SAINTE-BRIGITTE-DES-SAULTS. Après avoir pris connaissance de l’avis confirmant le non-respect du certificat d’autorisation relatif à l’exploitation du barrage de Sainte-Brigitte-des-Saults émis par ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) et du rapport de l’inspection des installations faite par le ministère de la Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), la Fondation Rivières ne se gêne pas pour en arriver à une conclusion directe: Algonquin Power Fund (Canada) «tue la faune aquatique» de la rivière Nicolet-Sud-Ouest.
À l’origine de ces démarches pour avoir porté plainte auprès des deux ministères, l’organisme à but non lucratif responsable de la protection des cours d’eau au Québec ne ménage pas la compagnie ontarienne qui exploite la petite centrale hydroélectrique privée, dite «au fil de l’eau», dans un communiqué de presse portant la signature du président Alain Saladzius.
L’avis, obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information à la suite à une plainte de la Fondation Rivières elle-même, confirme d’abord et surtout que la compagnie Algonquin Power ne respecte pas les conditions de son certificat en ce qui a trait au maintien d’un débit minimal d’un mètre/cube à la seconde durant l’été.
L’avis ministériel indique également que la voie migratoire du barrage ne permet pas la libre circulation de diverses espèces de poissons, dont certaines sont menacées, et ce, afin qu’ils atteignent le reste de la rivière pour compléter leur cycle vital.
À cet égard, la Fondation Rivières n’est pas sans rappeler qu’une crue subite, occasionnée par des pluies abondantes survenues en fin de juin 2014, a fait basculer des centaines de poissons dont des achigans, des dorés, des meuniers et des carpes au-dessus de la crête du barrage.
«Ceux-ci se seraient ensuite retrouvés emprisonnés dans des cuvettes rocheuses en aval, dans la rivière quasi-asséchée, lors du retour au débit minimal prévu dans le certificat», expose la Fondation Rivières.
60% moins d’eau qu’autorisé
Celle-ci en veut pour preuve le résultat des analyses effectuées en août par les experts du Centre d’expertise hydrique du Québec (CEHQ) qui démontre qu’Algonquin Power ne laisse passer que 0,383 mètre/cube à la seconde, soit 60% moins d’eau que ce que lui permet son certificat d’autorisation.
La Fondation Rivières fait également état que lors de l’inspection sur le terrain, une biologiste du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a été en mesure de constater que des poissons vivants étaient retenus captifs dans plusieurs cuvettes qui ne sont pas reliées au réseau hydrographique à un point tel que dans son évaluation des conséquences sur le milieu, le MDDELCC qualifie la situation de «grave».
«Depuis plusieurs années, nous disons que l’implantation et l’exploitation de petites centrales hydroélectriques comme celle-ci comportent des impacts environnementaux indéniables et majeurs, et qu’on doit consacrer une attention particulière à ces projets avant de les autoriser. Voilà le résultat d’une négligence qui dure depuis des années et qui a même été dénoncée par une commission d’enquête publique. Il est grand temps de corriger ces pratiques et que ces sites soient tous enfin inspectés», affirme le président de la Fondation Rivières dans son communiqué.
Alain Saladzius va même jusqu’à prétendre que ce type d’infraction pour non-respect d’une exigence environnementale s’apparente au dossier des bélugas à Cacouna où les conditions d’autorisation, là aussi, n’ont pas été respectées.
Il rajoute que de tels cas de mortalité de poissons, causés par l’assèchement impromptu des rivières en aval de barrages, ont déjà été rapportés ailleurs par le passé au pied de rivières ou chutes soudainement asséchées.
M. Saladzius soutient qu’il est à craindre qu’une telle situation se produise avec la centrale qui entrera bientôt en opération à Val-Jalbert, au Lac Saint-Jean, où le débit dans la rivière sera télécommandé et abaissé à seulement 0,3 mètre/cube par seconde à chaque nuit en été.
Suspension du certificat d’autorisation
Pour en revenir au cas de Sainte-Brigitte-des-Saults, la Fondation Rivières n’est pas sans rappeler que dans les années 1990, le débit minimal accordé à Algonquin Power avait déjà fait l’objet de critiques dans le cadre de la Commission d’enquête sur la Politique d’achat par Hydro-Québec d’électricité auprès de producteurs privés, soit la Commission Doyon, comme on la désigne dans le langage populaire.
Or, soumet-on, en dépit de ces constats, aucune modification n’a été apportée depuis au certificat d’autorisation.
De plus, dénonce l’organisme de protection des cours d’eau, la centrale et le barrage de Sainte-Brigitte-des-Saults, comme plusieurs autres, ne sont pas non plus soumis à la Politique des débits réservés écologiques pour la protection du poisson et de ses habitats, adoptée en 1999, afin de prévenir et de minimiser les impacts négatifs associés à l’exploitation des centrales hydroélectriques.
«Devant l’ampleur du désastre écologique, la Fondation Rivières demande au ministre David Heurtel d’appliquer l’article 115.10 (par. 1 et 2) 1 de la Loi sur la qualité de l’environnement qui lui permet de suspendre le certificat d’autorisation, le temps que le ministère détermine le débit qui répond aux recommandations de la Commission Doyon et aux exigences de cette Politique», réclame Alain Saladzius au nom de son organisme.
Celui-ci ajoute d’ailleurs une autre pièce majeure au dossier en mettant en perspective le fait que ces révélations surviennent au moment où le contrat d’achat de l’électricité par Hydro-Québec est en voie d’être renouvelé pour une durée de 20 ans, sans que les conditions environnementales pour exploiter la centrale n’aient été revues par Québec.
«Avec la différence entre les coûts d’achat et les prix de vente actuels de cette électricité, la Fondation Rivières estime à 21 millions $ sur 20 ans, dont 911 000 $ pour 2014 seulement, les pertes que subirait Hydro-Québec pour cette seule petite centrale», fait part M. Saladzius au sujet de cet aspect du dossier déjà traité dans L’Express à la suite de recherches faites par la Fondation Rivières.