre leur emploi!
Depuis hier, que ce soit à la télé, à la radio ou dans les médias écrits, tout ce qui grouille de chroniqueurs dans l’univers médiatique au Québec a condamné cette manière de faire du ministre Lamontagne, certains allant jusqu’à souhaiter que la décision soit renversée par le gouvernement, tellement l’erreur est magistrale.
Le contenu
Maintenant que la façon de «sacrer dehors» le fonctionnaire a été décriée, le contenu de la dénonciation a de quoi de profondément troublant.
Les citoyens peuvent-ils trouver acceptable qu’un organisme privé comme le CEROM (Centre de recherche sur les grains) bénéficie de fonds publics pour faire de la recherche sur les pesticides alors que son conseil d’administration est principalement constitué de vendeurs de pesticides? Ben voyons! La réponse est non. Alors pourquoi le gouvernement, lui, ne dit rien là -dessus? Parce que les lobbys sont trop puissants? Legault répond à ça «qu’on est pas achetable à la CAQ».
Pourtant, cette invraisemblance est connue depuis un bout de temps. L’Express avait fait état l’été dernier de cette situation inadmissible, d’abord sortie dans Le Devoir. C’est une lettre écrite par des chercheurs indépendants, datant de mars 2018, qui avait porté à l’attention du public que le CEROM, une institution publique dont une partie du travail vise à réduire l’utilisation des pesticides nuisibles à l’environnement, «aurait» tenté de dissuader des chercheurs de diffuser les résultats de leurs travaux, lesquels concluaient que l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes n’avait qu’une influence minime sur les rendements en agriculture. «Il est hautement préoccupant que des études démontrant l’inefficacité de pesticides n’aient pas été rendues publiques, au moment où le gouvernement du Québec étudiait la mise en place d’une réglementation pour interdire l’usage des pesticides posant les risques les plus élevés pour la santé et l’environnement», avait questionné ces chercheurs.
Utilise-t-on trop de pesticides au Québec? Il ne faudrait pas se fier sur les vendeurs de pesticides pour nous le dire. C’est pourtant ce qui a tout l’air de se passer, selon ce qu’a voulu faire savoir Louis Robert.