Faut-il suspendre la vente de boissons alcoolisées sucrées?

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Par Jean-Pierre Boisvert
Faut-il suspendre la vente de boissons alcoolisées sucrées?
Les boissons alcoolisées sucrées sont en vente libre. (Photo : Ghyslain Bergeron)

«Si Santé Canada ne sait pas comment faire pour règlementer la quantité d’alcool dans les boissons alcoolisées sucrées, qu’elle en suspende la vente, le temps de se faire une idée».

Cette affirmation drastique est celle d’Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool, qui a perdu patience face aux autorités incapables d’encadrer une fois pour toutes la vente des boissons alcoolisées sucrées.

L’affaire a fait grand bruit en août dernier lorsque le coroner Yvon Garneau, dans son rapport sur le décès du Drummondvillois Pierre Parent, avait constaté que la mort était survenue après que le jeune de 30 ans eut ingurgité quatre boissons sucrées à haute teneur en alcool de marque Four Loko ainsi que deux comprimés de Tylenol en l’espace de quelques heures.

Le coroner avait souligné : «Ce qui frappe est le jeune âge de la victime. L’homme était relativement en bonne santé et on apprend, lors de l’investigation, qu’il est dépendant à cette boisson sucrée à haute teneur en alcool. On a découvert à l’autopsie qu’il avait une stéatose, c’est-à-dire un foie malade. Ce qui me frappe aussi est que c’est un mélange de médicaments bien simple qui est en vente libre. La victime avait déjà un cœur affaibli par la consommation chronique d’alcool. C’est assez rare de voir quelqu’un de 30 ans décéder dans ces circonstances-là».

Un avis public

Il avait recommandé au ministère de la Santé publique de sensibiliser le public aux réels dangers de la consommation d’alcool éthylique et de médicaments. Santé Canada a effectivement émis un avis public «concernant les dangers de la consommation d’alcool éthylique en combinaison avec des stimulants tels la caféine ou certains médicaments arythmogènes».

Hubert Sacy ne veut pas se contenter d’un simple avis public. «C’est insuffisant. Il y a une problématique particulière avec ces boissons alcoolisées sucrées. Elles ne goûtent pas l’alcool. C’est hypocrite. Quand tu bois du scotch, tu sais que tu bois du scotch, quand du bois du vin, tu sais que tu bois du vin. Mais, dans ces boissons qui sont en vente libre dans les dépanneurs, tu crois que tu bois du sucre et non de l’alcool. Il faut que ce phénomène soit traité spécifiquement. Il faut qu’Ottawa arrête de tourner en rond autour de ce problème. Au lieu de niaiser, on devrait suspendre la vente de ces produits en attendant de trouver une solution», de faire valoir M. Sacy tout en ne manquant pas de rappeler que la jeune Athéna Gervais, 14 ans, était décédée dans des circonstances semblables le printemps dernier.

Questionné à savoir quand Santé Canada prévoit appliquer une nouvelle règlementation en la matière, la réponse obtenue de l’organisme n’est pas précise : «Santé Canada veut mettre de l’avant de nouvelles dispositions réglementaires au cours des prochains mois afin de restreindre la quantité d’alcool présente dans les contenants à portion unique de grand format de boissons alcoolisées à teneur élevée en sucre. Les commentaires reçus en réponse à l’avis d’intention, le rapport du Comité permanent de la santé (HESA) et les avis des intervenants clés seront pris en compte pour élaborer ces dispositions réglementaires».

Invité à réagir, le coroner Yvon Garneau a d’abord fait savoir qu’il était satisfait que Santé Canada porte une oreille attentive à ses recommandations et respecte ses engagements.

«Notre mission est de faire de recommandations pour la protection de la vie humaine. Comme il n’y a pas d’obligation légale d’appliquer ces recommandations, elles constituent surtout des mesures préventives. Toutefois, il faut savoir que le caractère public des rapports et des recommandations peut générer de nombreuses discussions dans la population, dans les médias, chez les chercheurs et dans les milieux concernés (scientifiques, lobbyistes, etc.). En ce sens, l’impact de nos recommandations est non-négligeable. Les coroners sont souvent porteurs d’idées qui font tranquillement leur chemin et qui alimente des enjeux collectifs d’importance, comme la consommation mixte de boissons à haute teneur en alcool et de médicaments, dans le cas qui nous concerne», a-t-il mis en contexte.

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