L’ex-Drummondvilloise Julie Demers pourrait sous peu recevoir un prix du Conseil des Arts et des Lettres du Québec pour son premier roman paru en 2015, Barbe. Une petite œuvre d’à peine 126 pages, mais inclassable tant par son style que par son propos.
Il suffit d’en lire quelques lignes pour s’en rendre compte. La plume de Julie Demers détonne. Déjà que de mettre en scène une jeune fille à barbe dans la Gaspésie de 1933-44 surprend, le ton adopté par l’auteure déroute.
Les mots qu’elle réussit avec habileté à mettre en images coupent le souffle du lecteur par leur poésie. Aucun mot, aucune phrase, ne porte de majuscule.
«rivière-à-pierre, gaspésie, 1933. je m’en souviens particulièrement bien parce qu’à l’époque j’étais déjà une vague idée dans le ventre de mère. cette année-là, mère ne pouvait se lever seule ; la maternité la prenait à la jugulaire. la famille l’avait délaissée car elle et père s’étaient entortillés dans le plus complet des péchés. je veux dire : ils s’étaient touché la différence.»
En entrevue avec L’Express, vendredi, l’auteure Demers était fébrile. Ils ne sont que trois finalistes pour le Prix du CALQ – Œuvre de la relève à Montréal 2016. S’il lui est attribué, le 6 février prochain, ce prix pourrait lui donner l’occasion de prendre une longue pause pour écrire son second roman, grâce à la bourse qui l’accompagne.
De la littérature au cinéma
Devenir écrivain a toujours fait rêver la jeune fille qui a grandi à Drummondville. À sept ans, elle écrivait de petites histoires sorties tout droit de son imaginaire déjà fertile.
Au secondaire, alors inscrite au programme international, elle s’est rendue jusqu’à la finale provinciale de Secondaire en spectacle pour Le mutisme des oiseaux, la pièce de théâtre qu’elle a écrite, mise en scène et interprétée.
Julie se rappelle avoir été happée toute jeune par la lecture. Au point d’en devenir presque boulimique, comme elle le dit.
Durant un marathon de lecture pour enfants, auquel elle participait en 1997, elle a lu pas moins de 1000 pages. «J’étais la personne ayant le plus lu, au Québec», confie-t-elle fièrement.
Après son passage au Cégep de Drummondville en littérature-cinéma-théâtre, elle a décidé de pousser ses études cinématographiques à l’université. Plus facile de gagner sa vie dans ce domaine que comme auteure, croyait-elle.
La suite des choses lui a donné raison. Julie travaille Québec cinéma, qui organise le Gala Cinéma ainsi que les Rendez-vous du cinéma québécois. Elle critique également les récentes productions cinématographiques à l’affiche au grand écran pour le magazine spécialisé Séquences.
Ce n’est pas pour autant qu’elle a renoncé à l’écriture littéraire. Depuis un bon moment, elle songeait à écrire Barbe, son premier-né qui raconte l’histoire abracadabrante d’une jeune gaspésienne pourvue d’une barbe.
Son personnage marginal aura tôt fait de soulever les regards et préjugés du voisinage. Et le regard que pose cette fille à barbe sur la vie et les gens est lui-même d’une originalité incontestable.
D’audace et de liberté
Son auteure prend beaucoup de liberté dans le style rédactionnel. D’abord en éliminant toute majuscule – une première – mais aussi dans la forme d’écriture qui se bonifie d’images et de jeux de mots à répétition, pour le plus grand plaisir du lecteur.
La jeune femme qui franchira le cap de la trentaine cette année dit s’être laissée inspirer par ses lectures et les nombreux films qu’elle a vus.
Les auteurs américains au ton contemporain ont la côte auprès d’elle. Tony Morrison, Faulkner, Sarah Kayne.«Ces auteurs déconstruisent la syntaxe. Ce n’est pas de l’expérimentation pour choquer, mais pour montrer un point de vue», spécifie-t-elle.
Réjean Ducharme s’ajoute à la liste «pour sa richesse de travail sur la langue».
Parmi ses influences cinématographiques, elle note les œuvres du Danois Lars Von Trier.
Le film Fur, du réalisateur Steven Shainberg, avec Nicole Kidman dans le rôle vedette, l’a particulièrement marqué pour la manière dont il aborde son sujet. Un type de cinéma aux propos et à la signature contemporains.
Un second roman
Reste que la jeune femme écrit avec patience et retouche plusieurs fois ses textes. C’est sa méthode, sa recette.
Son prochain roman est en cours d’écriture. Elle se montre peu loquace sur l’œuvre, qu’elle juge trop préliminaire pour être dévoilée. «J’explore encore la marginalité», laisse-t-elle échapper.
Maintenant établie dans la métropole, Julie Demers vient régulièrement visiter sa famille à Drummondville. Certains se souviendront peut-être de la jeune fille ayant occupé durant quelques années le rôle central de Légendes fantastiques.
Quoi qu’il arrive, Drummondville restera toujours pour elle la ville du bonheur. «J’y ai passé les plus belles années de ma vie. Il y a une chaleur chez les gens et j’y ai aussi rencontré mon amoureux», souligne Julie Demers, qui espère bien se tailler une place bien à elle dans le milieu littéraire québécois.