JUSTICE. Au terme d’une audience de plus de deux heures, mercredi après-midi au palais de justice de Victoriaville, le Drummondvillois Jean-Claude Tshibamba Muntu a été condamné à sept ans de pénitencier par le juge Bruno Langelier de la Cour du Québec qui a ainsi entériné la suggestion commune proposée par la poursuite et la défense.
L’homme d’origine congolaise, qui aura 56 ans à la fin du mois, a reconnu sa culpabilité à neuf chefs d’accusation d’agression sexuelle et d’avoir mis en danger la vie d’autant de femmes. Un arrêt des procédures a été décrété sur cinq autres chefs d’accusation. Les faits reprochés à Jean-Claude Tshibamba Muntu sont survenus entre 2009 et 2015 en plusieurs endroits : Victoriaville, Drummondville, Sherbrooke, Trois-Rivières, Québec, Saguenay, Sainte-Anne-de-Beaupré et Saint-Appolinaire
Le quinquagénaire a rencontré la plupart des victimes sur un site de rencontres et quelques autres dans des bars. Même s’il se savait porteur du VIH, il a eu de nombreux rapports sexuels non protégés avec des femmes à qui il cachait sa condition médicale. À certaines occasions, comme l’a fait valoir la procureure aux poursuites criminelles et pénales, Me Ann Marie Prince, il a menti sur sa condition.
Trois des plaignantes, par ailleurs, ont été infectées. «Pour l’une des plaignantes, on peut démontrer qu’elle a été infectée par l’accusé. Pour les deux autres, on ne peut le prouver hors de tout doute raisonnable, mais il est fort probable que ces femmes ont été infectées par lui», a fait valoir la représentante du ministère public.
Observations sur la peine
Me Ann Marie Prince de la poursuite a d’abord indiqué que tout avait commencé par la dénonciation à la police d’une plaignante de Victoriaville ayant découvert que Muntu avait une conjointe. Cette dernière lui a appris la séropositivité de l’homme qui a été dénoncé. L’enquête s’est mise en branle et plusieurs victimes se sont manifestées.
La procureure du ministère public a fait entendre l’une des victimes présentes, un témoignage frappé d’un interdit de publication. En défense, Me Jean-Riel Naud a fait mention de l’historique de son client, un Congolais qui a fui son pays où son père a été tué par le régime en place.
«Arrivé au Canada en 89 ou 90, il possède un statut de résident permanent, mais n’a pas obtenu sa citoyenneté, de sorte qu’après sa peine, il risque grandement une déportation vers son pays où sa sécurité est compromise», a indiqué Me Naud. Père de quatre enfants de deux femmes différentes, Jean-Claude Tshibamba Muntu aurait agi, selon l’avocat, par négligence et insouciance. «Ce n’était pas par vengeance, méchanceté ou mauvaise foi. N’éprouvant pratiquement pas de symptômes, il n’a jamais vraiment réalisé sa maladie. Il ne croyait pas que c’était si grave, qu’il pouvait contaminer quelqu’un. De plus, il n’avait pas connaissance de la loi et ignorait qu’il pouvait être accusé», a fait valoir Me Naud.
Depuis son arrestation, Jean-Claude Tshibamba Munti s’est repris en main, selon son avocat. «Il a participé à tous les suivis médicaux, a toujours respecté ses conditions de remise en liberté, de même que les consignes de la Santé publique», a confié l’avocat, ajoutant que son client, côté personnel, avait tout perdu. «Il a perdu tous ses biens, son emploi, ses amis. Il vit de l’aide sociale. Ses enfants ne lui parlent plus. Depuis son arrestation, il est complètement isolé. Il a vécu de l’intimidation, des insultes et a tenté de mettre fin à ses jours au printemps 2016. Aujourd’hui, il va un peu mieux, mais son moral est très faible», a souligné le procureur.
Tshibamba Muntu n’a pas tenu à prendre la parole. «Mais il s’excuse et regrette. S’il ne s’exprime pas, c’est que la situation le dépasse. Il est assommé par ce qu’il vit», a exprimé l’avocat.
Le juge Langelier, ensuite, a pris quelques instants pour lire des extraits des déclarations des victimes, faisant état des conséquences graves, de leur détresse.
Suggestion commune
Me Prince de la poursuite a présenté la suggestion commune de sept ans de pénitencier après avoir évoqué, en la matière, une fourchette de peine allant d’un an à 11 ans d’emprisonnement. La représentante de la poursuite a soulevé les nombreux facteurs aggravants, le nombre de victimes, la fréquence des relations non protégées, l’insouciance de l’accusé, ses mensonges sur son état de santé, sans compter «les conséquences désastreuses» sur les victimes. «On parle de choc post-traumatique, de dépression, de tentative de suicide, de stress, du sentiment de culpabilité et de la méfiance envers les hommes. Leur vie a basculé, a changé du tout au tout», a soutenu Me Prince.
Comme facteurs atténuants, elle a retenu le plaidoyer de culpabilité qui évite ainsi une enquête préliminaire et un long procès. «Un plaidoyer accueilli avec soulagement par les plaignantes qui n’auront pas à témoigner de détails intimes», a signalé Me Prince, ajoutant aussi que l’individu ne possédait que des antécédents de conduite avec les capacités affaiblies et de supposition de personne.
Me Naud, en défense, qualifie aussi la suggestion de raisonnable, que sept ans de pénitencier représentaient tout de même une peine importante pour un individu pratiquement sans antécédent et qui risque une déportation.
Il a aussi fait valoir le plaidoyer de culpabilité évitant un procès «long, complexe et pénible pour tous», de même que le comportement de son client depuis sa remise en liberté. Me Naud a aussi remis au magistrat des documents émanant d’organisations qui militent pour la décriminalisation du VIH, sauf pour certains cas.
Décision de la Cour
Dès le départ, le juge Bruno Langelier a fait savoir son intention d’entériner la suggestion qu’il juge raisonnable. Au fait qu’on ne meurt peut-être plus du VIH aujourd’hui, le magistrat estime cependant que la société banalise peut-être la maladie. «On n’en parle plus. On a peut-être baissé la garde, on devient insouciant, négligent. On n’en meurt peut-être plus, mais que dire des stigmates et de la qualité de vie des personnes qui vivent toujours avec la hantise de voir la maladie reprendre de la vigueur. Les gens vivent avec ce stress, ce bouleversement», a exprimé le président du Tribunal.
Saluant l’excellent travail des avocats, le juge Langelier a donc condamné l’homme à sept ans de pénitencier. «La peine n’apporte certainement pas la guérison chez les victimes, mais peut-être auront-elles le sentiment que Monsieur a mal agi et qu’il n’a pas été honnête avec elles. Et comme le dit la Cour suprême, aucune peine ne réparera les torts causés», a conclu le juge tout en ordonnant aussi le prélèvement d’ADN. De plus, Jean-Claude Tshibamba Muntu verra son nom inscrit à perpétuité au registre national des délinquants sexuels.