INVESTIGATION. L’établissement de détention de Sherbrooke, les Services correctionnels du Québec et le Barreau du Québec sont visés par les recommandations que formule la coroner Chantal Bernier après l’analyse de la tragique histoire de Serge Leclerc qui s’est suicidé en prison avec une pomme, quelques jours après avoir tué sa femme et mis le feu à sa maison.
Alors qu’il était incarcéré dans une cellule d’isolement parce que rapidement diagnostiqué à «très haut risque suicidaire», la Dre Bernier décrit la scène suivante : «Le samedi 29 novembre 2014, vers 4 h 18, la caméra de surveillance capte des images où l’on voit le prévenu qui, à tâtons dans le noir, sort son bras gauche de la couverture et prend deux pommes se trouvant sur son lit d’acier au milieu de sa cellule. Il est d’ailleurs couché perpendiculairement à son lit et sa tête est recouverte par sa couverture. On devine, malgré la noirceur relative de la cellule, et le fait que la partie supérieure du visage et de la tête n’est pas visible par la caméra, que monsieur Leclerc semble manger ses pommes. Monsieur se couvre ensuite la tête, donnant l’impression qu’il dort. Cependant, à 4 h 29, monsieur semble enfoncer quelque chose dans sa bouche. Quelques secondes plus tard, il devient agité, il bouge beaucoup ses jambes sous la couverture. À 4 h 30, monsieur ne bouge presque plus. À 4 h 32, monsieur Leclerc déplie son bras gauche qui sort de la couverture. À 4 h 38, l’avant-bras de monsieur tombe vers le plancher».
L’autopsie révèlera que deux morceaux de pomme non mâchés ont été identifiés dans les voies respiratoires. «Ceux-ci font obstruction complète au passage de l’air. Les morceaux mesurent respectivement 5 x 3,5 x 3 et 4,5 x 3 x 2,5 centimètres», a précisé le pathologiste.
Cinq jours auparavant, soit le 24 novembre, Serge Leclerc avait été trouvé semi-conscient par les pompiers, à l’extérieur de sa résidence en feu, sur la rue Gaudet, à Drummondville. Le cadavre calciné de sa conjointe (Patricia Lafleur) a ensuite été découvert à travers les décombres. Il avouera plus tard aux enquêteurs avoir assassiné sa femme et avoir mis le feu à sa maison. «Monsieur désirait mourir et pensait que sa conjointe ne pouvait pas vivre sans lui. Il confie aussi aux enquêteurs qu’il voulait se suicider depuis longtemps. Depuis les 15 derniers jours, il savait qu’il poserait un geste suicidaire et qu’il voulait passer à l’action. Il leur dit vivre des crises d’angoisse intenses accompagnées de symptômes physiques et intolérables».
Il apparait dans le rapport de la coroner, publié aujourd’hui, que Serge Leclerc a commencé à sentir des symptômes de détresse en 2001, «suite à des conflits avec son employeur. Il a consulté un psychologue à ce moment. Puis, le tout est allé en se détériorant et monsieur Leclerc a pris sa retraite en 2007».
En 2009, il a commencé à signaler à son médecin de famille «qu’il éprouve des difficultés à dormir. Il se réveille vers trois heures du matin, angoissé. Il affirme qu’il n’a pas de symptôme le jour. Cette angoisse s’organise même parfois sous forme d’attaques de panique. Un trouble du sommeil non spécifique est diagnostiqué».
Par la suite, Serge Leclerc a été suivi par son médecin de famille et par un psychiatre qui ajustent, selon les circonstances, ses médicaments psychiatriques, entre autres, du Cipralex, du Séroquel, deux fois par jour, et de l’Unisom.
À la suite de ce décès, une enquête administrative, réalisée par un enquêteur du ministère de la Sécurité publique à la prison de Sherbrooke, a émis 14 recommandations concernant surtout l’application des mesures de surveillance. Certaines d’entre elles auraient conduit à des mesures disciplinaires.
La Dre Bernier recommande à l’établissement de détention de Sherbrooke d’optimiser les soins de réanimation; en présence d’un sujet inanimé et de deux agents, un agent correctionnel devrait déjà débuter les
manoeuvres de réanimation, soit au moins le massage cardiaque; d’assurer la présence d’un défibrillateur automatique; et de bonifier son système de surveillance de personnes incarcérées à haut risque suicidaire.
Elle recommande aux Services correctionnels «de prendre les mesures nécessaires afin que les mesures de surveillance prescrites par un médecin ou un directeur d’établissement soient appliquées. Au minimum, les consignes de l’établissement doivent être rigoureusement observées et maintenues chez une personne identifiée hautement suicidaire par un médecin ou un intervenant désigné en prévention du suicide. En tout temps, la totalité du corps et du visage de la personne incarcérée doit être visible».
La coroner recommande enfin au Barreau d’examiner la qualité de l’acte professionnel concernant le cas de monsieur Leclerc. Le juge devrait être avisé des conditions médicales physiques et psychiatriques du prévenu qui présente un danger grave immédiat pour lui-même.