Par Josyane Cloutier, collaboration spéciale
On m’a très souvent dit que j’étais grano. Je le pense moi-même, et assume entièrement cette partie de ma personnalité. Pourtant, si je sais grosso modo ce que ça veut dire, on dirait que je ne me suis jamais vraiment interrogée sur l’origine de ce concept et ses balises.
Outre évoquer une délicieuse garniture croquante d’avoine et une ancienne monnaie, que signifie grano?
Ma vision du grano d’Amérique typique est celle d’un jeune adulte aux longues dreadlocks et aux grandes lunettes, habillé d’amples vêtements recyclés qui ne vont pas nécessairement tous ensemble (incluant, si possible, une vieille salopette en jeans), avec un plant de tomates dans une main et un pot d’huile de coco biologique dans l’autre.
Maintenant, allons un peu plus loin que le cliché.
Lorsqu’on prend le temps de demander à notre cher ami Google ce qu’il pense de ce mot, on tombe sur des sites d’épicerie en vrac et quelques blogues sur l’alimentation, qui semblent pas mal tous tourner autour d’une alimentation végétarienne et sans gluten qui réduit au maximum les produits transformés et non-biologiques.
On tombe aussi sur beaucoup de sites un peu louches et de forums, sur lesquels les internautes se défendent bec et ongles de ne pas être grano. On propose même sur le site de IGA une recette de végé-pâté «pas trop grano». Mais pourquoi, pas trop grano? Parce que le grano moyen a notamment la réputation de ne manger que du foin et des graines de tournesol et de ne plus avoir de papilles gustatives.
C’est donc associé aussi à un certain «extrémisme» (voyez ici les huit paires de gants blancs que j’ai mis avant de déposer ce mot dans ma chronique), à une forme de rejet de la société de consommation.
En fait, je résumerais à ceci : le mot grano est «associé au retour à la terre».
On sert le grano à toutes les sauces, mais l’esprit reste le même : il s’agit d’une personne qui tend à limiter le plus possible son impact sur la planète et le nombre de produits transformés dans son alimentation. Cela regroupe, d’une certaine façon, le mouvement zéro déchet, le végétalisme, le locavorisme, le minimalisme, la permaculture, etc, qui tournent tous un peu autour de l’idée de vivre en harmonie avec notre chère planète.
Je pense que, d’une certaine façon, les granos des années 2010 sont les héritiers de la contre-culture hippie des années 1970 (qui a, d’ailleurs, pris une ampleur considérable au Québec). Le retour à la nature et l’esprit de communauté, notamment, sont deux aspects communs aux deux groupes.
Mais le point central qui lie les deux mouvements, à mon avis, est cette volonté de remettre en cause un système, une façon de vivre qui ne correspond pas nécessairement à leurs valeurs. Jean-Philippe Warren, professeur de sociologie et d’anthropologie à l’Université Concordia, dit d’ailleurs ceci : «Il y a une volonté de remettre en cause l’ensemble des idées reçues de la société, des principes moraux sur lesquels reposait la civilisation occidentale, afin de faire en sorte que les gens se retrouvent dans des relations interpersonnelles plus directes, plus franches, plus transparentes.»
Cette citation est tirée de l’émission radiocanadienne Aujourd’hui l’histoire du 20 avril 2017, intitulée Hippies et contre-culture des années 1960-1970 : résister à l’ordre établi.
Il n’y a donc pas qu’une seule définition au mot grano. C’est plutôt une idée générale que chacun est libre d’incorporer à sa vie comme bon lui semble, dans la proportion qui lui paraît adéquate. Donc, pas besoin de renoncer au gluten ou de faire pousser tous vos légumes dans votre cour arrière pour faire partie du fabuleux monde du granolisme.
Bien plus qu’un phénomène isolé qui correspond à des critères précis, je pense qu’il s’agit plutôt d’une trame de fond qui, je l’espère, prendra encore de l’ampleur dans les années à venir.
Laissons donc de côté le préjugé du grano qui ne mange que des graines de lin et voyons le mouvement dans son ensemble.
À une époque où l’environnement prend de plus en plus de place et où on fait attention à ce qui se retrouve dans nos assiettes, on est tous un peu grano.