CHRONIQUE. Hier soir, je me suis fait suivre par un inconnu, au point où j’ai eu sincèrement peur pour ma sécurité.
Un inconnu pas très grand, la barbe négligée, l’élocution boiteuse, qui ressentait le besoin viscéral de me dire que j’avais un «beau p’tit cul» et qu’il aimait bien me regarder marcher.
Qui ressentait le besoin de me suivre et de se coller sur moi, même si je lui ai dit de me laisser tranquille sèchement. À plusieurs reprises. Et qui, malgré le fait que j’ai exprimé très clairement (et d’un ton que j’espère plein de mépris) que je voulais marcher en paix et que ce qu’il disait ne m’intéressait pas, m’a forcée à sortir mon téléphone cellulaire et à être prête à composer le 911.
C’est quand j’ai haussé le ton qu’il m’a finalement distancée. Pourtant, j’ai vu qu’il m’attendait, l’autre côté du rond-point à l’intersection de la rue Montplaisir et du boulevard Saint-Charles. Si j’avais réussi à garder la tête froide jusque-là, c’est à ce moment précis que j’ai senti l’appréhension m’envahir. Je le répète, j’ai vraiment eu peur pour ma sécurité. Je me suis sentie comme un animal traqué.
Oui, c’était à Drummondville, vers 19h mercredi soir. Le trajet des deux ponts en est un que je fais régulièrement, à raison de deux à trois fois par semaine. Il est plutôt bien éclairé, et très fréquenté. Et Dieu sait que je n’avais rien demandé.
Pourquoi donc ai-je dû vivre cette expérience, ma foi, immensément désagréable ?
Parce que je suis une femme.
Et le plus triste, c’est que si vous demandez aux femmes de votre entourage, elles ont toutes déjà vécu des situations de harcèlement du genre. Des regards insistants, des sifflements, des quolibets à connotation sexuelle, la liste est longue.
Non, ce ne sont pas des «compliments». Ce sont des comportements intolérables.
C’est aussi pour cela qu’une Journée de la femme a encore une raison d’être. Parce que, malgré tout, l’égalité est encore loin d’être atteinte. Je me le suis fait violemment rappeler hier soir.
Quand je suis entrée dans mon appartement et que je me suis surprise à guetter, à travers un coin de ma fenêtre, que l’inconnu ne traînait pas devant chez moi, je me suis demandé ce qui aurait pu se passer si je n’avais pas parlé. Si je n’avais pas eu mon téléphone à portée de main. Si je n’avais pas eu la bonne idée de faire un détour avant d’entrer chez moi.
J’ai aussi regretté, après coup, de ne pas avoir appelé les policiers. Il n’existe aucune donnée sur le harcèlement de rue, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas dénoncé. Et même si je me fends en deux, régulièrement, pour inciter les femmes à avoir recours aux autorités dans ce genre de situation, moi-même je n’y ai pas pensé.
Pourtant, ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que ça n’existe pas, croyez-moi.
La solution par excellence à ce genre d’abus est l’éducation : parler davantage de respect et de sexualité, dans les foyers et dans les écoles, peut certainement contribuer à enrayer ce type d’harcèlement. Il est important que jeunes et moins jeunes sachent que le harcèlement de rue est inadmissible, et qu’il y a bien d’autres façons plus respectueuses (et plus efficaces) de séduire.
Et à tous les passants, de Drummondville et d’ailleurs, et spécialement vous, cher monsieur qui m’avez entendue hausser le ton et repousser à grands coups de mots peu élogieux mon harceleur : lorsque vous voyez une situation comme celle-ci, agissez. Ne baissez pas les yeux.
L’égalité entre les sexes passe aussi par-là : l’action. La solidarité. Et la dénonciation.