Chère Josyane,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ta dernière chronique qui s’intitulait «Les nombreuses vertus du changement», dans laquelle les lecteurs du journalexpress.ca apprenaient que tu quittes le journal pour partir en voyage à l’autre bout du monde, avant de retourner aux études.
Une fois passée la déception de perdre une collègue jeune, compétente et bien de son temps, je suis resté agrippé par toute la philosophie, voire la poésie, entourant ta prise de décision. Un saut dans l’impermanence, que tu dis trouver grisant.
Ayant déjà nagé dans ces eaux-là , il m’est venu à l’idée de te parler de l’autre versant de la montagne, de l’envers de la médaille comme disent les Olympiens.
Un jour que je discutais avec mon père des aléas de ma vie, il m’a dit comme ça : attention, pierre qui roule n’amasse pas mousse. Mais je réplique aussitôt : je suis loin d’amasser de la mousse, je ne m’encrasse pas, j’ai étudié à Jonquière, j’ai travaillé au journal Le Droit à Ottawa, je suis déménagé avec ma famille à Montréal où j’ai travaillé à RDS et TVA, on ne peut pas dire que je me suis endormi dans la routine, je suis un «rolling stone» dans l’âme…
Oh un instant mon gars, m’a repris le paternel, pierre qui roule n’amasse pas mousse, ça veut dire tout le contraire tu sauras. Ça signifie qu’un homme qui change souvent de profession n’accumule pas de confort, contrairement à la pierre, nue de sa nature, qui gagne en se garnissant de mousse. Mon père, aujourd’hui au ciel, était plus fort que moi dans les proverbes et dans bien d’autres sphères, particulièrement celles requérant du temps de qualité pour la réflexion. Ce qui doit venir en prenant de l’âge je suppose!
Autant te dire que le sujet m’est souvent revenu en tête. En fouillant sur internet et en lisant certains philosophes, j’ai trouvé quelques autres versions de ce proverbe de la pierre et de sa foutue mousse, notamment que les individus inconstants qui quittent une occupation pour courir bientôt après une autre, non seulement n’acquièrent aucune expérience, mais encore perdent peu à peu la faculté d’appliquer leur esprit à n’importe quel travail. Certains avancent même que cela s’applique à la politique : une nation s’affaiblit par elle-même en changeant trop souvent de gouvernement!
Bon, je sais, c’est un peu fort. Mais néanmoins instructif quant aux différences qui s’offrent à nous dans l’inventaire des options pour vivre sa vie. Tu dis avoir de la difficulté à comprendre ceux qui ont peur du changement, mais dis-toi que ceux-là ont de la difficulté à comprendre ceux et celles qui en font un art de vivre. Car oui, il y a bien un côté artistique à évoluer dans l’impermanence.
Au hockey, si tu me permets un parallèle, il y a deux sortes de défenseurs : celui qui transporte la rondelle et part à la conquête de la muraille ennemie en organisant la stratégie et l’autre qui demeure à l’arrière du jeu pour assurer la sécurité en cas de contre-attaque. Ce petit détour sportif étant pour illustrer que deux conceptions peuvent à la fois être opposées et avoir valeur égale. Leur coexistence est souvent même nécessaire.
En te souhaitant bonne route, je te laisse avec ce joli quatrain de Grasset, poète français du XVIIIe siècle :
Dans maint auteur de science profonde
J’ai lu qu’on perd trop à courir le monde :
Très rarement en devient-on meilleur.
Un sort errant ne conduit qu’à l’erreur.