Au 19e siècle, tous les villages du Québec, ou presque, disposent d’un magasin général. À Drummondville, dès 1880, c’est chez J. N. Turcotte que l’on fait la file pour s’approvisionner en produits de toutes sortes; on y passe pour acheter de la farine et de la mélasse, une robe pour madame, une hache pour monsieur et de nouvelles bottes pour le cadet de la famille. On paie alors comptant en livres, en chelins, en deniers et en cents ou on fait «marquer» sa commande dans le registre des crédits du propriétaire.
Debout derrière son grand comptoir en bois, Jean Napoléon Turcotte reçoit tous les jours ses clients avec courtoisie aux côtés de son épouse Marie Joséphine. Il pèse soigneusement les marchandises et lorsque le moment est propice, il fournit aux plus curieux les derniers commérages du village. Situé en bas de la ville, sur la rue Heriot – la «grand’rue» comme on se plaît à l’appeler à l’époque – cet établissement commercial est un lieu de rencontre privilégié pour les citoyens de Drummondville. C’est bien plus qu’une simple bâtisse où l’on peut acheter de l’huile à lampe pour l’éclairage et des bouts de tissu à la verge; à l’instar du parvis de l’église Saint-Frédéric, on s’y arrête et s’y rassemble, peu importe la classe sociale, la langue d’usage et la religion, pour échanger, parler politique, faire des affaires et entretenir de vieilles amitiés.
À cette époque, la petite bourgade compte à peine 1800 âmes et les bonnes gens qui fréquentent le commerce du marchand général Turcotte sont pour la plupart des cultivateurs, des charpentiers ou des journaliers. Ils travaillent à la tannerie Shaw & Cassils, au moulin à scie Vassal, chez le voiturier Pepin, aux Forges McDougall, à la Fonderie Gosselin ou à la manufacture de portes et fenêtres Gauthier. Certains citoyens pratiquent des métiers plus spécialisés. Ils sont quant à eux forgerons, cordonniers, tailleurs ou selliers et les produits qu’ils convoitent et commandent chez J. N. Turcotte varient selon les besoins de chacun.
La clientèle de Jean Napoléon et Marie Joséphine compte également quelques notables, avocats, notaires et médecins, ainsi que quelques personnalités notoires dont, Charles Millar, Joseph-Trefflé Caya, Henri Vassal, Alexandre Mercure, Joseph-Éna Girouard, John William Watts et le curé du village Majorique Marchand.
En 1898, un incendie ravage le magasin général de Jean Napoléon et Marie Joséphine, de même que leur résidence, alors située à l’étage du commerce. Les propriétaires font aussitôt construire un nouvel établissement, sur le même emplacement, et le font renaître sous le nom «Au bon marché». Les affaires reprennent ensuite et les Turcotte tiennent commerce jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, avant de fermer boutique.